Diplômée de l’Institut Mory Kanté des arts de Dubréka, Fatoumata Djouldé Barry alias Queeneff a décidé de braver les pesanteurs sociales et culturelles et la réticence familiale pour se lancer dans la musique. Elle y évolue depuis 2017, non sans anicroches. Queeneff a fait parler d’elle sur la toile cette semaine, en faisant des révélations accablantes sur un rappeur dont elle s’abstient de révéler l’identité, pour le moment, qui aurait abusé d’elle. Elle se confie à votre satirique sur les raisons qui l’ont poussée à embrasser la musique, son début de carrière difficile, son enfance, les abus sexuels qu’elle a subis ou encore les difficultés pour les femmes art-tristes de s’affirmer dans le milieu du rap en Guinée.
Le Lynx : Qui Queeneff, d’où vous est venue l’idée de faire de la musique ?
Queeneff : A l’état-civil, je suis Fatoumata Djouldé Barry, je suis chanteuse, de nationalité guinéenne. J’ai commencé à faire de la musique en 2017 quand j’étais encore à la fac (l’université, ndlr). La musique est venue en moi comme un moyen de me libérer, de libérer un peu tout ce que j’avais au fond de moi comme tensions et traumatismes. C’est un moins d’expression libre qui me permettait de me dévoiler sans que personne ne me juge.
Que signifie le surnom Queeneff ?
Queen veut dire reine, et le eff, c’est Fatou. Ce Pseudo est venu de mon besoin de m’affirmer. J’ai toujours été une fille timide. Mais à un moment donné, je me suis dit que pour réussir, il fallait s’affirmer. Donc, je me suis nommée Queeneff.
Combien de vos morceaux sont actuellement dans les bacs ?
Présentement, j’ai un EP (extended play « durée étendue »), (disque d’une durée plus longue que celle d’un single et plus courte que celle d’un album, ndlr) et trois singles, disponibles.
Où en êtes-vous avec la préparation de votre album ?
L’album se prépare de la meilleure des manières, les choses avancent très bien, grâce à Dieu.
Vous avez lancé une sorte de SOS pour réaliser certains de vos projets musicaux. Queeneff manque-t-elle de moyens ?
Non, cela ne veut pas dire que je suis à court de ressources. Ce n’est même pas un SOS au sens propre du terme. C’est plutôt un crowdfunding (financement participatif, ndlr). C’est un principe courant qui consiste à faire participer sa communauté à la production et à la promotion des œuvres. C’est un projet qui me tient à cœur. Cela n’a rien à voir avec le manque de ressources, c’est plutôt le besoin de partager cette aventure avec ceux qui sont engagés pour l’émancipation des femmes et la lutte contre les violences domestiques.
L’appel a-t-il été entendu ?
Bien sûr, cela m’a permis de terminer un clip qui était en attente. Et nous avons déjà engagé la conception d’un autre. Si tout se passe bien, ces clips sortiront très bien tôt…
Ces derniers temps, les projecteurs sont braqués sur vous. Vous avez décidé de briser le silence à propos de choses que vous auriez vécues pendant votre enfance, pendant votre début de carrière… Pouvez-vous nous en parler ?
Je ne suis pas surprise que les projecteurs soient braqués sur moi. Comme vous le dites, c’est rare que dans notre société une personne ose briser à ce point le silence et lever le voile sur un mal répandu que la plupart des femmes subissent dans le silence absolu. Moi, mon histoire est connue par la majorité des personnes qui me suivent depuis mon arrivée sur les réseaux sociaux, à moins qu’on refuse de le reconnaître. Ce n’est pas un mythe que les femmes sont habituellement victimes d’abus, je prends donc la parole sur ce sujet pour partager mon expérience personnelle, dans le but de faire comprendre pourquoi nous avons du mal à agir et à faire recours à la justice. Avant, moi-même je ne comprenais pas mon silence. Maintenant que je suis tombée là-dedans, je pense que je comprends mieux, du coup, je peux mieux communiquer là-dessus.
Vous avez raconté sur les réseaux sociaux que votre famille était opposée à ce que vous fassiez de la musique. Vous avez été vraiment frappée par votre frère ?
Oui, c’était en 2019, il ne comprenait pas exactement mon choix, il ne comprenait pas mon ressenti lorsque je faisais de la musique. Pour eux, choisir le chemin de la musique, c’était choisir le chemin du banditisme, de la fainéantise, de la délinquance. Aujourd’hui, disons que ça va, il y a plus ou moins du soutien moral, de la présence des uns pour les autres, du respect mutuel. Ils me soutiennent, en tout cas du point de vue moral. Ils me laissent vraiment faire de la musique. Ils me donnent la liberté que je n’avais pas à mon adolescence.
Votre enfance, on en parle ?
Vous savez lorsque l’éducation est basée sur la violence, c’est tout à fait normal que des parties du corps ne se développent pas, notamment le cerveau. Une famille riche m’a adoptée, mais il n’y avait que de la violence qui s’abattait sur moi. Cela m’a conduit à une dépression avec laquelle je vis aujourd’hui. J’ai fini par me révolter et m’en aller.
