Le 30 octobre 1974 à Kinshasa, Mohamed Ali et George Foreman s’affrontent à Kinshasa pour le titre de champion du monde des poids lourds. Une affiche de rêve, pour un scénario dingue. Mais au-delà du contexte géopolitique et social, ce « combat du siècle » a été d’abord un chef-d’œuvre sportif entre deux champions, et surtout une démonstration technique et mentale de la part de Mohamed Ali.

Ceux qui l’ont vu, revu ou découvert des années plus tard, sont unanimes : le combat Ali-Foreman est LE sommet de la boxe. « L’apothéose ! Il n’y a pas un combat qui l’a détrôné », estime l’ex-boxeur français Brahim Asloum, champion olympique (2000) et champion du monde (2007). « On a deux boxeurs avec deux styles totalement différents, présente Asloum. Ali est virevoltant sur le ring, se déplace à merveille, a un vrai coup d’œil avec une technique très propre. Et face à lui, il y a un Foreman dévastateur, avec une force physique hors norme, et qui a détruit plus ou moins tous ses adversaires. »

En 1974, au moment où se monte le combat, Mohamed Ali a 32 ans et a déjà été trois fois champion du monde, la première en 1964, la dernière en 1967. De son côté, George Foreman est double champion du monde en titre après une première couronne arrachée en janvier 1973 en « détruisant » Joe Frazier, envoyé six fois au tapis. Jusque-là invaincu, « Smoking Joe » avait lui-même infligé sa première défaite à Mohamed Ali deux ans plus tôt, dans le premier ou défunt « combat du siècle ».

Piques et répliques

Pour ce combat à Kinshasa, organisé par le sulfureux promoteur Don King en partenariat avec le président zaïrois Mobutu Sese Seko, le jeune Foreman est donc ultra-favori face au « vieux » Ali. Howard William Cosell, célèbre journaliste américain, spécialiste de la boxe, n’a aucun doute sur l’issue du combat. Dans le documentaire When We Were Kings, il livre son analyse sous forme de sentence pour l’ancien champion du monde. « Il est temps de dire adieu à Mohamed Ali, car franchement, je doute qu’il puisse battre Foreman. Il fait peut-être des miracles, mais contre Foreman si jeune, si puissant, si courageux…qui expédie ses adversaires l’un après l’autre en moins de trois reprises, j’ai peine à le croire. Après ce combat, Ali raccrochera les gants. »

À quelques semaines du « Rumble In The Jungle » (« La Baston dans la jungle »), nom officiel donné au combat par Don King, Mohamed Ali, dans son style légendaire, provoque son adversaire et lui envoie des piques chaque fois qu’il en a l’occasion : « Je ne l’aime pas… Il parle trop (sic), assène-t-il. Je suis le démon de la vitesse. Je suis le torero, il est le taureau. Il crève de trouille. Il va rencontrer son modèle, son maître, son idole. »

Plus discret, George Foreman prouve qu’il peut être également percutant en punchlines. Lors d’une conférence de presse, on lui demande ce qu’il compte faire de ses revenus du combat, car Ali pense construire un hôpital avec ses gains. Il réplique : « Il se voit déjà à l’hosto… »

Guerre psychologique

À l’entraînement, Mohamed Ali montre son niveau de forme. Il répète ses gammes, affine sa stratégie. Pour lui, il faudra éviter et/ou savoir encaisser les coups dévastateurs de son adversaire. Il sait se transformer en savonnette face à ses adversaires. « Comment va-t-il m’approcher ? Je vais danser, danser et danser. Il aura l’air con à me courir après. Et quand il sera bien perdu dans la tourmente, aveuglé par mon jeu de jambes, je lui balance un direct. »

George Foreman, lui, se prépare à « boucler le ring », une stratégie consistant à coincer l’adversaire dans les cordes ou dans un coin. Il se prépare avec des boxeurs rapides, légers et agiles. Les images sur les traces qu’il laisse sur son sac de frappe font peur et finissent de convaincre la plupart des observateurs qu’Ali n’a aucune chance.

