Entamées lundi 13 mai, les plaidoiries dans le massacre du 28 septembre 2009 se poursuivent au tribunal criminel de Dixinn, délocalisé à la Cour d’Appel de Conakry à Kaloum. Les avocats de la partie civile sont en train de démontrer le caractère cruel et déshumanisant qui s’est passé au stade le 28 septembre 2009. Et pointent du doigt les responsables du régime du CNDD d’alors, notamment ceux qui sont dans le box des accusés.
Après Me Hamidou Barry le 13 mai, Me Alpha Amadou DS Bah a pris la parole le 14 mai. Selon lui, les éléments déclencheurs du massacre sont nés de la volonté de Moussa Dadis Camara de confisquer le pouvoir contre la volonté du peuple. S’y ajoutent les discours publics de promotion du CNDD. Il estime que la réunion tenue au camp Alpha Yaya Diallo, la veille du massacre du 28 septembre, a servi de préparation. Selon lui, l’appel de Moussa Dadis au président de l’UFR Sidya Touré pour le menacer est la preuve que le pouvoir d’alors était dans la logique de répression. Même le voyage de Labé pour « défier ses détracteurs » serait également une preuve que les militaires étaient prêts à confisquer le pouvoir. Pour confondre Moussa Dadis et prouver qu’il était impliqué dans le massacre, Me DS Bah évoque le recrutement et l’entretien des milices à Kaléya, composées de ses proches. « Les miliciens ont été envoyés au stade par Joseph Makambo Loua pour infiltrer les gens, pour massacrer les populations civiles. Je suis choqué du fait qu’on a donné le nom de Makambo au Camp Koundara. Nous espérons que l’histoire va effacer ce nom du camp Koundara. Parce que chaque fois qu’une victime passera devant ce camp, elle va se sentir mal ». Et de poursuivre : « C’est la garde présidentielle et les miliciens qui sont allés massacrer. Quand le chauffeur personnel du président Dadis se retrouve au stade pour tenter de tirer sur un leader, son chargé d’opération et son aide-de-camp, cela démontre suffisamment que le capitaine Moussa Dadis Camara était informé de tout ce qui se passait. Il a d’ailleurs dit : ‘’ Allez les mater, le pouvoir est à terre ! ’’ Il était informé que des civils ont été envoyés dans les camps pour les torturer. Il a refusé de mettre fin aux exactions, il a laissé faire et quand on laisse faire, on est responsable. Personne n’a été arrêté ».
La colère de Dadis
Dans un ton vif, piquant, provocateur Me Alpha Amadou DS Bah a évoqué l’affaire de tentative d’évasion du 4 novembre 2023. « Le colonel Tiegboro, le président Dadis, le fugitif colonel Claude Pivi et le colonel Blaise Goumou ont organisé leur propre exfiltration par un commando pour se soustraire de la justice. Quand ils ont compris que leur plan avait échoué, ils se sont rendus », a déclaré l’avocat. Une déclaration qui a choqué Moussa Dadis au point qu’il s’est levé, pour protester. Il a fallu l’intervention du président du tribunal, pour qu’il s’asseye, mort dans l’âme. La colère se lisait sur son visage. De son siège, il se tordait, regardait parfois l’avocat, quand celui-ci prononçait des mots durs à son encontre, il faisait dos puisqu’il ne peut réagir. Bref, Dadis Camara n’est pas à l’aise lorsque les avocats l’incriminent dans ce crime odieux. « Le président Dadis Camara est le planificateur du massacre », a conclu Me DS Bah.
Tiegboro Camara, au four et au moulin
Dans sa narration des faits, l’avocat a indiqué que le colonel Moussa Tiegboro Camara a participé à toutes les étapes de ce massacre : conception, planification, exécution et dissimulation de preuves. Selon Me DS Bah, Tiegboro s’était rendu au stade, a ordonné de tirer sur les populations. « Il a dit : ‘’Chargez !’’ Il a tenu des propos menaçant, ses éléments armés ont frappé, tué des manifestants. » L’avocat affirme que Tiegboro a mouillé le maillot, pour « conserver le pouvoir. Ce n’est pas par gentillesse qu’il a sauvé les leaders, parce qu’il savait que si les leaders mourraient, ils allaient perdre le pouvoir. C’est un reflex de survie du régime. Il a participé au maintien d’ordre de bout en bout. Des gens ont été arrêtés et envoyés dans son service où ils ont été maltraités. C’est de l’enfumage quand Tiegboro Camara arrêtait des gens, pour trafic de drogue, parce que 80% des déférés ont bénéficié de non-lieu. Il faisait aussi de la récupération », explique l’avocat.
