Le Nicaragua, pays de l’Amérique centrale, jusqu’il y a quelques années voire mois, était méconnu du grand public guinéen même parmi les intellectuels. Il est aujourd’hui connu et chanté à longueur de journée par toutes les catégories sociales de notre société. Le Nicaragua fait parler de lui dans tous les milieux : en famille, entre amis, dans les marchés, cafés, bureaux, taxis, champs, lieux de culte notamment dans les mosquées. C’est aujourd’hui un pays célèbre chez les Guinéens dont la Géographie est maitrisée par ceux-là même qui ne sont pas allés à l’école. Comment le chemin Conakry-Dakar-Nicaragua-Mexique-Etats-Unis est né et a envahi la conscience collective des Guinéens ? Quels sont les enjeux liés à ce trajet migratoire ? Pour cette contribution, nous avons glané des informations provenant de sources diverses mais sûres. Elles sont constituées des familles de candidats à l’émigration ou des familles des immigrés, de leurs amis et des immigrés eux-mêmes.

Selon plusieurs interlocuteurs, c’est une pratique un peu ancienne dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest mais qui était méconnue chez les Guinéens. Cependant, au Sénégal, longtemps cette route migratoire a été découverte et pratiquée. Ce qui a permis à plusieurs jeunes sénégalais à fouler le sol du pays de l’Oncle Sam. Aujourd’hui, cette route migratoire menant aux Etats-Unis est connue et pratiquée par des Guinéens de tout sexe, quasiment de tout âge notamment par les candidats à l’immigration et leurs familles. Cette voie serait découverte suite aux différentes tentatives d’émigrer et aux échecs consécutifs des projets migratoires guinéens à partir du Sénégal vers l’Europe et l’Amérique du Nord (Canada et USA). Après la tentative et la réussite de ces migrants à partir du Sénégal, puis le Nicaragua pour entrer aux Etats-Unis, la nouvelle s’est propagée en Guinée comme une nuée de poudre devant une tempête. Désormais, tout le monde veut partir ou veut envoyer son fils, son frère, son neveu. Les femmes et les mineurs ne sont pas en reste.

Comment le voyage est organisé ?

Tout commence par la recherche d’un passeport. D’ailleurs, aujourd’hui ce document de voyage semble être le plus recherché en Guinée que toutes les autres pièces d’identité. Un tour dans les trois (3) centres d’enrôlement et de délivrance du passeport à Conakry offre une image qui fait croire à un pays dont les citoyens déménagent face à une catastrophe qui s’annonce ou du bétail longtemps séquestré dans un enclos t qui trouve tout d’un coût une issue. Au commissariat de Nongo, dans la commune de Ratoma, certains nous ont fait croire qu’ils y sont arrivés à 4 heures du matin et ils n’ont pas la certitude d’être appelés durant la journée ne serait-ce que pour l’interview, encore moins pour l’enrôlement, ces étapes préliminaires pour l’obtention du passeport. Les plus impatients font souvent recours aux services d’un intermédiaire qui est souvent un agent. Et vivement la corruption.

Après l’obtention du document, c’est la préparation du voyage sur le Sénégal. Dès lors, deux cas se posent : ceux qui ont un solide soutien financier s’embarquent à partir de l’aéroport AST de Conakry pour celui de Blaise Diagne de Dakar. Tout cela est bien suivi et encadré par un réseau de passeurs établit à Conakry et à Dakar. Il est important de signaler qu’avec les passeurs, même le billet d’avion Conakry-Dakar fait l’objet de spéculation. D’autres candidats font la route d’où qu’ils vivent en Guinée pour Dakar.

Arrivé à Dakar, les passeurs en réseau font acheter au migrant un billet d’avion à destination de la Turquie. Ce trajet est le début de la découverte de la trajectoire migratoire. Mais actuellement, le billet pour le Nicaragua s’achète à partir de Conakry. Il y existe des réseaux de vente de billets même dans les quartiers. En tout en cas, on n’a plus besoin de se déplacer trop, pour en trouver. Sur internet notamment Facebook, les vendeurs n’hésitent pas d’afficher leurs contacts, numéros de téléphone surtout, pour des éventuels intéressés. 

Le tarif Conakry-Nicaragua-Etats-Unis

Durant nos recherches, nos répondants laissent entendre que tout au début du périple, le coût économique et financier de la route Conakry-Nicaragua-USA ne valait rien. A Dakar, si tu n’as pas un bon réseau dont les membres collaborent parfaitement avec la police et la douane de l’aéroport de Dakar, ton projet pourrait s’arrêter-là. Ou du moins, on peut te retarder jusqu’à ce que tu rates ton vol. Ainsi, pour éviter tout retard à l’embarcation à Dakar la « poche du migrant » et les relations amicales du passeur avec la police sont obligatoirement utilisées. Selon un de nos informateurs, 4 000 à 4 500 dollars US pouvaient faire le trajet. Mais à présent, le coût migratoire via ce trajet a connu une véritable hausse. Pour les plus chanceux, il peut coûter entre 8 000 à 10 000 dollars voire plus. D’ailleurs, d’aucuns parlent de 20 à 30 milles dollars US, pour entrer sur le sol américain, parfois avec zéro kopeck comme argent de poche. Les migrants expliquent cette hausse par l’effet de l’augmentation fulgurante de la demande d’immigrer aux Etats-Unis via cette voie.

