Au début, des anciens dignitaires jetés au gnouf ; puis, des prétendants au trône contraints à l’exil et, aujourd’hui, des activistes qui disparaissent. La Refondation, comme autrefois la Révolution, est multiforme, globale, colossale, exigeante.

Par les temps qui courent, on court des risques à force de discourir, d’écrire autre chose que les atalakous de nos dirigeants. Même le Colosse ne cause pas, ne sort pas de sa forteresse. Mais puisque cela ne suffit pas à nous apprendre que le silence est d’or, continuons en attendant qu’on nous la ferme. Si on est incapable de décrypter les signaux, on n’éprouvera aucune peine d’entendre le langage de la force. Nul besoin d’être armurier pour comprendre le message d’un coup de fusil, sentir la douleur d’une crosse ou d’un brodequin nous chatouiller les côtes.

Résistants des temps modernes

Demandons à Mohamed Cissé, le boss de l’antenne FNDC de Matoto. Si nous le voyons, bien sûr. Depuis son retour de Kassa –il n’y était pas allé se bronzer sur la plage, on ne le voit pas. On dit que « les oiseaux se cachent pour mourir. » Lui, c’est pour soigner ses côtes cassées et essayer de survivre. Cissé, qui a entendu le langage de la force, ne parle plus. Même pour nous raconter son séjour sur l’île qui, ces derniers temps, reçoit de plus en plus de visiteurs.

Il est vrai que le CN-Erre-Dé a fait du tourisme son cheval de bétail. Même que le Pénitencier de Fotoba, construit en 1905 par les colons pour loger les résistants à la pénétration française, aurait été réhabilité. Qui dit essor touristique dit forcément offre hôtelière abondante. Les anciens dignitaires de l’Alpha-gouvernance ont occupé toutes les places disponibles à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. Mais notre Légionnaire est un grand visionnaire. Le déficit de places sur le continent peut être compensé par les îles.

Le Pénitencier de Fotoba renaît ainsi de ses cendres. Un réceptif hôtelier intemporel, qui voyage à travers les âges. Un siècle après avoir accueilli le Waliou de Gomba, le voilà qui héberge les résistants du 21e siècle ! Après le NON à de Gaulle le 28 septembre 1958, le 5 septembre 2021 nous a donné un autre Général. De même taille, presque. Le teint et le verbe les différencient, certes, mais aujourd’hui, sommes-nous plus libres qu’à l’époque ?

Voyage sans retour

« Hier, nos malheurs provenaient du Blanc qu’il fallait chasser pour que le bonheur vienne. Aujourd’hui, les oncles sont partis et la misère est toujours restée », répondait pour sa part le Congolais Henri Lopes. Et le Martiniquais Aimé Césaire de renchérir : « Il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient que la Révolution ça consiste à prendre la place des Blancs et continuer, en lieu et place, je veux dire sur le dos des nègres, à faire le Blanc. » Il faut dire tout de suite, ça n’engage qu’eux d’insinuer que nos frères noirs nous commandent tels des colons. Pour ces touristes qui vont à Kassa sans revenir, ce sont les cris d’orfraie du Pro-crieur général près la Cour d’appel de Cona-cris qui ont attiré notre attention. C’était dans un communiqué publié le 17 juillet. Wa’alou, eh Fallou Doum-bouillant y déclare que « depuis quelques jours, des informations persistantes faisant état des cas d’enlèvements et de séquestration circulent dans la cité ». Le robin égrène les noms du sergent-chef Moussa Cheikh Soumah et du colonel Cécé Célestin Bilivogui parmi les personnes disparues. Sauf que ces bidasses manquent à l’appel, non pas depuis « quelques jours », mais huit bons mois. Et depuis le 9 juillet, pour ce qui est d’Oumar Sylla alias Foniké Menguè et de Mamadou Billo Bah, respectivement coordinateur et responsable des antennes et de la mobilisation du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).

Plutôt la disparition que la prison ?

« Aucun établissement pénitentiaire du pays ne détient ces personnes faisant objet d’enlèvement », s’étonne le Pro-crieur général, lequel se dit chagriné par la situation, en « sa qualité de protecteur des libertés individuelles et collectives. » Amen ! Wa’alou Doum-bouillant dit avoir instruit les parquets d’instance relevant de sa juridiction à « ouvrir des enquêtes minutieuses et complètes » sur les disparitions. Même que les sévices de police judiciaire se sont mis en branle pour rechercher otages et ravisseurs ; rendre les premiers à leurs familles, les seconds à la justice pour les punir à la hauteur de leur forfait. Ils n’ont plus qu’à commencer leurs investigations par le Palais Mohammed V (siège de la présidence), où auraient transité Foniké Menguè et Billo Bah, avant de prendre la mer pour Kassa. Ou le Haut commandement de la gendarmerie nationale. Heureusement que le patron des pandores, Balla Samoura, s’était proclamé premier Officier de police judiciaire de la République de Guinée. Même si le prédécesseur de Fallou Doum-bouillant au Parquet général de la Cour d’appel, Alphonse Charles Wrong, n’était pas d’avis.

Parlant de disparitions, et si c’était là une stratégie pour éviter les évasions et le surpeuplement carcéral ? Nos prisons sont poreuses, en plus de manquer de place pour caser tout le monde. Oui, tout le monde, à ce rythme de la Refondation, risque de finir derrière les barreaux. C’est plus facile de contrôler tout le monde réuni qu’éparpillé à travers le bled.

Depuis huit mois, nous courons derrière Claude Pivi. Les défenseurs des droits humains disent que l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie et autres gnoufs abritent plus d’âmes qu’ils n’ont de chambres. Et qu’on a mélangé dans les cales marmots, nounous et bandits de grand chemin. Arrêter et faire disparaître nous met à l’abri de tous ces maux. On a des îles sauvages et de l’eau à perte de vue, même si nous manquons d’électricité. Qui va oser s’évader dans une île ? Pour aller dire bonjour au requin ? Mieux, la mer n’a jamais été à court d’espace. Demandez à la Méditerranée si depuis qu’elle loge de migrants dans ses entrailles, elle a manqué de place. Tchôbôti !

Diawo Labboyah