Du fugitif Claude Pivi
Me Alpha Amadou DS Bah ne s’est pas trop étendu sur le rôle du colonel Claude Pivi dans ce massacre. Pour lui, cet ancien officier de l’armée, tout puissant du CNDD, en fuite actuellement, était un expert en pillages, son absence prouve sa culpabilité. « Le jour du massacre, il a fait arrêter le véhicule de la Croix-Rouge qui transportait des blessés, il a lui-même asséné des coups à ces personnes en leur demandant : ‘’Vous ne savez pas que c’est Moussa Dadis qui est au pouvoir ?’’. C’est le Terminator du CNDD, il a sévi sur l’Axe. Des gens ont interdit leurs enfants de sortir, mais la mort les a trouvés chez eux à la maison. Quand tu as le malheur de vivre dans les quartiers de Hamdallaye, Coza, Bambéto, Sonfonia, c’est par miracle quand vous en sortez sain et sauf. Parce que les jours suivants le massacre, Claude Pivi et ses hommes rentraient dans les maisons, frappaient, tiraient et tuaient les gens »
Pour la quiétude des victimes, Me DS Bah a demandé aux autorités chargées de la sécurité du pays de mettre tout en œuvre, pour mettre main sur Pivi qui représente « un danger ».
Toumba Diakité, Marcel, Paul Mansa, Mamadou Aliou, ‘’coupables’’
Pour Me Alpha Amadou DS Bah, la version des faits telle que racontée par Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba est tronquée. Pour preuve, son propre témoin qu’il a cité le commandant du Salon, Mohamed Condé, est venu dire que ‘’Dadis n’était pas sorti’’. « Qu’est-ce qu’il est allé faire au stade ? Il aurait dû appeler le commandant du Salon qui l’a obéit, pour lui demander, ou bien se rendre lui-même pour être sûr que Dadis était sorti. Ce n’est pas vrai, quand il dit qu’il était allé chercher le président Moussa Dadis au stade. Toumba est responsable du massacre sur le fait du chef hiérarchique de commandement. »
L’avocat estime que ce n’est pas parce que des victimes ont fait la sympathie à Toumba Diakité que le tribunal va lui accorder une circonstance atténuante. « Ce n’est pas parce que quelqu’un est populaire que le tribunal va lui faire des faveurs. Toumba est responsable du massacre au même titre que les autres. » L’avocat a expliqué que le fait que Marcel Guilavogui s’est dédit à la barre, sa parole n’est plus crédible. Il a exercé des violences sur des leaders. Il a donné un coup sec à Monsieur Sidya Touré. Tout le monde connaît le rôle qu’il a joué ». Me DS Bah dit que Paul Mansa Guilavogui a participé à des tortures dans le camp Koundara. Quant à Mamadou Aliou Keita, l’avocat parle d’un cas emblématique. « Il y a eu des horreurs au stade, des viols ont été commis. Il se trouve que Mme AB connaissait Mamadou Aliou Keita. Quand la femme lui a demandé de l’aide, l’aide qu’il lui a apportée, c’est de lui donner un coup fatal et appeler ses amis, pour abuser d’elle. Elle a été obligée de changer de domicile plus de dix fois, après les événements ».
« L’objectif était d’humilier les victimes »
Me Alpha Amadou DS Bah pense que ceux qui ont agressé les civiles au stade avaient pour objectif de les faire regretter. C’est pourquoi, ils les ont frappés, violés, les ont infligés des actes dégradants et inhumains. « Les agresseurs ont possédé les âmes des victimes. Mme FK, nourrice, a été prise pour un endroit inconnu où elle a été abusée pendant trois jours. Elle est rentrée chez elle, sans son âme, elle a contracté le SIDA. Son enfant de trois mois a refusé de téter. Son mari l’a abandonnée. Elle a été souillée par une horde de barbares. Il y a eu des handicapés à vie, il y a eu des disparus. Après avoir ôté leurs âmes, ils ont décidé de les faire disparaître. C’est la haine qui anime l’agresseur, ôter l’humanité à la victime, prendre possession de leurs âmes, ils n’ont pas eu droit aux rites traditionnels à un enterrement digne. Ces crimes sont impardonnables. Les accusés méritent des châtiments. Même si cela ne suffit pas pour réparer le préjudice », a déclaré l’avocat, visiblement partagé entre colère contre les accusés et sympathie pour les victimes.
Mamadou Adama Diallo