Trois mois après la disparition d’Oumar Sylla alias Foniké Menguè et de Mamadou Billo Bah, les enquêtes judiciaires promises pour les retrouver patinent. Les appels à la libération des deux responsables du Front national pour la défense de la constitution continuent.
Le 2 octobre, vêtu de boubou blanc amidonné, Mamadi Doum-bouillant assiste à Dixinn-terrasse aux festivités de l’an 66 de l’indépendance nationale. A ses côtés, sa douce-moitié, Lauriane. Banquet le soir, au palais Mohammed V : le couple présidentiel fait de nouveau son apparition, tout sourire, tenant son dernier fils de deux ans. Ça force l’admiration !
Mais dans les familles de Fonkié Menguè et de Billo Bah, ce n’est pas la fête : voilà trois longs mois que leurs enfants respectifs sont privés de chaleur paternelle ; pire, du droit de savoir où se trouvent les leurs ; leur sort ; leur tort…
Sur Facebook, l’épouse de Billo partage son chagrin, en interpellant Lauriane afin qu’elle « demande à [son] mari de nous rendre nos époux », écrit Assiatou Bah. « La douleur que vous nous infligez en ce moment est immense, surtout pour les enfants, pour qui cette situation est incompréhensible. Tout ce qu’ils désirent, c’est d’être près de leur père, tout comme [nous] auprès de nos époux ! En ce moment précis, les vôtres sont avec vous, mais vous choisissez de nous priver de ces moments précieux, et cela [nous] désole profondément. »
La publication est illustrée par d’anciennes photos prises lorsque les familles étaient au grand complet. Faute de pouvoir poser, telle la famille présidentielle, avec leurs proches introuvables. Dame Bah prie aussi Dieu pour qu’Il les réunisse à nouveau ; ses plaintes et ses pleurs peinant à trouver écho dans ce monde d’ici-bas.
Enquête promise, enquête due
La jus-tisse sa toile, sans véritable résul-tare. Une semaine après la disparition, le 9 juillet, des deux activistes du FNDC, le pro-crieur général près la Cour d’appel de Cona-cris avait crié haut et fort que la justice n’y est pour rien. Que Foniké Menguè et Billo Bah n’était dans aucun lieu de détention conventionnelle. Nul n’a trouvé à redire : le pénitencier de Fotoba construit sur les îles de Loos par le colon pour détenir les résistants d’alors n’étant pas une prison ordinaire. Et selon le jeune rescapé de l’enlèvement, Mohamed Cissé, c’est là que ses compagnons d’infortune auraient été conduits, après avoir transité par l’escadron mobile de la gendarmerie de Hamdallaye et l’enceinte de la présidence de la République.
Mais le robin Fallou Doum-bouillant avait juré, la main sur le palpitant, qu’il diligenterait des « enquêtes minutieuses et complètes » pour retrouver les otages et leurs ravisseurs, afin de rendre les uns à leurs familles et punir les autres. Le colonel Célestin Bilivogui, qui était du lot des disparus, a effectivement été retrouvé et présenté à sa femme…à la morgue de l’Hôpital national Ignace Deen. Depuis ce jour, 25 septembre, l’opinion attend la réaction du pro-crieur général. Il est sûrement ému par la prouesse de ses services d’enquête.
Il paraît que le parquet du tribunal de première instance de Dixinn avait, à la suite du communiqué de Fallou Doum-bouillant, saisi la Direction centrale de la police judiciaire pour piloter (à vue) les investigations. Le Premier ministre Amadeus Oury Bah a assuré que « les enquêtes se poursuivent. Je tiens à ce que l’on sache où ils se trouvent, et leur sécurité est une priorité pour nous tous. C’est pour cette raison que nous suivons de près l’évolution de cette situation. »
Et elle évolue si bien que trois mois après, la justice ignore où sont les otages, qui les détiennent et s’ils sont en vie. « A ce stade, la procédure est sous le sceau du secret et la police n’a pas encore remonté des informations sur comment elle évolue », coupe court une source judiciaire proche du dossier.
Des familles pas naïves
Les proches des disparus ne cachent pas leur scepticisme quant à la volonté des autorités de faire la lumière sur la disparition du coordinateur national et du responsable des antennes et mobilisation du FNDC. C’est un peu le voleur qui aide la victime à retrouver la chose volée, croient les familles. « Au tant que je sache, il n’y a aucune enquête en cours. Trois mois après leur disparition, c’est toujours le silence », déplore une source familiale. « Si une enquête a été ouverte, nous n’en sommes pas informés », abonde Alsény Aïssata Diallo, un des avocats (sans vinaigrette) de Foniké Menguè et de Billo Bah.
Version partagée par son collègue Saliflou-flou Béa: « Rien n’a bougé. C’est toujours l’angoisse et la tristesse. Nous n’avons aucune information sur nos clients depuis leur enlèvement. Nous avions écouté le communiqué du parquet général, mais à notre connaissance, rien absolument n’a été fait. Nous ne sommes au courant de l’ouverture d’aucune enquête, d’aucune avancée significative tendant à les retrouver. Nous espérons qu’ils vont nous revenir rapidement. »
Interpellation de Lauriane, saisine de la justice française et internationale (CPI), débrayage des deux avocats guinéens, manifs en Guinée et à l’étranger…les initiatives se multiplient, le statuquo demeure. « Placer les défenseurs des droits humains hors de la protection de la loi en ne répondant pas à ces allégations et en dissimulant leur privation de liberté équivaut à une disparition forcée, une violation dont la prohibition a atteint le statut de jus cogens en vertu du droit international », déplorent des experts onusiens dans une déclaration publiée le 10 octobre. « Nous exhortons les autorités guinéennes à élucider le sort et le lieu où se trouvent M. Billo Bah et M. Sylla immédiatement, à les libérer, et à protéger leurs droits, et si les allégations sont confirmées, à identifier, juger et punir les responsables de leur disparition forcée », ajoutent-ils.
Pas sûr que Mamadi Doum-bouillant entende Genève, au moment où Cona-cris l’appelle à s’éterniser au pouvoir.
Diawo Labboyah