Sékou Tyran, le premier Prési de la Guinée indépendante, est mort le 26 mars 1984 à Cleveland, Etats-Unis. Le 3 avril 1984, l’armée guinée-haine, sous l’égide du CMRN, s’empare du pouvoir et met aux arrêts les dignitaires qui avaient agenouillé le pays. L’Association des Victimes du Camp Boiro (AVCB), dévoile les dépositions de 12 de ces dignitaires devant la Commission d’enquête du CMRN.

Après l’audition d’Abdoulaye Touré (ministre des Affaires extérieures de 1979 à 1984), de Moussa Diakité, multi ministre de 1963 à 1984, notamment de la Justice, de l’Intérieur, du Commerce, celle de Damantang Camara, ancien ministre, ancien président de l’Assemblée nationale. Voici celle de Touré Ismaël, ex-ministre des Mines et Géologie. (La fuite du Lynx N°1672 du 29 avril).

Ismaël Touré  (suite et fin): Au cœur de la commission d’enquête !

Commission d’enquête :   Une autre question s’il vous plaît, vous aviez dirigé, dans le temps, le Comité Révolutionnaire...

Ismaël Touré : Oui.

Quelle était votre mission là?

Je dirigeais ce comité souvent en tant que chef de la délégation du BPN ou de la commission du BPN. Mais une fois sur place, selon les préfectures, on créait plusieurs sous-commissions. Et chaque sous- commission était confiée à un membre du BPN. Bon, à un moment, d’une manière pratique, le fait d’être le chef, le président de la commission générale, a très peu de signification puisque les commissions travaillent indépendamment, font leur rapport et le transmettent avec la même autorité et indépendance que la commission même dirigée par moi. Voilà comment nous travaillions. Les membres des commissions en général étaient trois.

Trois ou quatre ?

Trois ou quatre. Parfois plus puisque, une fois, il y a des extensions… et là, ça travaillait indépendamment de ce qui se passait à Conakry.

 Qu’avez-vous à nous dire de la cabine technique ?

Je dois vous dire que la cabine technique, une chose dont la signification m’est apparue plus clairement ici. Alors puisque, quand la commission du BPN vient, elle occupe un bureau. Un bureau à la direction du camp Boiro. Le premier bureau est parallèle à la route de Donka. Et parallèle à l’hôpital. Bon, on leur transmet les dossiers des gens qui sont déjà hébergés dans le camp. Ils voient les dossiers, ils répartissent entre les commissions le volume des dossiers pour équilibrer à peu près le travail et ils convoquent un à un les intéressés pour les premières déclarations : nom, prénom, etc. Puis après ceux-ci rejoignent les autres et ensuite s’il y a un fond de dossier, on étudie et on prépare les questionnaires. Il y a maintenant des cadres administratifs qui amènent à chaque intéressé la série de question plus du papier blanc, plus un crayon pour faire les réponses. Alors, quand les réponses viennent, on apprécie évidemment le degré de sincérité ou non, et si la commission n’est pas satisfaite de la réponse, on peut demander à tout moment de l’amener en cabine technique. C’est à dire de tout faire pour qu’ils disent la vérité. Alors je peux vous dire que les ministres allaient très rarement, certains peuvent même vous dire qu’ils n’ont jamais été de ce côté.

En fait, cette cabine technique servait en principe à torturer ?

Non, euh, avec votre permission, je dirais que ce n’est pas tout à fait le cas. À effrayer. Pour avouer.

Mais d’autres qu’on a sortis paralysés…

Ah, vous savez, ça dépend de la gravité des cas aussi. Par exemple, les mercenaires qui ont été pris, ont sûrement eu moins de ménagement que d’autres.

Combien de cas de mort et de paralysie à la cabine technique vous avez enregistrés ?

Paralysie, je ne connais pas. Mais des cas de décès on en a enregistré un. C’était soit un diabétique, quelqu’un qui était très malade. Il n’a pas pu supporter du tout le premier choc électrique. On se souvient à l’époque c’était le… si je me trompe pas, le capitaine Kouyaté qui était chargé de la cabine technique. Alors, il l’a déploré et nous aussi, et des instructions FERMES ont été données pour qu’on vérifie l’état de santé des gens avant de faire quoique ce soit.

