Contrairement à son prédécesseur, le nouveau Premier ministre guinéen n’est pas un inconnu du grand public. Bah Oury est un acteur de premier plan du processus démocratique dans lequel la Guinée s’est engagée depuis le début des années 90. Une expérience qu’il pourrait mettre à profit pour faire la différence avec Bernard Goumou. Cette nomination intervient à un moment où plusieurs centrales syndicales ont déclenché une grève générale.
C’est autant dire que le nouveau Premier ministre ne chômera pas au Palais de la Colombe. Il est attendu par son patron qui exigera des résultats immédiats. Notamment, calmer le jeu avec les syndicalistes. Mais ces derniers attendent aussi. Ces derniers temps, ils n’avaient plus d’interlocuteurs crédibles dans un gouvernement miné par la cacophonie au sommet. Bah Oury n’est pas moins attendu par les médias qui espèrent que le nouveau chef du gouvernement, connaissant les enjeux liés à la liberté de la presse, mettra fin au martyr que connaissent les médias privés : radios, télés et sites internet.
Mais le tout premier défi de Bah Oury est de trouver des hommes et des femmes capables de conduire une transition inclusive et apaisée devant aboutir au retour à l’ordre constitutionnel. De la réussite ou de l’échec de cette mission, dépendra l’avenir politique de l’homme. En effet, une transition conduite avec succès ouvrira toutes les portes au tandem Doumbouya-Bah. Tout comme un éventuel échec scellera son destin.
Une fois son équipe installée, le nouveau chef du gouvernement devra s’atteler à restaurer la confiance avec les acteurs sociaux et les médias. A ce sujet, les premières décisions sont très attendues. Il faudrait, dans un premier temps, obtenir un accord et une trêve avec les centrales syndicales. Après, se tourner vers les décideurs pour savoir quelle est la motivation de brouillage des ondes et convaincre le CNRD de mettre fin à cette pratique rétrograde. Ensuite, rapporter la décision d’interdiction d’accès de certaines chaines de télévisions au bouquet Canal+. Ce sont là, entre autres mesures urgentes, que le Premier ministre devra prendre pour opérer une rupture avec le passé. Et faire renaître un nouvel espoir.
Pour atteindre cet objectif, M. Bah doit avoir les coudées franches. Confronté à sa première grande épreuve dans la gestion d’un Etat, Mamadi Doumbouya ne devrait pas se faire prier pour laisser un certain nombre de marge de manœuvre à son troisième Premier ministre en moins de 3 ans. Il devra donc tirer les leçons et éviter de faire ce que dit un vieil adage : offrir la tête et attraper les pieds. Ce dont a été victime l’ancien PM Bernard Goumou, avec des chefs de départements bombardés ministres d’Etat et qui croyaient sortir tout droit des cuisses de Jupiter. La contestation de l’autorité du Premier ministre a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Ayant successivement occupé les postes de ministre, de député et de vice-président de l’une des plus grandes formations politiques du pays, l’homme a connu l’évolution politique de la Guinée ces trente dernières années. Cette expérience a, sans doute, pesé dans son choix. Un choix qui constitue en quelque sorte la remise en cause du fameux rajeunissement qui avait le vent en poupe au début de la Transition.
Les obstacles ?
Malgré tout, Bah Oury n’a pas que des atouts. Il a aussi des obstacles devant lui. Soupçonné à tort ou à raison d’avoir signé avec l’ancien Président un pacte contre son parti, il a été exclu de sa formation politique, l’Union des forces démocratiques de Guinée, UFDG. Une exclusion qu’il a contestée sans succès. Après la tentative infructueuse de reconquérir ce parti – qui a tourné au drame avec la mort par balle du journaliste Mohamed Koula Diallo au siège de l’UFDG en 2016-, il s’était résolu à adhérer à d’autres partis, mais avait fini par en créer un autre. Jusqu’à date, les partisans de l’UFDG et ceux de l’UDRG se lancent des flèches par réseaux sociaux interposés. Les premiers ironisent que les seconds ne remplissent pas un télé-centre. Inutile de dire que la nomination d’un farouche adversaire de Cellou Dalein Diallo inquiète les partisans de ce dernier.
Le nouveau Premier ministre devra donc aggraver ou dissiper la crise. C’est le défi qu’il devra rapidement relever : montrer à tous qu’il est neutre et impartial dans la conduite de la Transition. Ou s’inscrire dans une logique de défiance et persécution contre ceux que lui et ses alliés appellent « l’opposition radicale ».
Habib Yembering Diallo