Mamadou Sounoussy Diallo, PhD Socio-Anthropologie, Maître-Assistant du CAMES, enseignant à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (Conakry) avait abordé la migration irrégulière guinéenne vers les Etats-Unis en janvier dernier. Notamment la route migratoire: Conakry-Dakar-Istanbul-Nicaragua (…) Mexique-Etats-Unis d’Amérique. Pour la suite de ses recherches, il revient dans cet article sur la vie des migrants aux Etats-Unis. Bonne lecture !
Ces derniers temps, par milliers, des Subsahariens dont des Guinéens affluent vers les Etats-Unis d’Amérique, via le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Mexique, entre autres.
C’est désormais un rituel : les familles en Guinée célèbrent l’arrivée d’un des leurs sur le sol américain. Les voies et les destinations migratoires se sont nettement reconfigurées. Les voies du Sahara, Méditerranée-Europe avec leurs cortèges de morts, séquestrations, traitements dégradants sont désormais boudées au profit de Nicaragua-Mexique-Etats-Unis. Les trois centres de délivrance du passeport du Ministère guinéen de la Sécurité et de la protection civile (MSPC) à Conakry ne désemplissent pas. Plus d’un agent de police s’interroge sur la montée vertigineuse de la demande du passeport au détriment de la Carte nationale d’identité. La demande est si importante qu’il manque fréquemment de carnets de passeport biométrique, notamment ceux à la validité de 5 ans. D’où l’impression que notre pays se vide de sa population active comme si on était en guerre ou catastrophe naturelle.
La nouvelle voie migratoire Conakry-Mexique-Etats-Unis est aujourd’hui adulée par les Guinéens, connus jusqu’à récemment, comme l’une des premières populations subsahariennes demandeuse d’asile en Europe. Les migrants guinéens qui empruntent cette route migratoire foulent le sol américain par l’axe Nicaragua-Honduras-Guatemala-Mexique. Dans ce dernier pays, ils entrent par les villes de Tapachula, Cochitan et Mexico (la capitale) et en sortent par Las Conchas, ville mexicaine des frontières américaines. Ce trajet, comme toute autre route migratoire irrégulière, constitue un véritable calvaire que les migrants ne cessent d’emprunter à tout prix.
Les portes d’entrée des migrants aux Etats-Unis
A partir des frontières mexicaines, plusieurs portes d’entrée sur le sol américain s’offrent aux migrants. Il s’agit principalement des portes du Texas, d’Arizona et de la Californie. Celle de Californie se situe à Tijuana. Parmi elles les plus prisées et les plus faciles à franchir, selon les enquêtés, sont celles où gouvernent le camp des Démocrates américains. Selon des migrants, les Démocrates sont plus accueillants et plus ouverts à la question des demandeurs d’asile ou tout simplement aux étrangers que leurs homologues Républicains. Cette perception a été confirmée par la quasi-totalité des migrants (primo et nouveaux), touchés par notre étude. Selon un primo migrant, le Texas étant gouverné par les Républicains, récemment, le Gouverneur de cet Etat a voté une loi interdisant quasiment la venue des migrants dans son territoire. Il aurait préconisé la mise en place d’une base militaire bien formée et équipée, dès avril de cette année, pour veiller uniquement sur la question des migrants et bloquer tout passage ou encore entrée clandestine aux Etats-Unis à partir du Texas. Selon nos interlocuteurs, c’est l’une des portes d’entrée de migrants la plus difficile et la plus risquée, on peut refouler le migrant, l’arrêter, l’expulser ou le rapatrier tout simplement. C’est pourquoi, les primo-migrants et les réseaux migratoires déconseillent cette route aux candidats à l’immigration.
Les primo-migrants qui y sont passés indiquent que dès l’arrivée du migrant dans cette ville, il est accueilli et conduit dans un camp où il sera détenu pour des jours voire des mois avant qu’on décide de son sort : le relâcher ou l’expulser. Mais avec l’afflux des migrants et l’exiguïté du camp, un migrant qui arrive n’est retenu que pour deux ou trois jours : le temps de faire sa traçabilité.
La sortie du camp et le processus de régulation
Le principe est simple : Nul ne peut entrer de manière invisible ou incontrôlée sur le sol de la super puissance mondiale. Les entrées et les sorties sont tracées, afin de garantir la sécurité intérieure du pays. Pour y entrer de façon légale ou illégale, l’arrivée obéit à une démarche très fine. Les autorités américaines ont installé un dispositif de sécurité et de contrôle qui reçoit les migrants et qui les interne au sein des camps de transit. Chaque migrant doit y passer. Dès sa sortie du camp, il cherche une destination vers un Etat américain où il estime trouver un accueil ; c’est d’ailleurs une des conditions pour y sortir. Une fois arrivé dans son Etat de destination, le migrant débute le combat pour sa régularisation temporaire et sa survie. C’est le début d’une nouvelle vie. Le rêve se transforme en cauchemar et l’enthousiasme en désillusion. Et comme disait l’autre, le tout se mélange comme « les fils de courants dans les quartiers précaires des villes africaines ».