Pour arriver à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, c’est un autre parcours de combattant. Le coût varie de 5 000 à 10 000 Pesos, et cela sur moto avec souvent plusieurs kilomètres à pied ou par bus. A partir des frontières américaines, c’est une véritable débandade pour entrer sur le territoire américain. Rideau !

Cette voie est-elle moins périlleuse que celle du Sahara-Méditerranée-Europe ?

Plusieurs avis collectés durant notre étude répondent par l’affirmatif. En tout cas, pour le moment, selon les entretiens menés auprès de plusieurs acteurs, il y a moins de problèmes par rapport à la trajectoire migratoire qui utilise le désert en passant par la Méditerranée pour atteindre l’Europe. Beaucoup de migrants et leurs parents considèrent maintenant cette trajectoire comme un véritable enfer. La Méditerranée est qualifiée comme un véritable ‘’cimetière’’ des jeunes d’Afrique Subsaharienne, notamment ceux en provenance de la Guinée. Le Nicaragua est moins mortel que le désert et la mer méditerranéenne. Cependant, plusieurs migrants témoignent de l’existence d’une grosse machine d’arnaque parmi les réseaux des passeurs.

L’arnaque

Tout commence à Conakry où est installé le premier maillon des passeurs. Il est chargé d’identifier et d’appuyer les candidats à l’immigration pour les Etats-Unis via le Nicaragua. Il recrute et envoie les candidats et se charge de toutes les formalités. Parmi elles, l’achat du billet d’avion Dakar-Turquie-Mexique. Le migrant s’embarque à l’aéroport Blaise Diagne de Dakar pour Istanbul. Puis Istanbul-Bogota (Colombie)-Salvador-Nicaragua-Honduras-Guatemala-Mexique. Mais à partir du Nicaragua le calvaire commence, selon un interlocuteur. L’entrée au Nicaragua exige un Visa. Il est vendu à l’aéroport ; sa valeur nette c’est 10 dollars et c’est ce qui est inscrit sur le ticket, mais le réseau des passeurs demande au migrant 150 dollars. Devant la contrainte, le migrant s’exécute avec plaisir. A partir du Nicaragua, le contrat avec le réseau de passeurs se négocie du gré à gré. Les passeurs ont des conducteurs de taxis qui maitrisent et assurent les trajets. Les migrants, en petits groupes, sont mis en contact avec ces taximètres qui les transportent du Nicaragua vers le Honduras. Le trajet coûterait entre 50 à 100 dollars en termes de transport, sans compter les rackets des passeurs qui demandent jusqu’à 400 dollars, sous prétexte de trouver le papier d’immigration avec les services de la police aux frontières. Ce certificat permet au candidat d’acheter le billet d’embarquement dans les autobus, pour quitter le Honduras à destination du Guatemala. Parmi les passeurs, les noms de Rasta et de Mama Africa reviennent fréquemment dans les entretiens avec les migrants qui passent par le Nicaragua.

Un de nos interlocuteurs fait une précision importante sur les arnaques de cette première étape. Selon lui, il arrive parfois et contre toute attente que le migrant arrive en Turquie mais qu’il se retrouve bloqué. Ce blocage pourrait conduire à un rapatriement dans son pays de départ. On peut lui dire que son billet ou son visa de transit n’est plus valable pour le reste du parcours. Le billet serait annulé par l’acheteur, car ce n’est pas le voyageur lui-même qui l’a acheté, c’est plutôt la pseudo agence de voyage qui l’aurait acheté, donc elle a le droit de le retirer et/ou de l’annuler à tout moment. Le candidat à l’immigration n’a nullement où se plaindre quand celui qui le reçoit en Turquie s’éclipse tout juste dans les parages de l’aéroport, sous prétexte qu’il y a d’autres équipes qui sont arrivées et qui l’attendent. En tout cas, il se crée une urgence, afin de pouvoir disparaître. Dès lors, le candidat est désemparé et ne peut plus faire marche arrière. C’est le début d’un calvaire pour lui. Mais comme il n’est pas le seul sur le trajet, c’est souvent des milliers de personnes qui se retrouvent dans cette situation, alors, ils décident de prendre leur destin en main. Ceux qui ont de l’appui financier à partir d’un proche en Guinée ou ailleurs leur envoient de l’argent qui leur permettent de faciliter le reste du trajet. Nos interlocuteurs affirment que les réseaux de passeurs sont sur tout le parcours migratoire. Ceux qui n’en ont pas, sont exposés aux pires moments de leur vie.

