Dans une interview exclusive à La Lance, le ministre de l’Enseignement technique et de la formation professionnelle dresse le bilan de sa gestion et décline ses perspectives. Il promet que dans deux ans, l’enseignement technique « tournera à plein régime ».
La Lance : Quel bilan dressez-vous de vos deux ans à la tête du département de l’Enseignement technique ?
Alpha Bacar Barry : C’est difficile de s’évaluer, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie pour un bilan positif à terme. Les deux années écoulées ont permis de lancer plusieurs chantiers d’infrastructures, de modernisation de l’enseignement technique, du digital, de la gouvernance, la refonte de certaines écoles, avec la formation des formateurs. Nous préparons le véhicule, avant de commencer la course. Cela nous a amenés à recruter de nouveaux cadres du privé, d’institutions internationales pour nous aider à mener à bien une stratégie nationale de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, avec l’aide de l’OIF et de l’Unesco.
Deuxième chose, nous avons entamé un Plan d’action qui prend le secteur sur plusieurs axes : infrastructures et équipements. Les écoles étaient dans un état de dégradation très poussée. Des chantiers qui étaient en souffrance ont été achevés ; des nouveaux entamés ; des équipements acquis pour une vingtaine d’établissements, dont certaines s’apprêtent à être inaugurées. D’autres sont en construction très avancée et nous sommes en train parallèlement d’acquérir des équipements. Nous avons également lancé de projets de rénovation de plusieurs Centres de formation professionnels : CFP Donka, CFP Chemins de fer délocalisés à Simbaya et une dizaine d’autres sur l’axe Conakry-Nzérékoré : Kindia, Labé, Kankan…Nous avons inauguré deux grands projets d’Ecoles d’arts et métiers (ERAM) à Coyah et Dabola. Soit une augmentation de 2000 places des capacités d’accueil de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Les CFP de Fria et de Boké, les Ecoles nationales d’agriculture et d’élevage de Koba, Macenta et de Mamou ont été équipées. L’ENAM (Ecole nationale des arts et métiers, à Coléah) est en voie de l’être. Le CEPERTAM (Centre de perfectionnement aux techniques automobiles) est complètement équipé, avec même des simulateurs à l’intérieur.
Nous avons entamé la reconstruction du CEED de Pita (Centre d’éducation à l’environnement et au développement), de l’Ecole nationale d’éducation physique et sports de Dalaba, du Village numérique de Ratoma (Kakimbo) qui remplace l’ancien CFP de Ratoma. Nous avons achevé la rénovation du CFP de Lambanyi et le CETA (Centre d’éducation technologique et artisanal) de Matoto.
Pourriez-vous revenir sur les chantiers les plus emblématiques ?
Il y a le CFP de Donka qui est assez spécial, avec une approche chantier-école. Il a été reconstruit grâce aux ressources de la vente des véhicules de la présidence (de l’ancien régime), pour neuf milliards de francs guinéens. Au lieu de deux bâtiments de départ, la rénovation porte sur l’ensemble de l’école et accroît le nombre de logements des apprenants. C’est vous dire l’énorme économie d’échelle opérée, en recourant à l’approche innovante de chantier-école qui consiste à mettre les élèves et le secteur privé à contribution. C’est environ 30 à 35 % du budget d’économie. Nous avons rebaptisé l’Ecole Camara Laye, du nom de ce célèbre écrivain qui est passé par là. Lors de notre première visite, cette école n’avait pas un seul ordinateur. Certains classes et ateliers étaient décoiffés. Aujourd’hui, l’école est entièrement rénovée, équipée et propulsée à l’avant-garde de l’enseignement technique en Guinée parce qu’elle est la première à être dotée d’une classe intelligente et d’équipements de réalités virtuelle et augmentée. Un apprenant en soudure n’aura plus besoin de l’environnement de soudure pour comprendre le métier et ses outils. Il lui suffit de mettre un masque, grâce à des logiciels conçus en France qu’on va déployer.
Les équipements supplémentaires de Donka arrivent pour en faire une école d’innovation. Nous avons reçu les ministres centrafricain et malien de l’Enseignement technique, ainsi qu’une délégation du BIT venus apprendre notre expérience de chantier-écoles.
Les apprenants avaient-ils les profils et les compétences nécessaires à la reconstruction de l’école ?
Les élèves avaient la théorie. Ce sont des apprenants de maçonnerie, électricité, menuiserie, plomberie…de l’école qui ont été mis à niveau, encadrés de chefs d’atelier et d’ingénieurs professionnels. A la fin du chantier, chacun a appris correctement son métier : comment installer des sanitaires pour certains, exécuter un plan électrique pour d’autres…Ce sont eux qui ont fait les tables bancs, la peinture, les espaces verts…
Au-delà de l’apprentissage, était-ce une façon de leur créer des sources de revenus ?
Pas forcément. Déjà, on a investi beaucoup d’argent pour leur doubler les heures de pratique dans les classes. Pour la question pécuniaire, le président a accordé depuis l’année dernière des bourses d’entretien aux apprenants de l’enseignement technique et de la formation professionnelle. Une première qui leur permet de travailler et d’étudier sereinement.