A la sortie du camp où ils sont internés et contrôlés notamment sur leur identité et leur parcours, les migrants sont relâchés et peuvent vivre temporairement sur le territoire américain sous conditions. Les conditions qui permettent au migrant irrégulier de vivre temporairement sur le sol américain reposent essentiellement sur la capacité du migrant à démontrer qu’il peut se présenter pour la suite des procédures devant les autorités administratives pour la régularisation ou non de sa situation d’immigré. Elles reposent aussi sur la capacité d’un migrant à prouver son choix d’immigrer aux USA mais aussi sa capacité à s’adapter à la société américaine. Selon les primo migrants interviewés, cette procédure peut prendre des années, surtout que les autorités américaines en charge des dossiers des migrants sont débordées par les demandes d’asile ou de résidence des migrants.
Cartographie des migrants guinéens aux Etats-Unis
L’Etat américain qui accueille de plus de migrants d’origine guinéenne c’est New York. Un quartier serait même surnommé petit-Conakry dans le (Bronx), à Manhattan, à Brooklyn, à Queens, à Indianapolis etc. Selon un de nos informateurs, la communauté guinéenne y est très concentrée. Après cet Etat, Philadelphie et Atlanta accueillent une forte communauté guinéenne constituée de primo-migrants de longue date. Les informations recueillies auprès des migrants montrent qu’après la traversée des frontières, ils se dirigent pour la plupart vers ces Etats américains cités ci-haut. Les uns prennent dès lors contact avec un parent, un ami ou une association ethnico-territoriale constituée de Guinéens. Cependant, les autres suivent le premier groupe dans l’espoir que le salut va leur sourire.
Accueil, socialisation, insertion, régulation
Pour offrir une assistance aux nouveaux migrants, les primo-migrants guinéens ont formé plusieurs associations d’aide et de soutien aux nouveaux immigrés. Celles-ci travaillent d’arrache-pied pour soulager les compatriotes ‘’ayant fui le pays’’. De nos jours, l’accueil des migrants irréguliers, une aventure migratoire et un vrai périple pour ses associations et pour les parents vivant aux USA. A la sortie du camp ou après la traversée des frontières, l’accueil se fait à deux niveaux. La première catégorie est accueillie soit par une famille ou par un proche, un ami déjà informé de l’arrivée du migrant. La seconde catégorie est accueillie par les « Shelter » (Centres d’accueil des migrants) que les autorités américaines ont installés dans les Etats de destination des migrants. Ces centres seraient en tentes qui ressembleraient à celles qui sont mises en place pour accueillir les réfugiés de guerre et climatiques. Ils sont particulièrement visibles dans l’Etat de New York. Ils offrent à chaque migrant, un toit temporaire avec un lit d’une place, de la nourriture et de l’eau, matin et soir. Pour s’identifier, chaque migrant est muni d’un badge où est marqué le nom de son foyer et d’autres informations clés.
Plusieurs interlocuteurs informent que ces centres connaissent ces derniers temps un afflux de candidats au point qu’un migrant qui en fait la demande et qui est accepté n’y fera qu’un mois. Ceux qui viennent à New York dans les ‘’Shelter’’ doivent s’inscrire pour espérer y trouver un logement. Ce logement social ou d’urgence valable pour un mois offre un possible renouvellement, mais il faut se réinscrire.
Une troisième catégorie de migrants trouve refuge dans les lieux de culte. Ces lieux de culte sont devenus surpeuplés, sinon débordés. A ce jour, la mosquée du Bronx, un quartier populaire de migrants à New York, est submergé et débordé. Ce qui est confirmé par les données de la police des frontières américaines. Rien que dans la dernière semaine de décembre 2023, elle a dénombré plus 69 462 migrants entrés illégalement aux Etats-Unis. De 8 000 à 15 000 Guinéens seraient arrivés aux Etats-Unis entre décembre 2022 à décembre 2023. Ces chiffres ont tendance à faire de la Guinée, l’un des premiers pays d’Afrique au Sud du Sahara demandeur d’asile aux Etats-Unis comme cela l’avait été il y a quelques années en Europe.
Après la période d’accueil et de soutien social, certains migrants filent vers d’autres centres pour tenter une seconde chance. Ceux qui ne réussissent pas sont éjectés dans la nature, avec tous les risques que cela suppose : ils perdent quasiment toutes les formes de couverture sociale, ils peuvent verser dans les gangs et dealers américains. Selon un primo-migrant, « ils deviennent dangereux pour leurs compatriotes mais aussi pour la société américaine ». A ce jour, les migrants illégalement entrés sans toit, ni tuteur ni situation se comptent par milliers dans les rues américaines, sous les pieds d’immeubles, dans les gares et dans d’autres espaces publics. (Suite dans notre prochaine mise en ligne).
Par Mamadou Sounoussy Diallo
PhD Socio-Anthropologie Maître-Assistant du CAMES
Université Général Lansana Conté de Sonfonia Conakry