Prévu initialement le 25 septembre, le combat est reporté au 30 octobre après la blessure à l’arcade sourcilière de Foreman par un sparring-partner. Les deux boxeurs sont obligés de rester six semaines de plus au Zaïre. Ali le prend bien : « Les déceptions sont fréquentes dans le sport. La pluie peut empêcher un match. Mon rêve est en panne pour six semaines. »

Le natif de Louisville en profite pour se rapprocher des Congolais et s’en faire des alliés. Pendant l’attente forcée, le fameux slogan « Ali, boma ye ! » (« Ali, tue-le ! ») prend ainsi forme au gré des footings de l’Américain dans les rues de Kinshasa. « Il (Ali) disait qu’il était chez lui, qu’il était Congolais », se rappelle Valéry Kayumba, ancien directeur technique de la Fédération de boxe congolaise. « À huit ans, quand j’ai vu Mohamed Ali au Congo, j’ai dit à mes copains :  »je serais comme ce monsieur-là ». À partir de ce comment, je suis allé m’inscrire à la boxe », témoigne celui qui disputera les Jeux olympiques de Los Angeles en 1984.

Le « cauchemar »…

Et arrive le 30 octobre… Au stade du 20 Mai (rebaptisé depuis stade Tata Raphaël), les deux boxeurs se font enfin face. Ali est en short blanc, Foreman en rouge. L’expérience contre la jeunesse, le stratège contre la force brute. Comme prévu, Ali « danse » autour de Foreman, de gauche à droite, balançant ses droites dès que l’occasion se présente. Il semble insaisissable pour son adversaire qui parvient parfois à le coincer dans les cordes.

Pendant les troisième et quatrième rounds, Ali est roué de coups, mais il continue à « piquer » Foreman, le provoquant sans arrêt, le poussant à frapper plus fort, encore et encore : « Tu me déçois mon George. Faut y mettre un peu de pêche. Je ne sens rien. »

Pourtant, le « cauchemar » qu’Ali redoutait était en train d’arriver. « Il était face à un adversaire qu’il ne pouvait pas dominer, qu’il n’effrayait pas, qui cherchait le K.O et qui cognait plus fort que lui. Un homme farouchement déterminé », analyse l’écrivain américain, scénariste et réalisateur Norman Mailer, interviewé dans le documentaire When We Were Kings.

Foreman remet dans les cordes un Ali qui ne danse plus. Il encaisse, résiste pendant que son adversaire le bombarde. Les coups pleuvent et beaucoup d’observateurs pensent que le combat est en train de s’achever.

Mais vers la fin du cinquième round, Foreman montre les premiers signes de fatigue. Une droite d’Ali fait mouche, le colosse vacille. Ses coups deviennent moins puissants lors du sixième round.

Au moment de reprendre le combat à la septième manche, Mohamed Ali se tourne vers la foule et lance « Ali boma ye ! », repris en chœur par 100 000 supporters représentant une force incroyable pour l’ancien champion du monde. « Quand j’entendrai les frères crier ça, je serai gonflé à bloc », avait-il annoncé.

Et il retrouve un second souffle lors du huitième round. À trente secondes de la fin de cette reprise, Mohamed Ali place un enchaînement droites-crochets que Foreman ne peut éviter. « Big George » titube et s’étale de tout son long sur le ring. Incroyable ! Le champion en titre est compté : 1, 2, 3, 4, 5, 6… Il se relève sur un genou…8, 9… Trop tard ! Mohamed Ali a battu George Foreman, l’homme qui n’avait jamais perdu en 40 combats, dont 37 K.O.

« Le scénario est dingue, confie Brahim Asloum. Ali qui résiste à tout pour ne pas tomber et qui retourne la situation. C’est le scénario parfait pour un gros combat de boxe. C’est Rocky en vrai. »

Après cette défaite, George Foreman fera une dépression pendant deux ans. « ​​​​​​​C’est comme si Ali m’avait tué. Je suis arrivé avec deux titres de champion du monde, je suis reparti sans rien », confie-t-il en 2016 dans un témoignage après le décès de Mohamed Ali qu’il considère comme « un phénomène ».

Vingt ans après le duel de Kinshasa, George Foreman réussira l’immense exploit de remporter le titre de champion du monde à l’âge de 45 ans en mettant K.O Michael Moorer.

Mohamed Ali, de son côté, livrera 22 combats après le « Rumble In The Jungle », mais aucun n’aura saveur celui qui l’avait propulsé définitivement vers l’éternité et qui reste toujours « LE combat du siècle ».

Par : Ndiasse Sambe, Rfi.fr