Depuis la nuit des temps, la ville a toujours ravi la vedette au pauvre village. Dans tous les pays du monde, les villages se vident pendant que les villes se remplissent et grouillent du monde. C’est l’urbanisation et ses corolaires de stress, d’angoisse et d’anxiété. Ce n’est pas une particularité guinéenne. Et pourtant, ce pays a une particularité en la matière. Il suffit de faire un tour dans le pays profond pour faire le constat plutôt amer. Nos villages, malgré leur calme et leur beauté, sont devenus des foyers pour deux types de personnes : le vieux et le démuni.
Vous pouvez trouver un village entier dans lequel il n’y a aucun jeune. Tous sont partis. Les uns pour les grandes agglomérations du pays. Les autres plus loin, pour devenir des citoyens du monde. Comme aux Etats-Unis où, ces derniers temps, des jeunes Guinéens sont entrés massivement via le Nicaragua. D’autres tentent par les moyens les plus périlleux pour rallier le vieux continent qu’ils croient être un paradis sur terre et qui s’avère être le plus souvent un véritable enfer.
Pendant ce temps, personne, ou presque, ne prend le chemin inverse pour rentrer au village. Lequel les hante. Paradoxalement, ces villages ont changé. Positivement ou négativement. A la place des cases rondes -menacées de disparition si ce n’est pas déjà le cas- des bâtiments modernes poussent comme des champignons. Du contenant sans contenu. De très belles villas, alimentées en eau courante et de l’électricité grâce au solaire, avec leur écran plat et ostensiblement meublées, sont fermées, faute d’occupants. Les propriétaires sont à Conakry ou à l’extérieur du pays.
Deux principaux facteurs sont pointés du doigt pour expliquer cet exode massif : la défaillance du système de santé et de l’éducation. Résidents et ressortissants se battent pour doter nos villes et villages de l’intérieur de centres de santé et d’écoles modernes. Dans maints endroits les infrastructures dignes de ce nom existent. Mais le personnel fait cruellement défaut. L’Etat est incapable de doter écoles et centres de santé de personnels compétents et suffisants. Et, pour l’éducation, les enseignants qualifiés font des pieds et des mains pour rester à Conakry et ses environs. Les rares qui sont mutés à l’intérieur négocient avec d’autres pour faire le travail à leur place, moyennant une partie du salaire. Avec, évidemment, la complicité des responsables de l’établissement.
Si le déficit d’enseignants est à peu près comblé par le personnel dit communautaire, ce n’est pas le cas pour la Santé. Un slogan dit « n’est pas enseignant qui le veut ». Mais la réalité est tout autre. La plupart d’entre eux n’ont aucune formation relative à l’enseignement. Certains savent à peine lire et écrire. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le niveau des enfants. S’agissant de la santé, la situation est différente. Il est plus facile de se proclamer du jour au lendemain enseignant qu’infirmer ou médecin. Malgré tout, le secteur regorge d’usurpateurs. Il n’est pas rare de voir dans le pays profond un médecin vétérinaire ou même un simple vendeur de médicaments se faire appeler pompeusement docteur.
Les conséquences sont alarmantes. Les maladies de foie, de reins ou de cœur consécutives à l’automédication ou aux exploits d’un usurpateur font légion. L’Etat laisse faire. Pour les rares fois que les autorités ont pris des meures pour fermer les cliniques et les pharmacies clandestines, l’opération n’a servi qu’à remplir les poches du service antidrogue.
Incapables de soigner et de former leurs rejetons, les citoyens désertent massivement les villages. Lesquels constituent un repère et un refuge pour deux personnes : le vieux et l’indigent. Beaucoup construisent une maison dite de retraite mais viennent rarement au village. Le plus souvent, c’est la dépouille mortelle qui revient, comme l’a prescrit le testament. Pourtant, nos villages sont un véritable paradis sur terre. Avec des arbres fruitiers, beaucoup moins de chaleur, de moustiques, d’embouteillages et de vacarme, ces villages devraient, dans les conditions normales, rejeter du monde. Comme il est désormais de tradition, à l’occasion de la fête de Tabaski qui draine du monde vers l’intérieur du pays, il est souhaitable que les citoyens reviennent de temps en temps dans leurs villages. Ceux-ci ne devraient pas être un objet de fantasme où on se rend pour des selfies à l’occasion des fêtes.
Pour que nous villages cessent d’être des refuges pour les pauvres et des cimetières pour les riches, l’Etat devra assurer les services sociaux de base. Notamment la santé et l’éducation. Si demain, les gens peuvent soigner et former leurs enfants au village, la plupart se passeraient volontiers des tracasseries de la ville. Alors que les problèmes de logements se posent avec acuité dans la capitale, les belles maisons attendent désespérément dans nos villages.
Habib Yembering Diallo