Le CEED de Pita était à l’abandon. Il n’était même plus dans le système, il recevait entre sept et huit personnes par an dans un secteur dont la Guinée et l’Afrique ont besoin : l’environnement et l’écologie. Nous avons retroussé les manches, mobilisé des ressources et lancé les travaux qui se poursuivent. Nous allons refondre le système d’enseignement de cette école, laquelle est privilégiée dans le nouveau projet que nous avons avec l’Union européenne pour promouvoir les emplois verts et bleus. Il y aura un investissement supplémentaire sur l’école. La GIZ va particulièrement s’intéresser à l’établissement pour en faire une vraie école d’écologie, avec des métiers liés à l’écologie qui y seront développés. Nous avons le chantier d’infrastructure et d’équipements, mais également du contenu qui sera complètement revisité. Comme c’est une école avec un régime d’internat, nous avons multiplié par dix la ration alimentaire des apprenants, dont certains étaient obligés de cultiver pour manger alors qu’ils sont à sept kilomètres de la ville, dans des situations précaires. Ils ont désormais trois repas décents par jour. Les travaux sont exécutés 35 % et s’achèveront avant la fin de l’année scolaire.
D’autres projets emblématiques, nous avons l’Ecole nationale d’éducation physique et des sports qui n’existait que sur papier. Sa construction a commencé à Dalaba, avec la même approche : nous faisons un atelier de recadrage pour revoir le contenu de formation pour en faire une école de production de personnes employables tout de suite, dont le marché a besoin : des entraîneurs, professeurs et l’école pourrait même accueillir des équipes nationales en mise au vert.
Enfin, le village numérique de Guinée prend en compte l’ensemble des acteurs du numérique, depuis la maternelle : des aménagements pour les entrepreneurs numériques, des Datacenter, des espaces de coworking, des laboratoires numériques comme les Fablab…Les travaux sont avancés, les bâtiments commencent à sortir de terre. Nous espérons que le projet finira cette année. La partie chinoise qui va compléter les travaux et prendre en compte le terrain de sport commence son travail dans deux semaines. Ce projet est extrêmement important : il va délocaliser l’Ecole nationale des postes et télécommunications qui deviendra l’Ecole nationale du numérique, mais également toutes les autres écoles du numérique en Guinée, pour mutualiser les infrastructures.
Il ne reste plus à espérer qu’on libère l’internet…
(Rires). Ça viendra, avec beaucoup plus de compétences créées, la qualité de l’internet s’améliorera.
Le site de Kakimbo avait suscité des remous, avec le déguerpissement de ses occupants. Comment avez-vous géré ce dossier ?
Avec beaucoup de diplomatie. Nous n’avons pas voulu recourir à la force, on leur a donné du temps pour libérer les lieux. Il faut tout de même souligner que le domaine appartient à l’Etat depuis le début. Ceux qui logeaient là-bas étaient des fonctionnaires retraités ou en activité. L’école avait été construite par les Allemands, avec des logements pour les enseignants. C’est au fil des ans que des fonctionnaires ne relevant pas forcément de l’éducation y ont été logés. Les édifices étaient par ailleurs dans un état de délabrement très poussé.
La Guinée est à (re)construire, que faites-vous pour que les diplômés de l’enseignement professionnel y participent au lieu de recourir à des compétences étrangères ?
Nous sommes en train de pousser pour faire valider les acquis d’expériences professionnelles pour les faire équivaloir à des diplômes. Celui qui a fait vingt de mécanique qui n’est pas allé à l’école a la possibilité de venir dans nos centres, se faire évaluer dans sa langue, pour obtenir un diplôme. Cela élargit notre assiette de partenaires dans le cadre de l’alternance. Nous voulons former des gens qui passent plus de temps en entreprise qu’à l’école. Ce qui favorise l’employabilité, permet d’acquérir des compétences techniques tout en se familiarisant avec l’environnement entrepreneurial pendant qu’il étudie.
La première problématique en matière d’emplois, c’est l’information. Quand vous avez besoin d’un maçon, vous ne savez pas où le trouver. Nous avons mis en place une application, Inserjeunes, la plateforme Parcours pro Guinée, permettant d’identifier l’ensemble des apprenants de l’enseignement technique. La première application fait le suivi de l’apprenant depuis son inscription jusqu’à sa première expérience professionnelle. Aujourd’hui, en un clic, nous sommes capables de fournir par exemple des soudeurs à celui qui en ferait la demande.
La deuxième problématique, c’est d’améliorer la qualité de la formation pour répondre aux besoins et exigences du secteur privé. Nous avons commencé en leur demandant de les répertorier et nous les transmettre via Inserjeunes. Le dialogue avec le privé est la meilleure façon de régler le problème d’emploi. Le système tel que nous l’avions trouvé était sclérosé. Nous avons activé l’Ecole normale des professeurs d’enseignement technique, pour former les formateurs. Elle a un Conseil d’administration et un directeur. Elle va se positionner pour ramener en Guinée les meilleures formations, un transfert de compétences, de technique et de technologie. L’enseignement technique est sur une voie qui lui permettra de se qualifier dans deux ans, lorsque tous ces compartiments déclinés travailleront en plein régime. Déjà, nous avons envoyé 300 enseignants des ENI à l’ISSEG (Institut supérieur des sciences de l’éducation de Guinée) dans des classes de master, pour qu’ils se perfectionnent et reviennent enseigner mieux. (Suite au prochain numéro).
Interview réalisée par
Diawo Labboyah Barry