Le 7 février 1992, à l’initiative d’un groupe de compatriotes qui ont pris grand risque, lancer un hebdo satirique, les Guinéens découvrent le numéro 01 du Lynx. Un pari risqué, en dépit de la liberté d’expression naissante, les autorités demeurent frileuses sur le sujet.
Sur un tout autre plan, la rentabilité du journal n’était pas assurée d’emblée en raison du style inconnu des Guinéens. Mais comme dirait l’autre, la chandelle en valait vraiment la peine. Lentement, progressivement, le satirique du lundi s’est fait un fidèle lectorat. Chaque début de semaine, les lecteurs sont impatients de lire la Une du satirique, avec sa façon bien singulière de croquer l’actualité. Cette prouesse reconnue par les uns et les autres aujourd’hui, est le couronnement de plusieurs années d’efforts soutenus. Dans un environnement marqué par la faiblesse de la culture de lecture – cette culture commence à prendre corps chez nous -, un circuit de distribution artisanal, une ignorance des vertus de la publicité, et des coûts de fabrication énormes, sortir chaque semaine relevait d’un véritable parcours du combattant. En dépit de toutes ces difficultés, Le Lynx a tenu bon, est sur ses trente et un an ans.
Pour la petite histoire, c’est par un pur hasard que j’ai pris connaissance de ce satirique. Un après-midi du mois de février 1992, sur l’avenue de la République, je croise feu Alhassane Diomandé un despionniers du Lynx, tenant dans ses bras un lot de journaux. Il me tend un numéro en me déclarant : ‘’Ce journal est très élitiste, je vous conseille de l’acheter, vous ne le regretterez pas ‘’. C’est ainsi que j’ai découvert pour la toute première fois Le Lynx.
Mon intégration à la rédaction, elle est due au flair de l’actuel administrateur général du groupe. En 1992, de graves événements surviennent au Togo. Les militaires donnent l’assaut à la primature pour remettre en cause le processus démocratique engagée après la Conférence nationale de 1991. En réaction à ces événements, dans la rubrique courrier des lecteurs, je signe un papier ‘’La démocratie assassinée au Togo’’. Lettre publiée dans la livraison du Lynx N°12 du 11 mai 1992. A la sortie du journal, M Souleymane Diallo me convie à un entretien pour me proposer les colonnes du Lynx en qualité de pigiste. Et depuis, ma collaboration se poursuit avec bonheur au Lynx.
A deux jours près, les 31 ans du journal coïncident avec la date anniversaire de la disparition de William Sassine, le chroniqueur assassin. Le 9 février 1997, la mort emportait notre confrère. Au faîte de sa célébrité en Guinée, la plume de Sassine s’est cassée. Avec son style alerte, il croquait à sa façon l’actualité. De retour d’un long exil, Sassine avait trouvé au Lynx un espace pour donner libre cours à son talent et à son inspiration. Au fil des semaines, la page Assassine du Lynx était devenue la plus lue du journal. Le cas Sassine illustre éloquemment le paradoxe Guinéen. Bien connu à l’étranger, il aura fallu Le Lynx pour découvrir en Guinée l’écrivain qui aimait écrire en vain. Elisabeth Degon dans son ouvrage Williams Sassine, itinéraires d’un indigné guinéen, parle d’un écrivain discret, aux multiples facettes, qui a laissé dans la littérature africaine de langue française une empreinte profonde qu’il est temps de redécouvrir. S’il est célèbre surtout par ses romans, sa réputation repose principalement sur la Chronique assassine dans l’hebdomadaire satirique Le Lynx.
L’évocation du souvenir de Sassine nous donne l’opportunité d’avoir une pensée pieuse pour nos confrères disparus : Alhassane Diomandé, Sékou Amadou Condé, le doyen Sambry Sako de Bokoro, Jean-Baptiste Kourouma, le doyen Félix Fabert, Assan Abraham Keïta, Ahmed Tidjani Cissé, Prosper Doré, Mme Diallo Fatoumata Bintou, Sotigui Kaba, Mountaga Diallo, Abdoul Gadiri Diallo, Aliou Barry alias Koro Mory, Mohamed Diallo, Bah Mamadou Lamine (BML), Diallo Ibrahima dit Diallo I. Ils ont chacun contribué à leur façon au rayonnement du journal. Durant cette semaine d’anniversaires croisés, toute la rédaction s’inspirera de leur exemple.
Les géniteurs du Lynx peuvent s’enorgueillir du lancement de ce canard qui est devenu une véritable institution. Plusieurs patrons de presse ont fait un passage plus ou moins long à la rédaction. On peut citer, entre autres, Sanou Kerfalla Cissé du Groupe Afric Vision, Sékouba Savané, directeur de publication de la Nouvelle-Elite, et ex dirlo de la RTG, Oscar directeur de publication du satirique Bingo, Moussa Cissé, ex directeur du Bureau de paresse de la Présidence.
Le Rossignol