Si l’on était dans un pays normal, on se serait demandé pourquoi le principal dépôt d’hydrocarbures du pays a été installé en plein centre-ville, à un doigt du port, à un jet de pierres de la présidence de la République, des ministères, des grands services publics et privés. Mais comme on est Guinée, et que chez nous, rien ne sera jamais normal, remercions plutôt le bon dieu, toute la ville de Conakry n’a pas été réduite en cendres. Estimons-nous heureux, les génies qui nous gouvernent n’ont pas pour l’instant placé les usines d’acide sulfurique dans les hôpitaux et les gazoducs dans les nurseries.
Comme on est Guinée, on ne saura jamais les causes exactes de cette catastrophe ni l’ampleur des dégâts matériels ni le nombre exact des victimes. De Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, les génies qui nous gouvernent font ce qu’ils veulent et ne rendent compte à personne, encore moins au peuple, cette roture, cette plèbe, cette racaille juste bonne à chanter et à danser, juste là pour courber l’échine et faire les louanges du chef. Comme on est en Guinée, c’est 5 jours après la catastrophe que notre putschiste du 5 Septembre a décrété un deuil national. Comme on est en Guinée, c’est dix jours après, qu’il a pris la peine de se rendre sur les lieux du drame. Qui n’est pas content ?
Les Guinéens se souviennent que ceci n’est pas la première explosion meurtrière qu’a connue notre pays. Déjà, en 2001, une déflagration s’était produite au Camp Alpha Yaya Diallo, faisant des centaines de morts. A plusieurs reprises, le gouvernement français qui, à l’époque, n’entretenait même pas des relations diplomatiques avec notre pays, avait poussé en vain nos autorités de l’époque à transférer cette véritable poudrière en un lieu plus sûr. Y avait-il eu une enquête, des inculpations voire des condamnations ? Pour ma part, je n’en sais rien. Et de toute façon, pour nos jeunes et fringants dictateurs, s’expliquer, c’est se rabaisser : l’opinion publique, c’est de la foutaise, le chef est l’égal des dieux, il ne rend compte qu’à lui-même. Et surtout, il a un besoin fou de tuer par le garrot, par l’épée, par le canon, par la gégène, par la diète noire ou par simple négligence. Nos dirigeants ont toujours soif, et leur boisson préférée, c’est le sang. L’Etat guinéen, c’est la barbarie à l’état pur.
Être Guinéen, c’est vivre en danger, un danger oppressant, un danger permanent. À tout moment, on risque de perdre la vie. Le péril est partout et pas seulement dans nos dépôts de carburants et de munitions. Il est au cœur même de la société. Soixante-cinq ans de mal gouvernance, de répression sauvage et de tribalisme exacerbé ont ébranlé notre pays et plongé nos concitoyens dans un désarroi sans précédent. Notre pays est devenu une bombe à retardement que nul ne se préoccupe de désamorcer. Mamadi Doumbouya parle de tout sauf de transition. Il se comporte comme s’il était légitime, comme s’il était là pour longtemps, voire pour toujours. Il est clair que cet homme ne partira du pouvoir que contraint et forcé. Cet homme aura-t-il la grandeur d’âme qu’il faut pour sauver son pays, lui offrir ces élections pacifiques, libres et transparentes et lui permettre ainsi de rompre avec le cercle vicieux des dictatures sanglantes ? Je ne le crois pas. Son ambition secrète, c’est de jouer au Dadis-bis : faire le forcing à ses risques et périls soit pour lui-même soit pour imposer un homme-lige. Les Guinéens le laisseront-ils faire ? Rien n’est moins sûr.
Pour moi, cette dramatique explosion n’est qu’un signe annonciateur, l’année qui vient est l’année de tous les dangers.
Tierno Monénembo