Il n’est plus question d’un simple glissement de calendrier. On est au fond gouffre. La promesse faite le 5 septembre 2021 n’engage désormais que ceux qui y ont cru. Contrairement à celui qui avait perpétré le coup d’Etat contre un cadavre en 2008, celui qui a chassé Alpha Grimpeur n’entretient désormais aucun doute sur ses intentions. Toutes les infos sont concordantes. Les grandes manœuvres ont commencé pour que l’autre protégé de la déliquescente FrançAfrique emboîte le pas au fils d’Idriss Débris.
On s’achemine donc vers une situation à la tchadienne. Avec toutefois une différence de taille : ici le Premier des ministres ne sera candidat qu’au reniement des valeurs qu’il a défendues bec et ongle jusqu’au jour où il signa un pacte de non-agression avec le prési Grimpeur. Depuis, ceux qui ont connu l’homme tombent des nues. Amadeus Oury Bas, probablement pris de court comme nombre de ses compatriotes, n’a que deux choix : soutenir son patron et susciter une levée de boucliers ou faire comme Mohamed Béavogui. Le scénario tchadien, avec un duel au sommet, étant exclu ici.
Dans le pays des occasions manquées, c’est le respect de la parole d’honneur qui aurait été un événement. En 66 ans de dépendance, jamais la volonté populaire n’a pris le dessus sur les desideratas du prince. Le système a une capacité abracadabrante d’apprivoiser nos chefs. Quel que soit l’homme qui parvient au pouvoir, le système parviendra à faire de lui un pantin. A l’exception notable de Sékou Tyran, qui était seul maître à bord, tous les autres ont subi ce système aussi nuisible que préjudiciable. Y compris le plus âgé et, par ricochet, censé être le plus expérimenté.
Une certaine opinion estime que le coup d’Etat du 5 septembre 2021 est le seul vrai putsch militaire en Guinée. Ceux de 1984 et 2008 ont renversé des cadavres. Et pourtant il y en a eu d’autres. Et sous d’autres formes. Après 9 ans de règne, Fory Coco fait face à une opposition farouche, bien organisée et soutenue à l’intérieur. En 1993, il ne doit sa victoire électorale qu’à l’annulation des votes de Kankan et de Siguiri où les partisans de son rival ont apporté de l’eau à son moulin en se livrant à un vote véritablement démoncratique. Juste après la proclamation des résultats, à la place d’une liesse populaire, la capitale est soumise à des tirs nourris qui obligent les plus téméraires à se terrer à la maison. Une victoire électorale suivie d’un couvre-feu n’est rien d’autre qu’un coup d’Etat.
Cinq ans plus tard, même scénario. A la seule différence cette fois que ce n’est point le Grimpeur qui arrive deuxième, mais le tandem Sira de Novembre-Mamadou Banqueroute. Cette coalition revendique la victoire. C’était sans Conté avec l’armée. La Grande Muette ne se contente pas de sa victoire. Sa bête noire, qui est l’opposant histo risque est cueilli à Piné et expédié à l’hôtel 5 étoile de Coronthie où séjourna, quelques mois plus tôt, son ami Banqueroute à la suite à l’affaire de Kaporo-rails. L’adage : qui a vu de loin le danger, qui l’a couru et qui y a échappé ne détalent de même. Sorti de 18 mois de réclusion, le Grimpeur ne s’est pas fait prier pour se mettre à l’abri.
Après la disparition du président-paysan, et surtout la disqualification de son successeur direct après la tragédie du 28 septembre 2009, la Guinée organise une présidentielle à laquelle le sortant ne se présente pas. Le présage d’une inédite élection démocratique. Surprise : l’Opposant historique, soutenu par la fameuse communauté internationale – qui considère tous les anciens dignitaires comme une pourriture – ne récolte que 18%. Avec ses résultats, la loi électorale appliquée (le second tour 15 jours plus tard), la victoire de cet homme s’avère un rêve brisé. Une nouvelle fois, le système quinquagénaire se met en branle. Le processus électoral est biaisé. La Guinée s’offre en spectacle avec 4 mois entre le premier et le second tour. Mais la fin justifie les moyens.
Arrive enfin le dilemme auquel tous les chefs, de Conté à Doum-bouillant sont confrontés : la candidature contre laquelle le chef avait juré par tous les saints ou le tripatouillage de la Constitution. Visiblement, Doum-bouillant n’aura pas échappé à la tentation. A ses risques et périls. A l’exception du gênant Fory Coco, tous les autres y ont laissé des plumes. Parce que la démocratie guinée-haine est bâtie sur du sable mouvant. Les thuriféraires d’aujourd’hui sont les pourfendeurs de demain. Certains chefs le savent mais comme soumis à un neurotrope, ils ne sont plus maitres d’eux. Ils se réveillent, mais le mal aura été fait.
Il nous le dit, Winston Churchill, si la démocratie est un mauvais système, il est le moins mauvais de tous les systèmes. La démocratie seule procure au chef sérénité et lucidité. En revanche la dictature, malgré son impressionnant arsenal sécuritaire répressif, vous expose à une anxiété permanente. Le pouvoir arraché de force rend sourd et aveugle.
Habib Yembering Diallo