Au Sénégal, le premier tour de la présidentielle, c’est le 25 février prochain. Et comme vous le savez, le président Macky Sall ne sera pas candidat. Quel bilan laissera-t-il après douze années au pouvoir ? À Dakar, le patron du journal Le Quotidien, Madiambal Diagne, qui est un confident du chef de l’État, a publié récemment Macky Sall, Derrière le masque, un livre-enquête qui fourmille d’anecdotes. C’est aux éditions du Quotidien. L’auteur essaie notamment de comprendre pourquoi, il y a six mois, Macky Sall a renoncé à briguer un troisième mandat. En ligne de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Que restera-t-il, à votre avis, des douze ans de Macky Sall au pouvoir ?
Madiambal Diagne : Douze ans d’une transformation assez visible du Sénégal, avec des infrastructures de dernière génération. Douze ans aussi de politique sociale, avec la mise en service de bourses familiales pour les personnes démunies, mais aussi des efforts dans le secteur de la santé. Le Sénégal, en l’espace de quatre ans, a inauguré quelque cinq à six hôpitaux de dernière génération.
Oui, ce qu’on voit dans votre livre, c’est que le fils de berger qu’était Macky Sall avait la fibre sociale ?
Absolument. C’est une fibre sociale vraiment très marquée, avec une augmentation des pensions de retraite ou bien la mise en place de filets sociaux assez importants. Je crois qu’effectivement, ce fils de berger, avec ses origines modestes, avait peut-être cette sensibilité de la précarité sociale de certaines personnes et a pu faire un effort dans ce sens-là.
Les douze ans de Macky Sall ont aussi été marqués par les émeutes meurtrières de 2021 et de 2023, pour la libération de son opposant le plus farouche, Ousmane Sonko. Vous dites que, quand il apprend qu’une jeune femme porte plainte contre Ousmane Sonko pour viol, Macky Sall veut aider son adversaire pour le sortir de ce mauvais pas. Franchement, Madiambal Diagne, on a du mal à vous croire…
Oui, ça a surpris beaucoup de Sénégalais, d’ailleurs, cette empathie dont Macky Sall a fait montre au moment de l’annonce de ce scandale de mœurs. Mais dans mon livre, j’évoque cette question en parlant de témoins oculaires qui étaient là, notamment l’ancien ministre de la Justice. C’est vrai, c’est surprenant que le farouche opposant, on cherche à le sauver. Ça, c’est du Macky Sall tout craché, c’est sa personnalité.
Mais est-ce que vous ne dites pas cela parce que vous êtes un ami de Macky Sall ? D’ailleurs, vous ne vous en cachez pas.
Non, être un ami n’empêche pas d’être un journaliste et moi, je suis un journaliste qui tient à être factuel et à ce que mes propos ou mes écrits ne soient jamais démentis. Et j’ai fait une série de publications ces derniers mois, aucun fait évoqué dans ce livre n’a fait l’objet d’un démenti ou d’une remise en cause. Donc être ami ne veut pas dire ne pas être factuel, ne pas être rigoureux avec soi-même, ne pas dire les choses telles qu’elles sont.
Et même si ce que vous dites est vrai, est-ce qu’au bout de quelques jours, quelques semaines, Macky Sall ne voit pas toute l’exploitation politique qu’il peut faire de ce scandale de mœurs en laissant Ousmane Sonko aux mains de la justice après cette plainte pour viol ?
Je ne sais pas s’il a laissé délibérément la justice s’occuper de cette affaire de viol, mais je pense, quand même, que c’est l’attitude de vouloir empêcher la justice d’enquêter qui aurait été condamnable.
Karim Wade, condamné par la justice, puis Khalifa Sall, condamné par la justice, puis Ousmane Sonko, poursuivi par la justice, est-ce que c’est juste une coïncidence, ou n’est-ce pas tout simplement une ruse de guerre de la part du président sénégalais pour éliminer ses principaux adversaires ?
De toute façon, je pense que l’interprétation est libre, que le commentaire est libre. Mais les faits étant entendus, Khalifa Sall, par exemple, a été poursuivi pour prévarication des deniers publics et il n’a pas nié. Ce qui est arrivé à Karim Wade, c’était suite à une procédure déclenchée à l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, c’est-à-dire la traque des biens mal acquis. Il y a eu des actes de mal gouvernance qui ont été décriés par toute l’opposition et par toute la société sénégalaise de façon générale, une procédure judiciaire a été ouverte contre Karim Wade.
Alors arrive le discours du 3 juillet dernier à la nation sénégalaise, le discours dans lequel Macky Sall annonce qu’il ne va pas briguer un troisième mandat. À votre avis, pourquoi a-t-il pris cette décision ?
Moi, j’ai indiqué dans mes deux ouvrages, l’un sur Macky Sall et l’autre sur Amadou Ba, que la décision de ne pas briguer un troisième mandat avait été une ancienne décision, déjà prise et longuement mûrie par Macky Sall. Déjà, par exemple, je rappelle qu’en 2018 ou 2019, j’avais été mis au parfum d’une telle décision.
Mais pourquoi ne l’a-t-il pas dit plus tôt ?
Il l’aurait dit plus tôt, il n’aurait pas gouverné ce pays. À l’annonce de sa non-candidature, voyez comment son clan s’est déchiré, combien il y a eu de prétentions. Donc je pense que cette ambiance de carnaval, ou de « nuit des petits couteaux », je pense qu’il l’aurait annoncé dès le lendemain de son élection en 2019, peut-être qu’il aurait perdu tout un mandat dans des querelles politiques ou des querelles de parti.
Oui mais, Madiambal Diagne, a contrario, on peut dire qu’en tardant jusqu’au mois de juillet dernier, il a compliqué la tâche de son dauphin, Amadou Ba, qui n’a pu disposer alors que de quelques mois pour faire campagne alors que lui-même, Macky Sall, avant son élection de 2012, avait fait campagne pendant deux ans.
Je suis d’accord que Macky Sall a eu à faire campagne pendant deux ans avant d’être président de la République. Mais aussi, je parle à un média français, souvenez-vous, Macron a fait campagne pendant six mois pour gagner en 2017. Donc pour moi, le temps qui reste à Amadou Ba est un temps suffisant pour aller à une élection.
Par : Christophe Boisbouvier