La déclaration de politique générale du gouvernement présentée ce lundi devant le CNT par le Premier ministre Bah Oury a été suivie des questions des conseillers nationaux. L’occasion d’un débat houleux qui a requis l’intervention de Dansa Kourouma. Les points forts.
Le moins que l’on puisse dire est que les membres du Conseil national de transition (CNT) n’ont pas été tendres envers le Premier ministre passé, ce lundi 27 mai, devant le parlement provisoire pour présenter la déclaration de politique générale du gouvernement qu’il dirige depuis trois mois. Après son allocution qui a duré une heure et quart, le Premier ministre a mis autant de temps pour réagir aux questions des conseillers. Plutôt à certaines d’entre elles, faute du temps et « d’avoir la science infuse », comme l’a dit Bah Oury, le reste des questions devant être répondu par écrit, a-t-il promis.
Silence sur le nouveau chronogramme
Interpellé sur l’obligation de déclaration des biens, le locataire du palais de la Colombe a expliqué avoir hérité de son père de « vastes espaces », entre autres avoirs, et qu’il n’a pas eu le temps de quantifier son patrimoine. Toutefois, il dit respecter le principe et promet de se sacrifier à l’exercice, quitte à le faire « avec des approximations. »
Le Premier ministre s’est fait le porte-parole de la junte du CNRD, à plusieurs occasions, en réitérant l’impossibilité pour le pouvoir de respecter le chronogramme de la transition tel que convenu avec la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Sans cependant être en mesure de répondre clairement à la question des conseillers sur les contours du nouvel agenda. Il s’est borné à relever que c’est l’établissement du Recensement administratif à vocation d’état-civil (RAVEC) qui requiert du temps, sans en préciser la durée nécessaire pour y arriver. Dérouler le reste des activités de la transition serait aisé, selon lui.
A propos de la question de quelle stratégie pour amener les acteurs politiques réticents autour de la table, Bah Oury est paru plus philosophe que réaliste. « Vous préparez un plan et vous invitez des convives. Certains viennent, d’autres disent que si ce n’est pas leur sauce ils ne mangent pas. C’est contraire à la tradition d’hospitalité africaine. La transition, ce n’est pas une affaire d’ôte-toi du siège pour que je m’assaille », a martelé le Premier ministre qui semble s’écarter de ses premières déclarations de rassembleur, de promoteur du dialogue politique engagé à faire tout pour une gouvernance consensuelle.
Une autorégulation des médias « tardive »
C’est également la faute aux médias si certains d’entre eux sont contraints au silence, selon Bah Oury. Il se demande même « quelle mouche les a piqués » pour qu’après avoir selon lui reconnu leurs tares qu’ils continuent d’attiser les tensions. Il juge tardive la mise en place de l’Organe guinéen d’autorégulation de la presse (OGAP). « C’est un peu le médecin après la mort. Sa création est intervenue le lendemain de la signature de l’arrêt de retrait des agréments », a-t-il rappelé.
Après avoir également rappelé le triste rôle joué par des « médias ultra-partisans » dans l’exacerbation de la crise ivoirienne et le génocide rwandais, Bah Oury a martelé que « la liberté de la presse n’est pas un feu-vert absolu pour diffamer ou insulter. N’oublions pas d’où nous venons. Le respect d’autrui est une valeur partagée par toutes les communautés nationales, sans laquelle c’est le retour à la jungle. »
« Gouverner, ce n’est pas facile, hein ! »
En seulement trois mois passés à la Primature, le chef du gouvernement avoue que gouverner n’est pas une promenade de santé. Il hasardait ainsi un début de réponse à la question de savoir pourquoi n’a-t-il pas honoré sa promesse d’un gouvernement à 30 % de femmes. Il laisse à sa ministre des Affaires sociales le soin d’expliquer à ses sœurs que le gouvernement ne les oublie pas. Il a comparé l’État à cette mère de famille impuissante et déminue face à la faim qui tenaille son enfant, incapable de le nourrir. « Ce n’est pas toujours parce qu’on ne veut pas satisfaire aux demandes sociales. Parfois, c’est parce qu’on ne peut pas », a avoué Bah Oury dans une franchise qui interroge sur la faisabilité de l’ensemble des promesses mirobolantes contenues dans la déclaration de politique générale de son gouvernement.
Pour se donner les moyens de sa politique, le gouvernement entend améliorer la mobilisation interne des recettes publiques. Le Premier ministre déplore le faible taux de pression fiscale de 13 %, comparativement à la sous-région, où elle avoisinerait les 20 %. Il a mis en demeure la Direction générale des impôts de recouvrir les créances de l’État auprès des entreprises qui ne s’acquittent pas de leurs obligations fiscales.
Dansa Kourouma à la rescousse
Ce n’est pas tout : la rationalisation des dépenses publiques s’impose. Et cela passerait par la fusion de certains EPA (Etablissements publics administratifs) et à la suppression d’autres. Leur floraison (imputable aussi à la transition) détournerait les activités de certains départements ministériels, en plus d’être budgétivore.
Après cinq heures de débats (discours, questions-réponses, commentaires), le président du CNT est intervenu pour abréger la cérémonie. Une deuxième phase de questions était attendue par les conseillers décidés à saisir l’opportunité qui leur était offerte pour aborder tous les sujets de la vie nationale. Si la majorité d’entre eux a souscrit à la proposition de Dansa Kourouma de permettre à Bah Oury de répondre par écrit, quelques-uns des conseillers ont insisté que cela n’est possible que si elles étaient d’avance posées. Sans grand succès.
Il s’en est suivi des joutes verbales qui ont amené le président du CNT à couper le micro de la conseillère Sény Tonamou (Bloc libéral) de la Commission affaires étrangères qui avait du mal à obtempérer. Cette dernière et ses collègues comme Ahmed Tidiane Sylla (UFR) et Fadja Baldé (UFDG) ont eu l’impression qu’on leur imposait ce choix, alors que Dansa Kourouma faisait valoir la dictature de la majorité. « L’exercice de déclaration de politique générale est plus une orientation politique que l’obligation de répondre à toutes les questions », a-t-il rappelé.
Si Bah Oury n’a pas répondu à toutes les questions, les conseillers n’ont pas épuisé leurs interventions, il faut relever que les problèmes de la vie nationale ont été solennellement portés par eux à l’Exécutif. En présence des plus proches collaborateurs de Mamadi Doumbouya, dont son ministre secrétaire général Amara Camara. Comme s’il fallait que quelqu’un porte la voix des Guinéens, après que certains médias aient été contraints au silence.
Diawo Labboyah Barry