Les Guinéens ont célébré le 66è anniversaire de leur indépendance-dépendance nationale le mercredi 2 octobre. A Cona-cris, le Prési de la Transition, Mamadi Doum-bouillant, a préféré un défilé quasi huis clos avec les hommes en treillis. Pour une démonstration de force, c’en était bien une avec la part belle au Groupement des Forces spéciales, son unité d’origine. Et comment !

2 octobre 1958 – 2 octobre 2024, la République de Guinée a célébré les 66 ans de son indépendance nationale, sous le thème : « S’inspirer du passé pour construire le futur ensemble : la Guinéenne ». Cette année, c’est l’esplanade du 28 Stade critique de Dixinn qui a servi de cadre au traditionnel défilé de la fête nationale du 2-Octobre. Un défilé aux allures de fête de l’armée. Quasiment, seule la grande-muette a fait ses démonstrations.

Les festivités ont démarré par le traditionnel dépôt de gerbe de fleurs à la Place des Martyrs, à Kaloum, non loin du Palais Mohammed V (Présidence de la République), la résidence de Mamadi Doum-bouillant. Le Prési aux commandes de la Guinée depuis le coup d’éclat contre Alpha Grimpeur le 5 septembre 2021 était accompagné de sa douce-moitié, Lauriane Darboux Doum-bouillante.

Peu après, il pique droit sur Dixinn-Terrasse. Le coin, sous bottes surveillances, a accueilli de nombreux invités de marque (déposée). L’événement est en direct sur la télé-bidon nationale, sous la coordination de la DIRPA-G (Direction de l’information et des relations publiques avec l’armée guinéenne), avec l’appui de la Direction de la communication et de l’information de la Présidence, DCI-PRG.

Un message aux opposants ?

Après le salut aux couleurs nationales, Doum-bouillant, tout de blanc vêtu, serre la main à ses invités de marque (déposée) et s’installe dans son fauteuil douillet, côte à côte avec sa douce-moitié. Pas un seul homologue, voisin ou lointain. Mais des diplomages, des membres du goubernement, cadres (en bois) de l’administration, des laveurs de chats et autres. Démarre ensuite le défilé, la parade militaire. Du carrefour Echangeur, peu après le quartier Bellevue au rond-point de Donka, via Dixinn-Terrasse, l’Université Gamal Abdel Galère, le Lycée du 2-Août. Entre autres et tour à tour se succèdent les femmes des 4 régions naturelles du bled, le Prytanée militaire de Guinée, l’Agence du service civique d’action pour le développement, l’Association sportive des Forces armées guinéennes, la Garde pénitentiaire, le Corps des conservateurs de la nature, la Douane nationale, les unités mixtes de la Police nationale, la Protection civile, les Ecoles militaires, les unités mixtes de la Gendarmerie nationale, l’Armée de mer, l’Armée de l’air, quelques unités mixtes de l’armée de terre, le Peloton du Bataillon autonome des troupes aéroportées, BATA, le Peloton du Groupement des Forces spéciales, GFS.

Viennent enfin, les troupes motorisées. Pas moins de 1 000 teufteufs, visiblement neufs et trois hélicos qui survolent l’espace aérien du cadre de la cérémonie au même moment. Une vraie démonstration de force. Pour dire aux opposants du CNRD qui bouge sera bousillé ? Ou bien Mamadi Doum-bouillant a montré ses muscles à ses anciens amis réunis autour de l’Alliance des Etats du Sahel ? « Je ne crois pas, car ce type d’équipement est contre-productif et inadapté à la lutte dans une guerre asymétrique et les forces armées du Sahel en sont réduites aujourd’hui à s’équiper comme les groupes djihadistes. Et à ce défilé, il y avait beaucoup plus des VAB (Véhicule de l’avant blindé, servant au transport de troupes) qui ne servent à rien contre le terrorisme. Ce défilé est destiné à l’interne », croit savoir un habitué de la grande-muette, qui a requis l’anonymat.

« J’ai été très surpris »

Toujours est-il que le défilé a fait la part belle aux éléments du Groupement des Forces spéciales, chargé notamment de la lutte contre le terrorisme : un documentaire exclusif leur a été consacré. Ensuite, ils ferment la parade militaire avec leurs accoutrements, leurs pas millimétrés, encagoulés, armes de pointe. C’est aussi par les troupes motorisées des mêmes Forces spéciales que la cérémonie a pris faim. Plus d’un téléspectateur a constaté que l’unité d’origine du général de Corps d’armées, Mamadi Doum-bouillant, est visiblement la mieux équipée. Ils ont bénéficié de plus de temps pour leur parade que les autres, à l’instar de leurs frères d’armes du BATA, aux yeux aussi rouges que le béret.

