Alors que la CAN 2024 débute en Côte d’Ivoire, le pays de Laurent Pokou, de Yaya Touré et de Didier Drogba, quoi de mieux que de parler de football ? Le football, c’est, à juste titre, le sport roi, entendez, celui qui brasse le plus de milliards, celui qui réunit les foules les plus nombreuses au-delà des races, des étiquettes politiques et des religions. Nul démographe ne le contestera : le football est la nation la plus peuplée de la planète Terre. Il a néanmoins et c’est le prix de sa célébrité, ses jaloux, ses médisants et ses détracteurs, et ce ne sont pas les moins inspirés : « Le foot, c’est l’organe le moins éloigné du cerveau », « le sport le plus atteint par la débilité profonde », « le stade avancé de la crétinerie », etc.
Le football gagne ses lettres de noblesse
Mais les adeptes du dieu Pelé peuvent se consoler en relisant Camus, qui fut d’abord gardien de but avant de jongler avec la plume : « Tout ce que je sais de la moralité et des obligations des hommes, je le dois au football. » Un mot, un simple mot de Camus suffit pour vous laver de la bave des calomniateurs. Car le football ne se résume pas à une vulgaire affaire de ballon qu’on shoote. Le football est un art. Il peut se targuer d’une esthétique (l’éblouissant style de son jeu), et d’une morale (l’auteur de Caligula sait de quoi il parle). C’est aussi, on ne le dit pas assez, le meilleur ascenseur social, que dis-je, un bain de jouvence où les Pelé, les Samuel Eto’o et autres Maradona sont passés pour se débarrasser des vilaines rides dues à la ségrégation, celle de race aussi bien que celle de classe.
Regardez bien, les plus grandes vedettes du football viennent des favelas de Rio, des villas de Buenos Aires, des bidonvilles de Dakar ou de Douala, des corons de Cardiff ou de Valenciennes ! Les stades sont de véritables cours de miracles. Ce sont eux qui permettent aux damnés de la terre de courir vers la fortune et la gloire.
L’apport du football dans le renforcement des identités nationales
C’est particulièrement vrai en Afrique. Ce serait méconnaître l’histoire de notre continent que de prendre à la légère le ballon rond et la rumba. Ce ne sont pas de simples loisirs, ce sont là des sujets profonds, des sujets sérieux à ne pas mettre dans n’importe quelles mains. Il est temps que nos sociologues et nos anthropologues s’y penchent. C’est la musique et le football qui ont forgé notre conscience politique et notre identité urbaine. Savez-vous que le PAIGC d’Amilcar Cabral était d’abord une équipe de football ? Savez-vous que le onze du FLN fut l’un des meilleurs atouts diplomatiques de la révolution algérienne ? Savez-vous qu’avant de former le PDG, les compagnons de Sékou Touré formaient d’abord un orchestre ? Savez-vous comment s’appelait cet orchestre ? Le Petit Parisien !, un comble pour des gens qui se proposaient de nous sortir de joug colonial et de l’assimilation ! Quant à l’Indépendance congolaise, si on la doit à Lumumba, on la doit aussi et beaucoup au grand Kalé et à l’African Jazz.
Il est temps de tordre le cou à ces idées préconçues qui prétendent que jouer au football, c’est penser par les pieds. Nos footballeurs ne sont pas géniaux que dans l’art de manier le ballon, ils ont aussi la tête bien remplie. Il suffit d’entendre parler Joseph Antoine Bell, Lilian Thuram ou Didier Drogba pour s’en convaincre : leurs idées sont plus claires, leur syntaxe plus exacte et leur style plus fleuri que chez la plupart de nos latinistes. Et n’oubliez pas qu’en cette période de sinistrose, en ces tristes moments de coups d’État stupides et de bourrage des urnes, c’est un footballeur, un grand, qui vient de nous indiquer le chemin de l’honneur. George Weah nous a prouvé qu’on peut embrasser un grand dessein en tapant dans un ballon.
Tierno Monénembo
Source : Le Point