Depuis l’annonce de l’évaluation des partis politiques par le ministère en charge de l’Administration du Territoire, nombreux sont les leaders et militants politiques ainsi que des citoyens qui se posent des questions quant à la finalité d’une telle évaluation, d’autant plus qu’une opération semblable avait été menée en 2023. Beaucoup y voient une manœuvre politique dont la finalité serait d’éliminer des adversaires.
Mais que dit la loi c’est-à-dire la Charte des partis politiques par rapport aux obligations des partis politiques et aux faits qui peuvent motiver des sanctions contre eux ?
Il est important de les connaître puisque c’est la violation établie d’une ou plusieurs de ces obligations qui pourraient éventuellement entraîner des sanctions au cas où celles-ci seraient envisagées à l’issue de l’évaluation.
Nul besoin d’évoquer les conditions et les formalités de constitution des partis politiques. Puisqu’un parti politique ne peut exister du point de vue de la loi que s’il dispose d’une autorisation d’existence délivrée par le ministère compétent, les partis politiques qui existent actuellement sont supposés avoir obtenu cette autorisation.
En ce qui concerne les obligations des partis politiques, l’article 21 de la Charte des partis politiques dispose :
« Les partis politiques sont tenus :
– D’avoir en République de Guinée un compte bancaire au moins;
– De faire établir une comptabilité annuelle de leur gestion ;
– De procéder à l’inventaire annuel de leurs biens, meubles et immeubles.
Les documents comptables des partis politiques peuvent à tout moment être demandés par le ministre en charge de l’Intérieur pour contrôle.
Le parti politique qui ne dispose pas de documents comptables fiables et conformes à la réglementation perd le droit de bénéficier des aides financières éventuelles octroyées par l’État, sans préjudice des sanctions prévues par d’autres textes. »
On peut constater à la lecture de ce texte que :
– avoir un siège, par exemple, ne fait pas partie des obligations d’un parti politique même si l’on peut se demander à juste raison comment un parti politique peut fonctionner sans siège ;
– le défaut de la tenue d’une comptabilité annuelle fiable et conforme à la réglementation entraîne pour le parti politique la perte du bénéfice des aides financières éventuelles octroyées par l’État.
Il faut rappeler en effet que les partis politiques peuvent recevoir une aide financière de l’État (article 25 al.1er de la Charte des partis politiques).
Le montant des crédits destinés à ces aides est inscrit dans la loi de Finances de l’année (article 25 al 2 de la Charte des partis politiques).
Ces crédits sont affectés aux partis proportionnellement au nombre de députés inscrits dans chaque parti (article 25 al.3 de la Charte des partis politiques).
Tous les partis politiques ne peuvent donc prétendre à l’aide financière de l’État. D’où l’intérêt de prendre part aux élections et d’avoir des députés. Un parti politique qui n’a pas de ressources financières ne peut véritablement fonctionner. Or, l’apport financier de l’État est un atout important pour les partis politiques. Et celui-ci s’obtient en fonction du nombre de députés du parti. C’est pourquoi, il est inexact de dire qu’un parti politique est égal à un parti politique. Si cela peut être vrai sur le plan légal, il en est autrement dans la réalité.
D’autres obligations sont imposées également aux partis politiques en ce qui concerne leurs ressources. C’est l’obligation pour les partis politiques de déclarer au ministère chargé de l’Intérieur les dons, les legs reçus par eux, avec indication des donateurs, de la nature et de la valeur des biens reçus. (Article 23 de la Charte des partis politiques).
Par ailleurs, le montant de l’ensemble des dons et legs en provenance des personnes de nationalité guinéenne ne peut dépasser 20% du montant total des ressources propres du parti, constituées des cotisations des membres, des revenus tirés des activités et des aides éventuelles de l’État. (Article 24 al.1er de la Charte des partis politiques).
Enfin, l’alinéa 2 de l’article 24 de la Charte des partis politiques frappe d’interdiction et de nullité les dons et legs provenant de personnes publiques ou privées étrangères.
Pour ce qui est des sanctions, le ministre en charge de l’Intérieur peut prendre soit une mesure de suspension soit une mesure de dissolution.
Selon l’article 28 de la Charte des partis politiques, la suspension des activités et des droits du parti intervient lorsque celui-ci ne déclare pas les modifications prévues à l’article 17 de la Charte des partis politiques. Il s’agit de toute modification dans les statuts, tout changement de membre dans l’organe de direction.
Il peut y avoir également suspension des activités et des droits d’un parti politique qui ne dispose pas de documents comptables prévus à l’article 21.
Mais il faut noter que le parti politique dont les activités et les droits sont suspendus dispose d’un droit de réparation de l’irrégularité commise. Ce délai est de trois mois à compter de la décision de suspension.
Passé ce délai, et si l’irrégularité n’a pas été réparée, le parti est dissous.
Outre le motif tiré du défaut de réparation d’une irrégularité ayant entraîné la suspension, la dissolution, qui est la mesure la plus radicale, intervient dans les cas suivants: (article 29 de la Charte des partis politiques):
1- Application d’une modification statutaire refusée par le ministre chargé de l’Intérieur ;
2 – Réception, directement ou indirectement, de subsides de personnes publiques ou privées étrangères…;
3- Méconnaissance grave, en raison de ses activités ou de ses prises de position publiques, des obligations et interdictions prévues par la Loi fondamentale et les Lois et Règlements en vigueur, notamment le respect :
- Du caractère laïc, républicain et démocratique de l’État ;
- De l’indépendance nationale, de l’intégrité du Territoire de l’État ;
- De l’ordre public et des libertés publiques ;
- De l’interdiction des pratiques et propos régionalistes, ethnocentristes, religieux, discriminatoires et séditieux
La décision de suspension ou de dissolution prise par le ministre en charge de l’Intérieur peut faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême. C’est pourquoi, toute décision à prendre dans ce sens devra être motivée pour permettre à la Cour suprême, juridiction compétente, d’exercer éventuellement son contrôle.
Cette publication ne concerne pas les sanctions individuelles pouvant frapper notamment des dirigeants de partis politiques.
Source : Loi organique L/91/002/ CTRN du 23 décembre 1991 portant Charte des partis politiques).
Me Mohamed Traoré
Ancien Bâtonnier