Notre interlocuteur est surpris du défilé trop partial offert aux Guinéens le 2 octobre, en lieu et place des autres Guinéens qui ont pourtant combattu pour l’indépendance. « La principale remarque, c’est que j’ai été très surpris que cela se résume à un défilé militaire, comme si l’indépendance guinéenne était un fait de l’armée. Or, celle-ci a été créée seulement le 1er novembre 1960 (soit deux ans après l’accession à la souveraineté nationale). Il fallait réserver la cérémonie aux compagnons de l’indépendance, c’est-à-dire aux Forces vives. C’est essentiellement les formations politiques d’alors, les femmes, les syndicats qui ont joué un grand rôle », souligne-t-il, avant de conclure : « Cet imposant défilé militaire, en période de transition, me parait beaucoup plus destiné à expliquer et montrer que toute velléité d’opposition à une éventuelle candidature du CNRD sera réprimée par la force. »

La presse privée…de tout

La presse privée a été tenue à bonne distance. Seuls les con()frères du pouvoir ont eu accès à la loge officielle. Les journaleux du privé et des correspondants des médias étrangers ont été tenus en respect. Des accréditations triées sur le volet ont été pourtant remises à certains, même qu’une salle de presse avec écran géant leur aurait été réservée. Mais quelle ne fut leur surprise le jour J. Les sévices de sécu se sont, une nouvelle fois, inscrits dans la logique de la junte militaire d’empêcher la presse privée d’accéder aux événements officiels.

« Accrédités ou non, plusieurs journalistes des médias privés ont afflué très tôt le matin à Dixinn, vers 8h. Après avoir été fouillés par les policiers au niveau de Dixinn-Oasis, nous avons été stoppés par la garde de Mamadi en costumes cravates. Ils nous ont dit droit dans les yeux : seuls les journalistes de la Présidence sont autorisés à couvrir la cérémonie à la tribune. Ils nous ont bloqués au niveau de l’Ecole primaire de Dixinn, loin de Mamadi Doumbouya et ses invités. On n’a pas pu bouger de là, jusqu’à la fin de la cérémonie », a témoigné Alassane Bah, de Guinée news. Quid de la salle aménagée ? « On ne nous a montré aucune salle. Je ne pense pas que cela soit avéré. Sinon, pourquoi nous caser dans une salle, alors que la cérémonie se déroulait en plein air ? Ils méprisent la presse privée plus que jamais », a confié un autre con()frère. Les journaleux ont dû ranger dictaphones, caméras, appareils photos, dans leurs besaces et faire le pied de grue jusqu’au bout de l’ennui. Ils ont été mis hors d’état de luire, à Dixinn-Terrasse.

Un proche de la DCI, qui a requis l’anonymat, affirme que les accréditations ont été « gérées » par le ministère de l’Info et de la Complication piloté par N’Ta Fana Soumah. « C’est la DIRPA qui a assuré le commentaire à la télé. La DCI a appuyé la RTG pour l’installation des équipements, en vue d’une bonne couverture en direct de la cérémonie. Si vous voulez des détails par rapport aux accréditations de la presse, demandez-en au ministère de l’Information ». Et toc !

Le ministère de l’Info et de la Complication a botté en touche l’affirmation selon laquelle il aurait géré le dossier d’accréditation. Joint au téléphone, un botteur des couloirs du département a réagi : « Non, nous n’avons pas géré les accréditations, pas du tout. Le ministère de l’Information s’est occupé de la retransmission en direct de l’événement en collaboration avec la DCI. Quant aux accréditations, nous avons reçu un lot. On en a gardé une partie pour les médias du service public, notamment pour la RTG qui devait faire le direct en plus de Horoya et de l’AGP. » Dans le même lot, il en a été prélevé d’autres, pour « les associations de médias privés Aguipel, Remigui, etc.», qui en ont distribué à leurs membres. En clair, c’est la DIRPA qui aurait « géré les accréditations » qu’elle a déposées à la DCI. Notre tentative de joindre la DIRPA s’est soldée par un échec.

Mamadou Siré Diallo