Vous étiez encore au Comité Révolutionnaire, vous étiez au Comité Révolutionnaire pendant l’agression?

Après l’agression oui, euh, après ça, ce n’est qu’en 1977, 27 août, que je suis revenu. Je n’ai même pas terminé quand il y a eu la visite de Mack Namara, on m’a remplacé.

 Euh, au sujet du complot de l’agression impérialo-portugaise, il y a eu… on a fait état du complot SS Nazi. Euh, à l’issue de l’interrogatoire, des sommes fabuleuses en devises étrangères comme étant le fruit de corruption des soi-disant comploteurs avaient été annoncées. Veuillez-nous dire d’abord si c’est ces sommes là avaient été récupérées ?

C’est à dire que… il y a eu plusieurs annonces ou des annonces à plusieurs niveaux. Par exemple on peut récapituler les appointements avoués par ceux qui ont déposé. Apprécier le temps qu’ils ont mis, puisque c’était mensuel, on a cumulé voilà un montant.

Quelles sont les sommes réellement perçues par les uns et les autres, c’est là qu’il y a un peu plus de difficultés. Parce qu’on s’est aperçu que certains ont eu des promesses mais n’ont jamais touché un centime. Ils se sont faits, excusez-moi du terme, rouler par (taupe ?!). Alors il y en a qui avait dans leurs affaires à domicile des chéquiers, on a pu mettre la main sur certains chéquiers, on les a regroupés, on a fait aussi le compte des montants indiqués par les chéquiers sur les talons pour ce qui est déjà décompté.

Avez-vous gardé les chéquiers ou l’argent en espèce ? Ou si ça avait été récupéré par l’État ?

Après l’exposition qui a eu lieu au Palais du Peuple, les choses ont été ramenées, je crois, au camp Boiro, à ma connaissance. Je vous jure que ma connaissance s’arrête là.

Donc vous ne savez pas si ça avait été récupéré ou pas ?

Je peux vous le jurer sur mon honneur. Non, je n’ai pas de question.

Alors arrivé au camp Boiro, qui a perçu ces objets-là ? Qui les a récupérés ?

Alors je ne peux pas vous préciser…

Qui gérait là-bas en ce moment ?

C’est à dire qu’après l’exposition, nous n’avons plus été au camp Boiro. Puisque les objets avaient été pris au camp Boiro pour être amenés au Palais du Peuple, on les a ramenés sûrement au camp Boiro.

 Qui était là-bas en ce moment ?

Je vous assure, je ne peux pas vous le préciser. Ce n’est pas de la mauvaise volonté. Moi-même j’avais en tête, j’ai perdu beaucoup de choses là-bas, des postes radio, des bijoux, etc. Et je dois le préciser, il y en avait pas beaucoup de liquidité, des dollars liquides, il y en avait pas beaucoup.

Quelles ont été les remarques faites par Amnesty international au Comité Révolutionnaire au cours des entretiens que vous avez eus avec cette organisation ?

Ils sont venus à Conakry ?

 Oui, Amnesty international.

À l’époque je n’étais pas membre de ce Comité Révolutionnaire, et j’ignorais totalement leur mission à Conakry. Peut-être même que j’étais à l’extérieur. J’en ai entendu parler ici, à Kindia, quand on nous a parlé d’un reportage à Kindia en disant que c’était la deuxième fois qu’ils venaient. Certains camarades ont pu même reconnaitre des membres d’Amnesty. Personnellement je ne les avais jamais vus.

Pour quelle raison le régime de diète était imposé à certains détenus ?

La diète, si vous voulez, quand quelqu’un insistait à refuser à reconnaître des évidences, il y avait la diète.

 Euh, à la fin de vos différents travaux d’investigation, euh, la synthèse de vos travaux était faite de quelle manière (étatique ?)

Il faut, il faut plutôt parler des dossiers des détenus, leur déposition finale et l’enregistrement qui en résulte. C’est cela qui était collectionné et envoyé à la présidence.

 Euh, …. excepté les quelques annonces faites, annonces qui avaient précédé les pendaisons, à notre connaissance, il n’y a pas eu, euh, de tribunal proprement dit pour juger tous les éléments de la soi-disant cinquième colonne. De qui venaient alors les décisions d’exécution ? Parce qu’il y a eu des gens quand même qui ont été condamnés à la peine capitale et exécutés.