Les réseaux des passeurs plus chers à l’arrivée qu’au départ

Une fois que le migrant est sur le sol mexicain, il intègre de nouveaux réseaux de passeurs avec tous les dangers que cela suppose. Désormais, il fait face à ces réseaux qui vont le conduire par étapes successives, avec des coûts à géométrie variable. La traversée du Mexique est une autre étape plus difficile, qui prend assez de temps, où le migrant est d’ailleurs exposé à la vraie vie du migrant clandestin. Le Mexique est un grand pays de l’Amérique centrale avec 1,973 million de km², il partage plus 3 150 Km de frontière avec les Etats-Unis. A partir du Mexique, c’est l’assaut final. Quand le migrant quitte le Guatemala, il tombe directement dans l’une des premières villes du Mexique, Tapachula avec les rackets des policiers et des cartels.

Des interlocuteurs nous ont affirmé que les migrants utilisent plusieurs moyens pour atteindre Mexico-City (capitale du Mexique) : marche à pied, motos, pirogues, ponts en lianes, tricycles connus sous le nom de ‘’Bombona’’à Conakry, véhicules/camionnettes etc. De Tapachula à Mexico, en plus du réseau des passeurs très cher, il y a des compagnies de transport public moins cher. Elles couteraient entre 90 à 100 dollars.

Les passeurs maitrisent toutes les voies qui permettent d’éviter les postes de contrôle tenus par la police. De nombreux migrants utilisent ces pistes, pour échapper à la police. Pour arriver à Tapachula, la bicyclette est le moyen de déplacement le plus utilisé. Pour quitter ce village en direction de Cochitan (Mexique), la traversée se fait par bateau ou une fortune d’embarcation à destination de Mexico. Pour quitter là, il faut au migrant un papier qui lui est vendu très cher à plus de 400 pesos (la monnaie mexicaine). D’ailleurs, ce sont des africains, notamment des Sénégalais et des Guinéens qui font le trafic de ce papier qui, vraisemblablement n’est pas obligatoire. Lorsque le migrant quitte Mexico, il vient à Guadalajara (une ville située à 540 km au Nord-Ouest de Mexico). De là, le migrant s’embarque dans des camionnettes, de bus pour Las Conchas (une ville à proximité de la frontière américaine de l’Arizona).

Les effets négatifs

Cette autre route migratoire fait perdre à la Guinée son potentiel humain. Selon plusieurs observateurs, le marché de Madina (le plus grand du pays) a tendance à se vider de ses commerçants. Tous sont allés ou veulent aller aux Etats-Unis via le Nicaragua. En observant cette scène, on peut affirmer que ce sont les populations les plus jeunes qui partent. On constate aussi une forte présence des femmes migrantes autonomes. Elles sont parfois enceintes ou portent des bébés au dos ou encore ont des enfants en main. Il y a aussi des filles et des mineurs non accompagnés parmi les migrants Conakry-Nicaragua-Mexique-Etats-Unis. Ceux qui ont la chance de fouler le sol américain sont reçus par la police d’immigration qui les trie par sexe, par âge et suivant d’autres variables sociologiques : femmes en grossesse, femmes avec enfants, famille composée du père, de la mère et des enfants. Ils sont internés dans un camp de regroupement ou d’accueil pendant quelques jours avant d’être fixés sur le sort de continuer vers les Etats suivant les adresses que certains d’entre eux fournissent. C’est là que s’arrête leur accompagnement mais ainsi débute le combat pour la régularisation.

Ce qui risque de porter d’ailleurs un grand coup à la marche du pays vers le développement. Si rien n’est fait, le déséquilibre démographique guette à notre pays. Sur les 110 000 migrants arrivés à New-York, l’un des Etats américains qui accueille le plus d’Africains sud sahariens, ne dispose pas encore un chiffre exact du nombre de Guinéens surtout ceux qui y sont arrivés via la route dite ‘’Nicaragua’’. L’autre grande victime du chemin du Nicaragua, c’est bien le système éducatif guinéen. Les élèves, les étudiants voire même des enseignants et des parents n’hésitent pas à se lancer dans cette aventure pleine d’embûches.

La vie des nouveaux arrivants dans le pays de l’Oncle Sam n’est pas toujours celle rêvée avant le départ. Le migrant qui n’a pas un parent ou un ami pour l’accueillir et l’héberger se dirige vers les lieux de culte. Les mosquées, notamment celles de New York, sont envahies par ces migrants clandestins. La suite de cette contribution portera sur la vie des migrants guinéens qui arrivent à destination et réussissent leur projet migratoire. A suivre…

Mamadou Sounoussy Diallo,

PhD Maître-Assistant en Sociologie

Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry

Spécialiste du Genre, des migrations et des relations interculturelles