L’Association des victimes des camps Boiro (AVCB) et le Consortium des associations des Jeunes pour la défense des victimes en Guinée (COJEDEV) intensifient la lutte pour le respect des droits des victimes de violences en Guinée. Mercredi 13 mars, lors d’une conférence à la maison de la paresse de Cona-cris, elles ont diffusé un magazine de témoignages des différentes victimes de la République de Guinée de 1958 à nos jours.
Le documentaire d’une quinzaine de minutes porte le thème « Partager les récits du passé pour préserver la mémoire ». Des victimes du Camp Boiro, du 22 janvier 2007, du massacre du 28 septembre 2009, mais aussi de Kaporo-rails, ont livré des témoignages sur les atrocités qu’elles ont subies : tortures, viols et assassinat. Dans la vidéo, ces victimes ont répondu à ces questions : De quoi avez-vous été victime dans notre pays depuis son indépendance ? Quels souvenirs vous gardez à cet effet ? À qui imputez-vous la responsabilité des violences que vous avez subies ? Quelles sont vos réclamations ? Chaque victime a pointé du doigt le Prési du régime politique de son époque, entre Ahmed Sékou Tyran, Général Fory Coco, Capitaine El Dadis Camara et Alpha Grimpeur. S’ils ont décidé de se faire entendre, c’est pour ne pas tomber dans les oubliettes. Ils disent ne pas s’attendre à une compensation, mais réclament justice, réhabilitation et respect de leurs droits.
Boussouriou Diallo du COJEDEV a souligné que le but du projet est d’attirer une fois de plus l’attention des autorités sur le sort de ces victimes. « Pour les quinze témoignages, nous avons choisi sept victimes du Camp Boiro. Les huit autres, sont des victimes d’événements que nous avons choisis en fonction de la pertinence et de la maîtrise du sujet. » Interpelé sur l’absence des victimes du régime de la Transition actuelle, Boussouriou Diallo soutient qu’ils ne font pas de cadeau à un régime politique. Le choix a été stratégique. « Quand il s’agit des questions de principe et de valeurs, nos Organisations gardent une position très claire. » Il a attiré l’attention sur l’absence dans le documentaire des victimes de 1985, qui, selon ses dires, doivent réaliser d’autres activités mémorielles, notamment sur la purge de 1985.
Sortir des ténèbres
Dr. Rama Taran Diallo, fille de l’ancien ministre Alpha Taran assassiné par le régime de Sékou Touré, estime qu’il faut obligatoirement affronter le passé sombre de la Guinée et rétablir la vérité. « Nous considérons que nos parents injustement assassinés sont innocents du fait qu’ils n’ont pas eu droit à un procès équitable ni à une défense. Ils sont traités de comploteurs jusqu’à nos jours et nous exigeons qu’ils soient réhabilités juridiquement. C’est un préalable pour qu’on puisse parler de réconciliation nationale, ensuite la Guinée pourra décoller ». Dr Taran dit ne pas avoir de haine, ni une volonté de vengeance, mais qu’elle a toujours un mal profond. Pour elle, réhabiliter les victimes du Camp Boiro est le seul moyen qui puisse permettre à la Guinée de sortir des ténèbres. Elle a prié pour que la Guinée ne soit jamais amenée à revivre ces atrocités.
Alpha Tély Diallo, l’une des victimes, attire l’attention sur le fait que chacun de nous a été victime de violences politiques d’une manière ou d’une autre. « Quand un malade ne peut pas se soigner dans notre pays, il est victime de ces violences. C’est facile de dire de pardonner et de reconstruire, mais ce n’est pas possible sans la justice. On ne pourra pas s’en sortir tant que justice ne sera pas rendue. Nous ne voudrions pas que nos enfants vivent avec ce tort, mais ça ne changera pas tant que les autorités continuent de jouer à l’ignorance… Personne ne balayera ou ne piétinera l’histoire de ce pays. On va dire la vérité, réhabiliter et après se donner la main pour transformer le pays. Au cas contraire, on ne fera que racontrer des histoires et le pays ne bougera pas ».
Abdoulaye Conté, président de l’Association des victimes du camp Boiro a fait une mise en garde afin d’éviter de perpétuer les violences qui se sont succédé en Guinée. Pour lui, la seule façon d’arrêter ce cycle infernal de violences est « le respect des droits de l’Homme. Permettre aux gens d’être jugés dans le respect de la Constitution et des textes de loi. Il a invité l’État guinéen à revoir sa copie, revenir sur l’histoire violente de la Guinée et l’arrêter en reconnaissant la vérité sur les faits et stopper l’omerta ». Dans les jours à venir, ces victimes comptent saisir le nouveau Premier ministre, Amadeus Oury Bah, avec ce magazine de témoignages accompagné d’un mémorandum afin de l’inciter à faire de ces dossiers, une priorité de son gouvernement.
Abdoulaye Bah