La polygamie et ses corbeilles de petits piments est le premier roman d’Abdoul Goudoussi Barry, paru aux Editions L’Harmattan en 2023. C’est le récit romancé de faits réels vécus par les ménages polygames en Moyenne-Guinée.

L’ouvrage met l’accent sur le sort dramatique que connaissent les familles en raison des disputes fréquentes entre les coépouses et entre leurs enfants respectifs. La société peule repose essentiellement sur la polygamie autorisée par un précepte coranique qui dispose que chaque homme peut épouser jusqu’à quatre femmes. Mais, à condition d’avoir des ressources suffisantes et de traiter les épouses sur un pied d’égalité.

C’est loin d’être le cas dans la réalité. D’où les pratiques sataniques de la magie noire, de la sorcellerie et de l’envoûtement auxquelles ont recours les coépouses pour régler leurs rivalités et conquérir le cœur du mari. Au-delà de la magie, la farouche compétition qui les oppose peut aller jusqu’à l’empoisonnement et aboutir à la mort.

A l’origine, la polygamie était l’un des moyens d’accéder à la richesse, au prestige et au pouvoir. Dans la société traditionnelle, la valeur d’un homme se mesure au nombre de ses femmes et de ses enfants. Un homme jeune ne va pas loin pour chercher femme. Il épouse généralement, en premières noces, la fille de sa tante paternelle, sa cousine germaine. Une coutume qui remonterait, dit-on, à l’Egypte antique où le pharaon épousait sa propre sœur.

Tala est le personnage principal du roman d’Abdoul Goudoussi. Il est le fils unique de sa mère qui a eu du mal à concevoir : son père Hady, homme de condition modeste, a réussi néanmoins à conquérir l’une des plus grandes beautés du village de Fitakouna, Halimatou, par son courage et son acharnement au travail mais aussi du fait qu’elle est sa cousine germaine.

Ayant revendu Willé, la meilleure bête de son troupeau de bœufs, Hady a pu constituer un capital qui a permis à Halimatou de créer un commerce qui deviendra florissant. Elle achetait dans son village et les contrées avoisinantes les récoltes de riz, de fonio, de grains de néré (base d’un épice réputé, le soumbara), du miel, de la cire d’abeille et divers produits locaux comme le manioc, l’arachide, la patate douce, le beurre de vache (nebban na’i) ou de karité (nebban kaaré) qu’elle revendait au marché de Mamou, ville dont l’auteur est originaire et dont il fera une attachante description dans la suite du roman. Tant et si bien que la famille de Hady est devenue riche, construisant l’une des premières maisons en dur du village, faite de briques cuites et d’une toiture de tôles.

Après dix ans de mariage, Halimatou n’avait toujours pas eu d’enfant. Ce n’est pas faute de consulter les guérisseurs et de se livrer à moult pratiques magiques : verser sur elle le sang des bêtes sacrifiées lors des baptêmes de nouveau-nés ou bien attacher un pilon ou même un lézard dans son dos…  L’enfant tant attendu arriva enfin après que le couple a recueilli par humanisme dans son foyer Fatoumata Binta, une femme qui a tout perdu, lors de multiples déboires, mais qui sera leur porte-bonheur et que Hady finira par épouser avec le consentement de Halimatou. Cet enfant, c’est Tala.

Celui-ci passe son enfance auprès de sa grand-mère. C’est l’occasion pour l’auteur de ce roman de décrire avec talent la vie quotidienne au village dénotant sa bonne connaissance des coutumes et des traditions peules. Le lecteur se familiarise avec les diverses pratiques liées à l’élevage traditionnel peul caractérisé par le lien fort et singulier qui unit l’éleveur et son bétail du fait de leur contact quotidien.

En général, l’éleveur consomme difficilement, presque à contre-cœur, la viande de bœuf, seulement à l’occasion des deux grandes fêtes musulmanes ou des cérémonies traditionnelles. Il donne à chacune de ses bêtes un nom propre lié à la couleur de sa robe, sa capacité à se reproduire ou à produire ou non du lait.

La vache qui ne se reproduit pas est appelée Ghadhawé ; en revanche, celle qui se reproduit beaucoup est Barka ; la noire est dite Lahé ou Wolôwé. La Mômoré a une robe multicolore avec des taches noires et rouges sur un fond blanc ; la Sintawouléwé est toute rouge ; la Poulliwé est blanche ; la Goumé n’a pas de corne ; la Bambi est prolifique ; la Noumoula est robuste et utilisée par les forgerons dans leurs offrandes rituelles car elle met beaucoup bas et produit abondamment du lait.