Il y a ce côté « sombre » de votre carrière où vous dites que vous vous êtes fait avoir par un artiste. Comment ça ?
Je me suis déjà exprimée sur ce sujet et si vous me suivez, vous en savez déjà un peu… C’est quelqu’un que j’ai connu il y a très longtemps, avec qui j’ai passé un bon moment, qui était devenu comme un frère. Mais avec le temps, je n’ai pas compris d’où venait son changement, il y a eu des séances de manipulation, de mensonge. Il a raconté des ragots. Et puis, il y a les abus sexuels. Pour masquer la chose, son équipe et lui ont fait courir des rumeurs partout pour m’empêcher de révéler ce qu’il m’a fait.
Pourquoi sur votre mur Facebook vous n’avez pas révélé l’identité de votre bourreau ?
Cela va venir, mais pour le moment, je me concentre sur mon projet de crowdfunding.
Pourquoi avez-vous choisi ce moment pour le dénoncer ?
Parce que maintenant, je me sens beaucoup plus lucide, je comprends mieux ce qui s’est passé et j’ai accepté ce qui est arrivé. C’est le meilleur moment, parce que j’estime que le regard des autres ne peut plus m’atteindre. Vous voyez vous-même la déferlante d’attaques et de dénigrements dont je fais l’objet depuis ma sortie, imaginez si je l’avais fait au lendemain de ce que j’ai vécu et sans être préparée. Heureusement que mon album est en chemin, c’est une thérapie. J’ai brisé le silence pour dire aux autres que ce n’est pas un mythe, c’est réel. Il y a eu tellement de mensonges dans cette histoire qu’il fallait que je sorte du silence. Tout le monde sait que les femmes artistes sont toujours victimes de harcèlement, de viol, d’autres abus. Mais il n’y a aucune qui en parle, absolument aucune. Moi-même qui ai osé parler, je me retiens encore sur beaucoup de faits. Il y a encore des barrières que j’ai peur de franchir, parce que l’abus me prouve que ce n’est pas facile pour une femme de libérer sa parole. Le monsieur m’a menti, il est allé jusqu’à mentir même sur celle qu’il devait épouser. Il a raconté du n’importe quoi sur elle, quand je lui avais posé la question… Il n’y avait pas de relation amoureuse, c’était plutôt un frère. Mais après qu’il s’est passé tout cela et qu’il se soit débarrassé de moi, je ne sais pas comment ils ont fait pour créer des rumeurs selon lesquelles j’étais sa fiancée, alors que je ne l’ai jamais été, jamais. Moi j’étais une sœur de cœur.
Est-ce que vous avez décidé de la suite à donner à cette affaire ?
Pour le moment, mon équipe et moi observons et suivons le mouvement. Par contre, nous continuons tranquillement notre campagne de levée de fonds. Je pense que cette histoire d’abus sexuel va se gérer entre l’équipe de mon bourreau et la mienne.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez fait sortir cette info, pour nuire à un artiste qui prépare actuellement son concert ?
Vous devez comprendre que ma communication n’a jamais visé quelqu’un. Elle n’a jamais visé un quelconque projet. Ma communication a toujours été accentuée sur mon histoire, parce que mon projet, nous le voulons autobiographique. Nous voulons que mon projet traite de ces questions-là, nous utilisons mes expériences pour cela. Maintenant, partant du principe que l’étape fondamentale du projet, c’est le crowdfunding, c’est tout à fait naturel que nous décidions de sortir l’histoire. Il faut dire les choses de façon à ce que tout le monde comprenne de quoi on parle…Je continue mon chemin, je ne regrette absolument pas cette sortie, je ne la regretterai jamais. Si c’était à refaire, je vais le refaire encore et encore. Je le fais depuis 2017, je vais continuer à le faire. Je pars du principe que je ne suis pas seule, il y a énormément de filles, de femmes qui subissent des injustices… Si les bourreaux n’arrêtent pas, pourquoi moi je vais arrêter ?
Comment voyez-vous le milieu du Show-biz guinéen ? Est-il rose ou pourri ?
Quelle question ! Le milieu du show-biz est totalement impitoyable pour la gent féminine, c’est clair, tous les acteurs du secteur le savent. On comprend par-là donc que ce n’est pas du tout rose, surtout pour une Queeneff. C’est encore pire, parce Queeneff ne cache pas les choses. Lorsqu’elle est victime de quelque chose, elle en parle. Le milieu du show-biz, il est comme cela.
Un dernier mot
Les liens de mon crowdfunding sont sur ma page et j’invite toutes les personnes éprises de justice et de liberté, les amoureux de la musique, et surtout toutes les femmes, à participer pour me donner de la force et de la voix, afin que plus aucune femme ne subisse des abus, simplement parce qu’elle veut réussir sa vie.
Interview réalisée par
Mamadou Adama Diallo et
Mamadou Yacine Diallo