Depuis le 1er août, 13 journalistes ont été arrêtés et au moins 16 autres attaqués alors qu’ils couvraient les manifestations de masse contre la crise économique au Nigeria. Reporters sans frontières (RSF) condamne ces graves atteintes ciblées et demande aux autorités de protéger de toute urgence les journalistes couvrant ces événements, et d’identifier les auteurs de ces actes et de les traduire en justice.
“L’un des policiers m’a tordu la main pour saisir mon téléphone et les trois autres m’ont frappé avec leurs armes, me blessant à la tête et me causant une torsion de l’épaule.” Le 1er août, le premier jour des manifestations pacifiques contre la “mauvaise gouvernance” et la hausse du coût de la vie au Nigeria annonce la couleur : Yakubu Mohammed, journaliste à Premium Times, l’un des principaux quotidiens privés du pays, est brutalement agressé par des policiers à Abuja, la capitale, après avoir clairement été identifié comme journaliste grâce à sa veste de presse et à sa carte de journaliste.
Le même jour, Mary Adeboye, journaliste de la chaîne de télévision en ligne News Central Television, est visée par un tir de gaz lacrymogène alors qu’elle interviewait des manifestants, toujours à Abuja. “Je me suis enfuie et je n’arrivais plus à respirer ni à marcher correctement”, précise-t-elle à RSF. Les blessures infligées aux journalistes les contraignent à quitter les lieux pour se soigner, les empêchant de poursuivre leur couverture des événements.
Le 3 août, les forces de sécurité tirent sur la voiture d’Abdulkareem Mojeed, journaliste à Premium Times, qui couvrait les manifestations de la capitale. “Ils ont tiré trois balles qui ont transpercé la carrosserie, alors qu’on était à l’intérieur”, rapporte à RSF Emmanuel Agbo, son confrère. Ils portaient des gilets de presse et avaient précisé leur identité à plusieurs reprises.
Depuis le début de ces manifestations meurtrières, RSF a dénombré au moins 13 journalistes violentés par des policiers ou des individus violents, 13 interpellés et au moins trois autres visés par des gaz lacrymogènes ou des tirs. Trois véhicules transportant des reporters ont également été attaqués.
“Journalistes agressés, jetés dans des fourgons de police, visés par des tirs de gaz lacrymogènes voire des tirs de balles et intimidés… Qu’elles proviennent d’individus violents ou des forces de police, ces violences contre les professionnels des médias sont sans précédent depuis l’arrivée au pouvoir du président Bola Tinubu. Elles confirment une lourde tendance d’agressions régulières de journalistes couvrant les rassemblements et événements politiques dans le pays. Nous condamnons fermement ces actes intolérables et demandons aux autorités de protéger de toute urgence les journalistes qui doivent pouvoir couvrir ces manifestations et effectuer leur travail d’information sans être entravés sur tout le territoire. Des enquêtes approfondies sur les attaques doivent également être ouvertes pour que les responsables soient traduits en justice”, déclare Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.
Les journalistes violentés de part et d’autre
Les violences perpétrées contre les professionnels des médias sont autant l’œuvre des forces de police que d’individus violents. À Asaba, au sud du pays, au moins trois journalistes ont été agressés le premier jour des manifestations par des individus soupçonnés d’avoir été engagés par l’un des principaux partis politiques du Nigeria, le Parti démocratique du peuple (PDP). Le même jour, une voiture et un bus transportant des journalistes ont été attaqués par des individus dans la ville de Kano, située au nord du pays.
Le 6 août, alors que des policiers expulsaient des journalistes, dont ceux de la Foundation for Investigative Journalism (FIJ), d’un parc de la ville d’Ojota où des manifestants avaient prévu de se retrouver, près de Lagos dans le sud-ouest du pays, des individus armés de pelles et de bâtons ont menacé les journalistes pour les forcer à partir, sous les yeux des policiers.
Arrestations musclées
Une dizaine de journalistes ont également été interpellés par les forces de l’ordre depuis le début des manifestations. Le 1er août, neuf membres de la station Radio Ndarason Internationale (RNI), dont son directeur des programmes et son rédacteur en chef, ont été arrêtés dans leurs bureaux à Maiduguri, dans le nord-est du pays, après avoir “couvert les manifestations dans tout le pays” selon un communiqué de presse de la radio. Ils ont été relâchés dans la journée. C’est aussi le cas du photojournaliste du quotidien Daily Independent, également président local du syndicat Nigeria Union of Journalists (NUJ), Jide Oyekunle, arrêté après avoir précisé sa profession et la raison de sa présence lors d’une manifestation à Abuja. Son téléphone lui a été confisqué puis restitué quelques heures plus tard. Le photojournaliste Olukayode Jayeola de The Punch, un des journaux les plus populaires du pays, portait, lui, un gilet portant l’inscription “presse” lorsque des policiers l’ont interpellé et ont confisqué son matériel.
Le Nigeria est un des pays les plus dangereux d’Afrique de l’Ouest pour les journalistes en termes de sécurité, notamment lorsqu’ils couvrent des rassemblements. En 2019 et 2020, deux journalistes, Precious Owolabi et Alex Ogbu, avaient été tués par balles dans l’exercice de leurs fonctions lors de manifestations à Abuja. Le journaliste Onifade Pelumi avait pour sa part été retrouvé mort dans une morgue de Lago près d’une semaine après son arrestation en marge d’une manifestation. Les auteurs n’ont jamais été identifiés.
Le Nigeria occupe la 112e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024.
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