La vie de Tala au village est rythmée par le lever aux aurores, le petit déjeuner de bouillie de fonio (latou) au lait caillé, la traite par la mère de famille du lait de vache qui est mis à fermenter dans des calebasses et entre dans le menu quotidien des villageois, la conduite du bétail de l’étable au pâturage, les longues journées de surveillance des bœufs…

Une fois par an, tous les troupeaux sont rassemblés dans un abreuvoir où une décoction spéciale faite d’une grande quantité d’eau, de terre argileuse des termitières, de sel, de feuilles et d’écorce de plantes miraculeuses est donnée aux animaux. Ceux-ci s’abreuvent durant trois jours d’affilée de cette mixture appelée mondé qui est destinée à favoriser leur bonne santé et leur prolifération. C’est le rituel du Touppal.

Abdoul Goudoussi Barry

Pendant la saison sèche, c’est-à-dire une fois par an, le troupeau quitte le hameau (marga) pour aller dans un lieu éloigné appelé wouro où les éleveurs s’installent pour lui procurer une riche pâture.

Au retour de la bonne saison, commencent les labours. Des compétitions ou kilé sont organisées et un breuvage enivrant, le mérin, est donné aux laboureurs pour démultiplier leur ardeur au travail.

L’enfance de Tala est aussi marquée par les promenades dans la brousse pour récolter la sève de l’hévéa sauvage destinée à fabriquer des ballons, saigner la glu des houx servant à piéger les oiseaux pour les rôtir ou les apprivoiser, cueillir les baies jaunes ou rouges (poorè laarè ou bien poorè kodoudou) et se livrer à tant d’autres distractions comme la nage et la pêche car le Fouta Djallon est un pays montagneux aux nombreux cours d’eau. Le bas du mur en banco de la case ronde qui sert d’habitation est orné d’une frise d’arabesques, le toit est de chaume et au-dessus du feu de bois se dresse le grenier (dhaggal) fait de troncs de bambou. Tel est le décor de la maison familiale.

Le soir, après un dîner plutôt frugal, couché sur sa natte qui lui servait de lit, Tala écoutait sa grand-mère Pati Diaraye lui conter récits et légendes émaillés de proverbes et de devinettes. Il se réchauffait au feu de bois qui ne s’éteint jamais, toujours entretenu par trois grosses bûches entrecroisées et renouvelées au fur et à mesure qu’elles se consument.

Lorsque les récoltes de céréales arrivent, c’est tous les jours joie et fête au village. De grandes rencontres entre les habitants de toutes les contrées voisines sont organisées. C’est l’occasion pour les jeunes de faire connaissance. Diverses cérémonies se déroulent : mariages, circoncision et excision (cette atroce mutilation génitale que subissent les jeunes filles et qui devrait être définitivement abolie), veillées nocturnes, réjouissances de toutes sortes.

Certains jours, c’est le summum : chanteurs, danseurs, lutteurs et magiciens s’en donnent à cœur joie à l’intérieur d’un grand cercle de personnes venues de tous les horizons. Les femmes rivalisent pour voir celle qui a la plus belle tenue vestimentaire, celle qui prépare les meilleurs plats ou celle qui danse le mieux.

L’orchestre traditionnel est composé d’instruments de musique variés : les tam-tams (djimbé), la guitare tétracorde ou kéronarou, la percutante calebasse-castagnette (hordé) qui se joue avec des doigts bagués d’argent ou de cuivre, la flûte traversière (cerdou) ou pastorale (tambinrou), le violon (gnégnérou), le balafon et ses baguettes magiques et les castagnettes (laladhé). Le tout accompagné de chansons mélodieuses, de farandoles et de danses frénétiques, ancêtres du jazz, du blues, de la salsa, de la bossa-nova et du reggae que nos frères déportés aux lointaines Amériques ont recréés.

A l’âge de dix-neuf ans, Tala est incorporé dans les troupes coloniales françaises pour aller combattre en Algérie où les nationalistes du FLN ont lancé la guerre d’indépendance. Il survit par bonheur et, au bout de cinq ans de service militaire, rentre au pays auréolé de la gloire des anciens combattants.

Le roman d’Abdoul Goudoussi Barry révèle son titre lorsque Tala envisage d’épouser une deuxième femme. Avant de se décider, il consulte un vieil ami de son père devenu son confident et son conseiller, Mawdho Samba, un « homme-bibliothèque », un puits de sagesse et de connaissances.

