Si les Guinéens vendent et consomment de l’attiéké depuis belle lurette, de plus en plus des restaurants ivoiriens ouvrent à Conakry. Ces nouveaux lieux de vente et de consommation attirent les clients locaux. 

Ils ont pour nom Yopougon (une des treize communes du district d’Abidjan), Restaurant 225 (indicatif de la Côte d’Ivoire), Attiéké-drome, Coup de frein ou encore Le Retrait. Ces nouveaux restaurants tenus par des Ivoiriens, spécialisés dans la vente de l’attiéké, ont de plus en plus la cote chez les consommateurs guinéens. Cette spécialité ivoirienne, si elle était déjà modestement consommée dans les quartiers de Conakry, se modernise et envahit davantage les assiettes guinéennes. Elle tend à tenir la dragée haute au riz, l’aliment de base, et à concurrencer les vendeurs locaux. « L’attiéké et l’alloco, c’est un peu le MacDo aujourd’hui. Je suis surprise de voir comment les Guinéens consomment ce plat ! Même chez nous ici, ça se vend plus que le reste », en convient cheffe Yaya du restaurant Le Jacquier.

Fait à base du manioc, un féculent, l’attiéké est très apprécié dans des milieux ou bien manger est souvent synonyme d’avoir le ventre lourd, pour une bonne partie de la journée ou de la soirée. Même s’il faut admettre la saveur particulière de l’attiéké ivoirien ou dit importé, plus léger (tel le fonio guinéen ou le couscous) que le garba, l’autre variante popularisée par les Haoussas en Côte d’Ivoire. Le plat est accompagné du poulet ou du poisson, d’une petite sauce assaisonnée de légumes (oignon, tomate, concombre…)

Une clientèle conquise

A Kipé, commune de Ratoma, le restaurant Yopougon excelle dans la vente de l’attiéké. Nyéréké Kpoghomou, manager et porte-parole de circonstance du tenancier explique : « Notre spécialité, c’est l’attiéké importé de la Côte d’Ivoire. Outre le poulet et le poisson, nous servons le plat avec aussi des frites et de l’alloco (bananes plantains) ». Les prix oscillent entre 50 000 et 120 000 francs guinéens, selon que le client commande la moitié ou le poulet entier, un petit ou un gros poisson.

Pau Kolina, elle, officie au restaurant Coup de frein acte2, situé à Nongo Contéyah (commune de Lambanyi) : « J’évolue dans la vente de l’attiéké depuis 2007. J’ai commencé en Côte d’Ivoire. En Guinée, j’ai essayé de savoir si les Guinéens admirent cette recette. Ils la trouvent excellente. »

Mme Pau Kolina

Les consommateurs affluent au Coup de frein, à cause de la propreté du cadre et la qualité du service, selon la gérante Pau Kolina : « A date, nous avons trois restaurants à Conakry : Carrefour Cosa à Nongo, Contéyah et à Petit-Simbaya, tous dénommés Coup de frein. Mais chacun est numéroté. »

La propreté n’y est pas toujours, en revanche. Dans un des restaurants visités, on a trouvé les toilettes complètement bouchées. Interrogé, un des employés accuse les clients de se servir du kleenex qu’ils jettent dedans. Cheffe Yaya du Jacquier apporte pour sa part un bémol : « L’attiéké est un bon aliment, s’il est bien fait. Mais les conditions hygiéniques dans certains de ces restaurants sont très sommaires : on déplume, boue de poulets près du charbon ou des égouts. Malgré tout, les clients affluents. C’est incroyable ! »

Maimouna Boiro, inconditionnelle des restos ivoiriens, ne cache pas son admiration pour ce qui s’y prépare : « J’apprécie ce repas, je le préfère à celui de chez-nous. Avec l’attiéké ivoirien, il y a des gros poissons et des ingrédients. »

Modernes et informels

La semoule de manioc est importée de la Côte d’Ivoire, transportée dans des sacs et par camion. Au restaurant Yopougon, on pointe du doigt le mauvais état du réseau routier guinéen : « Il faut traverser la Guinée forestière. Le coût du transport est énorme ; la route est très dégradée, surtout en saison des pluies », se plaint Nyéréké Kpoghomou. Il faut donc anticiper pour éviter d’être en rupture de stock. « Chaque semaine, nous commandons dix à quinze sacs, précise Nyéréké Kpoghomou. Mais avant qu’ils n’arrivent, on trouve malheureusement que deux ou trois sacs sont pourris. Cela est dû au retard des camions qui tombent souvent en panne. A chaque moment, on améliore notre manger suite aux suggestions de nos clients. »

Nyéréké Kpoghomou du restauration de Yopougon

A la différence des gargotes de quartiers tenues par une ou à la rigueur deux personnes, les restaurants, plus modernes, fonctionnent telles des entreprises, disposant de plusieurs équipes : la préparation, la caisse, les serveurs… A Coup de frein, Pau Kolina soupçonne toutefois ses travailleurs de piquer dans la caisse.

Ces restaurants ne sont malgré tout pas formalisés. Si l’Ambassade de Côte d’Ivoire en Guinée est au courant de leur existence, elle n’en sait pas grand-chose sur ces établissements, à en croire un interlocuteur qui requiert l’anonymat. « Aucune donnée n’existe ici. Les restaurants sont dans l’informel, nous ne pouvons donc pas connaître leur nombre », réagit-il en off. Et de renchérir : « Il y a des Ivoiriens qui viennent ici pour nous informer, mais c’est de bouche à oreille. La plupart d’entre eux, c’est pour faire la promotion juste. Et il y a d’autres qui ne nous informent même pas. »

Comment éviter la constipation

Aïssatou Diallo fréquente souvent les restaurants ivoiriens, pour déguster du garba. Pourquoi ? « Après l’avoir mangé, je suis rassasiée toute la journée. C’est un aliment très lourd », justifie-t-elle. Nyéréké Kpoghomou assure que la particularité de son restaurant est « que notre attiéké ne donne jamais de la constipation. » Le Dr Amadou Sylla du laboratoire de l’Office national de contrôle qualité prévient : « Bien que l’attiéké soit un dérivé du manioc, il est souvent pauvre en fibres, en raison du processus de transformation. Un apport insuffisant en fibres peut ralentir le transit intestinal. Il y a aussi l’hydratation insuffisante. Les fibres ont besoin d’eau pour faciliter le transit intestinal. Si vous ne buvez pas assez d’eau après avoir consommé de l’attiéké, cela peut entrainer une constipation. »

Le médecin conseille aux consommateurs de modérer leur consommation : « Manger de grandes quantités riches en glucides peut surcharger le système digestif, surtout si vous n’avez pas l’habitude de consommer ce type d’aliments. Cela peut ralentir la digestion et causer de la constipation. » Pour les mêmes raisons donc, le Dr Amadou Sylla déconseille de mélanger l’attiéké avec des aliments riches en graisse ou pauvres en fibres. Il recommande plus de légumes et de modérer les portions, plutôt que de se contenter d’avoir le ventre lourd.

Souleymane Bah