Nommé au poste de premier ministre le 27 février 2024, Bah Oury n’a pas encore franchi la barre symbolique des 100 jours, qu’il suscite déjà un certain désenchantement chez ses anciens camarades de la classe politique. Et son plaidoyer en faveur du glissement du chronogramme de la Transition passe particulièrement mal. L’ancien premier ministre, François Lounceny Fall est au nombre de ceux qui avouent déjà leurs désillusions. Participant le week-end dernier à l’Assemblée du Lafidi Foutti, l’ancien fonctionnaire onusien a dit en substance ne plus reconnaître l’actuel chef du gouvernement, en qui il avait pourtant une grande confiance. Surtout, François Fall avertit met en garde Bah Oury.
Le choix porté sur Bah Oury, en février dernier, pour le hisser au poste de premier ministre, François Lounceny Fall l’avait salué, dans la mesure où celui-ci l’avait empli d’espoir. « Lorsque le premier ministre Bah Oury a été nommé, j’ai fait une déclaration publique qui a été lue par tout le monde. Je me suis félicité qu’on ait choisi un ancien des forces vives. C’est quelqu’un qui s’était battu ici à l’époque où moi je n’étais pas encore en politique. Il était tout jeune à l’époque. Il s’est battu pour la restauration de la démocratie en Guinée. Il a mené le combat. Je l’ai rencontré aux forces vives. Nous avons mené le combat ensemble en 2010 pour le retour à l’ordre constitutionnel. Pour moi donc, prendre un homme politique de ce gabarit comme premier ministre signifiait pour que le premier ministre incarnait les mêmes valeurs que celles qu’il défendait au sein des forces vives », a déclaré le samedi dernier le leader du de l’Union nationale des patriotes de Guinée (UNPG).
Mais désormais, avoue-t-il, cet espoir s’est évanoui. Et le désenchantement n’a pas mis du temps à se dessiner. Ses doutes se sont manifestés dès la première sortie du nouveau premier ministre chez nos confrères de RFI, dans laquelle il annonçait en substance que la présidentielle ne se tiendrait pas cette année. Après cette sortie, « j’ai dit que c’est inquiétant parce que je n’attends pas ça de lui et tout glissement qui doit être envisagé en Guinée, en raison de l’accord entre la CEDEAO, doit être discuté avec les forces politiques. Le Premier ministre a été imprudent de faire une telle déclaration », a confié celui qui a été ministre des Affaires étrangères sous Alpha Condé. Mais quand, à la faveur de la conférence de presse de vendredi, Bah Oury est plus amplement revenu sur ce glissement, son ancien compagnon politique en a conclu qu’on s’enfonçait à nouveau vers le passé. « Des projets qu’il annonce dans 4 ans pour la Guinée et je dis le Premier ministre veut rester 4 ans, le gouvernement ne veut pas partir. Nous sommes à la fin de la transition, mais il est évident que si nous voulons maintenir la paix dans ce pays, la stabilité dans ce pays et Bah Oury le sait. Il sait ce qui a amené la tragédie du 28 septembre, c’est justement cette question de transition et donc si jamais il y avait des problèmes un jour, Bah Oury pourrait se retrouver comme responsable parce que nous, nous n’avons pas encore entendu le CNRD, mais venant du Premier ministre qui a été nommé par le CNRD, c’est inquiétant », a averti François Fall.
Le président de l’UNPG fait bien le distinguo. Celui à qui il s’en prend, c’est bien Bah Oury. Parce qu’en ce qui concerne le général Mamadi Doumbouya, il préfère croire encore en sa bonne foi. « Je ne dis rien concernant le général Mamadi Doumbouya parce qu’il a été très clair en disant qu’il partira à la fin de la transition et le porte-parole du gouvernement l’a dit 1000 fois qu’il ne restera pas un jour de plus mais le discours du Premier ministre était contraire à ces assertions. Donc la sortie de Bah Oury est inquiétante. Je crois qu’il est de son intérêt de respecter les engagements qui ont été pris. L’idée de préservation de la paix en Guinée, il faut que cette transition arrive à son terme à la fin de cette année », a-t-il clairement dit.
Estimant que le retard imprimé à la mise en œuvre de la Transition l’a été à dessein, François Fall pense que les dés sont jetés et que la Guinée s’achemine inexorablement vers une crise d’ampleur. A moins que le CNRD veuille rectifier le tir en renouant les fils du dialogue entre le pouvoir et la classe politique. « Le ton est déjà donné par certains partis politiques, on risque de se retrouver dans une crise grave », a conclu l’ancien PM.
Aliou Nasta