Les condamnations ?

Oui !

En général, les condamnations étaient faites après les réunions des instances du parti. De la BASE, comité de BASE…

Donc y compris aussi les exécutions ?

Les décisions de condamnation aux différentes peines, y compris la peine capitale.

 Et les décisions d’exécutions ?

Non, là, ce n’est jamais quelque chose qu’on discute. Il y a le droit de recours en grâce, donc je crois que c’est une prérogative de qui de droit.

Ce n’était pas discuté, hein ? Les exécutions là, quand les dossiers étaient faits, on faisait un compte-rendu.

 Oui !

B : Donc c’est une décision qui était prise à un seul niveau et dont on ne pouvait pas discuter?

Oui, le délai… non seulement ce n’était pas discuté mais les dates n’étaient pas connues par nous.

Vous avez déclaré, lors de votre dernier interrogatoire, avoir versé la contrevaleur en sylis des sommes à vous allouées par Monsieur Franzin.

A : Monsieur Franzin ?

Oui, monsieur Franzin a eu à payer les frais d’hospitalisation de Madame. Quelle est la procédure employée pour le remboursement de ces sommes-là ?

On remettait à son agent qui est à Conakry. Monsieur Franzin est un ami, je vous l’ai dit, depuis 1951.

1951 ?

Oui, quand j’étais étudiant à Paris.

 Est-ce que vous avez des comptes bancaires à l’extérieur?

Je peux vous jurer encore une fois, sur mon honneur, que je n’ai pas de compte en banque, que je n’ai pas UN centime à l’extérieur. Euh, pour vous mettre à l’aise, si quelqu’un vous donne quelque chose qui serait un compte à mon nom à la banque, je crois que votre commission pourra accepter à ce moment ma proposition, qui est de me faire signer un papier pour que cette somme revienne à l’État guinéen.

B: Si nous vous posons cette question, c’est que j’ai devant moi une liste d’anciens dignitaires possédant des comptes bancaires à l’extérieur. Et cette liste elle a été fournie par la commission d’enquête du CMRN. Cette liste a été retrouvée dans les effets du feu président de la République, Ahmed Sékou Touré. Et sur cette liste, vous, votre nom est en tête, pour avoir possédé un compte bancaire à Zurich. Avec l’adresse de la banque cantonale de Zurich.

Vous me mettez à l’aise, avec votre permission, de temps en temps circulaient des listes d’éléments ayant des comptes à l’extérieur. Le Président en parlait souvent, mais JAMAIS lui-même n’a lu une de ces listes ni en réunion du BPN ni en gouvernement, et n’a eu donc à dire à chacun …, c’était une épée de Damoclès qui flottait sur toutes nos têtes, mais ça n’a jamais été prouvé. Nous ne sommes pas surpris que cette liste existe.

B : Parce que si nous insistons sur ce point, parce que le CMRN et le Président de la République ont décidé que toute personne ayant son nom sur cette liste soit donnait l’argent qui se trouve dans ce compte bancaire-là à l’extérieur et obtenait sa liberté, ou n’avait pas versé l’argent là à la Guinée restait permanemment en prison. C’est pour cela que nous nous faisons le devoir de vous poser la question.

S’il y a le numéro du compte et la banque et si la commission estime qu’on peut écrire sur ces bases, je peux signer n’importe quel document accompagnant cette lettre pour que la somme soit mise au compte de l’État guinéen. À tout moment. Pas aujourd’hui, à TOUT moment, même après.

Vous n’avez pas d’autres questions ?

Non

Qu’avez-vous à ajouter à cette déclaration s’il vous plait ?

Euh, je dois d’abord remercier la commission pour les efforts méritoires qu’elle n’a cessé de déployer depuis la première enquête.

Deuxièmement je dois la remercier et la féliciter pour le tact et la courtoisie qui ont accompagné toutes ces questions de manière à ce que nous qui sommes en face de vous, ne soyons nullement blessés ni agressés dans notre personnalité. Je suis infiniment reconnaissant. Et nous souhaitons le plus grand succès à votre commission. Là, nous connaissons le Président, nous avons pris le Président en amitié de loin, de ce que l’on nous a dit de lui quand il était AREDOR.

 Merci alors !

(Fuite dans le prochain numéro)