La semaine dernière, le président du CNT (Conseil national de la transition) a séjourné dans la capitale gabonaise, Libreville. Dansa Kourouma aurait apporté son « expertise pour l’élaboration d’une nouvelle constitution » dans ce pays d’Afrique centrale en transition, alors que le sien peine à sortir le brouillon de sa Loi fondamentale.
Sur invitation de l’Union interparlementaire (UIP), en partenariat avec l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA), le président du CNT, Dansa Kourouma, a participé à un atelier « d’initiation et de renforcement des capacités » des députés et sénateurs gabonais sur « l’élaboration d’un dispositif législatif et constitutionnel ». Le conclave, qui s’est déroulé du 21 au 22 juin, s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations du dialogue national inclusif gabonais.
Le séjour gabonais de Dansa Kourouma n’est pas passé inaperçu. Selon le président du CNT, cité par Mediaguinee, l’objectif de son voyage « consistait à échanger et à outiller les parlementaires gabonais sur les bonnes pratiques et les expériences de la Guinée dans le cadre du processus de réconciliation nationale et d’élaboration de l’avant-projet de la nouvelle Constitution ». Pendant « près de deux heures », précise-t-il, il a eu « le plaisir de partager l’expérience de (la Guinée) à travers les différentes étapes du processus d’élaboration de l’avant-projet de nouvelle Constitution ».
Le Gabon, un modèle pour la Guinée ?
Le président du CNT a d’abord été reçu en audience par son homologue gabonais, Jean-François Ndoungou, au Palais Léon-Mba. Selon le site de l’institution parlementaire gabonaise, il a été question entre Kourouma et Ndoungou du partage d’expériences autour de la diplomatie parlementaire. Qu’au sortir de leur rencontre, Dansa Kourouma s’est exprimé en ces termes : « Nous voulons copier le modèle de vos textes juridiques dans le cadre du partenariat entre nos deux institutions ».
Cela fait réagir à Conakry. Un interlocuteur qui a requis l’anonymat pense que Dansa Kourouma s’est plutôt rendu au Gabon pour « s’inspirer de son modèle, en vue de permettre à Mamadi Doumbouya d’être candidat à la Présidentielle en Guinée », à la fin de la transition.
Toujours est-il qu’au Gabon, selon la Charte de la transition, le général de Brigade Clotaire Oligui Nguema, Président de la Transition, peut être candidat à l’élection présidentielle prévue le 25 août 2025. L’UFDG, selon Kalémodou Yansané, « s’en tient à la déclaration du CNRD qui a dit que le 31 décembre 2024, il ne fera pas une minute de plus au pouvoir. Et si le 31 décembre 2024 arrive et qu’il n’y ait aucune décision, on verra bien ce qui va se passer… »
Le confrère gabonais a ajouté par ailleurs que Dansa Kourouma a évoqué les valeurs sur lesquelles reposerait la transition guinéenne : « L’une des valeurs de notre rassemblement est le fait que le peuple ne se reconnaissait pas dans ce pouvoir. D’où, avions-nous jugé nécessaire, de le ramener autour d’une vision commune. Autre valeur, le redressement politique et économique. Avoir les ressources nécessaires pour faire avancer la Guinée économiquement et politiquement ». Vaste programme.
Mais quelle contribution ?
Officiellement, Dansa Kourouma s’est rendu à Libreville, pour « renforcer les capacités » des députés et sénateurs gabonais, pour l’élaboration d’une Constitution en période de transition. Or, plus d’un an après le Débat d’orientation constitutionnel que le CNT avait organisé au Palais du peuple, l’institution qu’il dirige n’a toujours pas présenté l’avant-projet de nouvelle Constitution. Pourtant, le référendum constitutionnel est annoncé par le général Mamadi Doumbouya cette année. Même si les déclarations sans lendemain tendent à devenir la règle.
En février dernier, à Dubaï (Emirats-arabes unis), Dansa Kourouma avait affirmé que « le processus d’élaboration de la nouvelle Constitution est en marche. Le mois prochain (mars Ndlr), incha’Allah, avec le leadership du Président de la République, nous allons présenter au peuple de Guinée les premières ébauches de cette nouvelle Constitution qui doit être une Constitution qui nous rassemble et qui nous ressemble. » Jusque-là, que dalle ! Même un texte qui ne nous ressemble pas !
Quant au rassemblement, les autorités de la transition peinent-elles aussi à réunir tous les acteurs sociopolitiques pour un dialogue inclusif. Des leaders de la société civile et de la classe politique se demandent alors quelle contribution Dansa Kourouma a-t-il à partager avec les Gabonais. « Si le président du CNT va au Gabon pour former les législateurs à rédiger une constitution, ce serait bien pour les conseiller de retarder leur processus. L’expérience qu’on peut tirer du CNT de Guinée dans l’élaboration d’une Constitution, c’est le retard », tance Kalémodou Yansané, un des vice-présidents de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée).
Ce dernier rappelle qu’en 2021, le régime d’Alpha Condé avait invité Augustin Matata Ponyo, ancien Premier ministre de la République démocratique du Congo, à former les membres de son gouvernement, pour « l’émergence économique » de la Guinée. Mais l’hôte a dû écourter son séjour, pour faire face à la justice. « Lorsque Matata Ponyo est rentré en RDC, on connaît la suite. En Guinée aussi, on sait ce que les ministres d’Alpha Condé ont appris de lui… », tacle Kalémodou Yansané.
« Faire profil bas »
Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des forces sociales de Guinée, réagit : « Cette sortie médiatique du président du CNT est l’expression avancée de la gouvernance du CNRD : le bon sens compte peu, la moralité itou, seule l’image compte. Sinon, même si son expertise (à vérifier bien sûr) était demandée au Gabon, il se serait rendu là-bas de façon discrète, sans faire usage de cette nature du CNRD qui consiste toujours à paraître ce que l’on n’est pas. Il est inadmissible et incompréhensible, en tant que premier responsable de l’organe législatif transitoire du pays, que vous passiez trois ans sur le dos du contribuable guinéen sans pour autant lui offrir une réforme qui impacte la gouvernance du pays. Dans de telles conditions, vous devez faire profil bas. Sinon, c’est comme si vous vivez sur le dos du contribuable guinéen, sans vous souciez de la redevabilité vis-à-vis du peuple que vous représentez… » Peut-être que Dansa Kourouma ne le sait pas.
Mamadou Siré Diallo