Avant de lui donner son avis, Mawdho Samba lui assène cette amère vérité : « Entre les coépouses, malgré leur parfaite entente apparente, il y a toujours cent petites corbeilles remplies de petits piments ». Et de lui conter, durant de longues veillées nocturnes, les effets néfastes de la polygamie à travers les mésaventures d’un grand nombre de ménages polygames, multipliant les exemples pour souligner les conséquences néfastes de la pratique.

Mawdho Samba raconte, entre autres, l’histoire de Gnamata Fonnyè (« Ne mange pas le fonio ») qui eut un père polygame, du fils-esclave et de sa mère dans la famille du riche Mody Amadou, mari de trois épouses, celle d’une famille de quatre épouses et de quinze enfants, d’une autre famille trigame de dix-sept enfants, ainsi que de l’enfer terrestre vécu par de nombreux hommes égarés dans la polygamie.

Il ressort des récits de Mawdho Samba que dans toute famille polygame, le mari fait toujours une discrimination non seulement entre les épouses mais aussi entre ses propres enfants. Il y a toujours la Bâta, la favorite, et la Bargna, la mal-aimée. Les coépouses de votre mère sont vos marâtres, terme qui en dit long sur le comportement généralement hostile de celles-ci à l’égard de ceux qui ne sont pas ses propres enfants.

Le grand malheur de la polygamie, c’est que les coépouses se livrent à une bataille féroce pour accéder au statut de la femme la plus adulée du mari qui ne sera jamais juste et ne placera jamais ses épouses sur un pied d’égalité. Les enfants sont bien conscients de cette injustice et ils rivalisent à leur tour pour avoir le meilleur statut social ou la plus grande part dans le partage des biens matériels légués par le père et qui reviennent exclusivement aux garçons.

Les disputes entre les coépouses se nourrissent de haine et de jalousie. Elles ont recours à qui mieux mieux aux joueurs de cauris, aux marabouts et aux voyants pour avoir le Talkourou le plus efficace, c’est-à-dire l’amulette la plus destructrice, le Nyakkorou le plus magique, soit l’amulette séparatrice pour chasser la rivale ou la poudre ensorcelante pour jeter un mauvais sort aux enfants de la coépouse et les exiler loin de la famille. Mais hélas, la magie peut aller quelquefois jusqu’à l’empoisonnement et à la mort. Et malheureusement, plus il y a de coépouses, plus les corbeilles de petits piments se multiplient.

Puis, Tala retourne dans le grand centre urbain de Mamou pour toucher sa pension militaire. L’auteur décrit alors avec nostalgie le site géographique de la ville qui l’a vu naître et ses diverses caractéristiques, le fameux cours d’eau, Mamounwol, qui la traverse en prenant une dénomination propre selon les quartiers qu’il longe : Pettel, Horé-Fello, Poudrière, Almamiya, Dumez, Boulbinet, Kimbéli, Tambassa … Des populations de toutes les origines guinéennes et d’ailleurs sont établies à Mamou, faisant de cette ville un grande cité culturelle, polyglotte, multiethnique et un véritable carrefour d’autant plus qu’elle se situe au centre géographique de la Guinée.

Tala évoque aussi le souvenir de son cousin Ibrahima Barry, un artiste et peintre de génie, un surdoué qui a réellement existé et qui a traversé la vie comme un météore. Après l’Ecole des beaux-arts de Bellevue à Conakry, il s’est exilé en Côte d’Ivoire. A Abidjan, il a fait la rencontre miraculeuse avec le grand cinéaste guinéen Henri Duparc et la méga-star du reggae Alpha Blondy qui l’ont réellement lancé dans le monde de l’art et contribué à sa notoriété.

L’auteur Abdoul Goudoussi est persuadé que le peintre Ibrahima Barry, trop tôt disparu mais qui a laissé des œuvres d’une grande portée artistique, sera consacré par la postérité.

Après un ultime retour à son village d’origine, Tala consulte encore Mawdho Samba dont les histoires le dissuadent définitivement de devenir polygame.

Ecrivain authentique, Abdoul Goudoussi, dont la plume prend parfois une tournure poétique, signe dans « La polygamie et ses corbeilles de petits piments » une œuvre littéraire qui laisse espérer une suite qui va confirmer les premières impressions ressenties à la lecture de ce roman.

Alpha Sidoux Barry

Président de Conseil & Communication International (C&CI)