L’avocat franco-libanais a transporté les millions de dollars des présidents africains pour la droite française.
“Je n’ai jamais été un porteur de valises, terme que je n’apprécie pas. J’ai passé ma vie à accompagner les émissaires qui les portaient – la nuance est de taille”, lance Robert Bourgi, qui ajoute : “Et jamais ce ne furent des valises au sens propre du terme. Plutôt des sacs de sport, des mallettes, des cartables à la rigueur”. Avocat, lobbyiste et rouage essentiel du financement du parti gaulliste français pendant près de 40 ans, l’homme aime les mots et il le prouve dans un entretien goûtu et relevé avec Frédéric Lejeal, ancien rédacteur en chef de la Lettre du continent, un des meilleurs experts de la Françafrique.
Sur plus de 450 pages (avec de nombreuses photos et documents) Robert Bourgi va détailler ses “collectes de fonds” auprès des présidents africains.
Il va décortiquer le fonctionnement de ce “cadeautage”, les filières, le modus operandi, les retombées de cette générosité en mettant aussi en avant la gourmandise financière de Jacques Chirac, les appétits de certains de ses ministres et le refus de Nicolas Sarkozy de jouer dans ce jeu. “Dès 2005, Nicolas Sarkozy s’est clairement positionné en refusant l’argent des présidents africains. Il voulait tourner la page radicalement.”, explique-t-il.
Dans cet ouvrage, on découvre le parcours de ce futur diplômé en droit, fils d’un Libanais chiite débarqué en Afrique, qui va rapidement être mis en contact avec l’argent et la politique. Son père, prospère commerçant, n’hésite pas à mettre la main au portefeuille pour aider ses amis politiciens. Il n’hésite pas non plus à faire appel aux membres de sa communauté. L’admiration pour Charles de Gaule est au centre de ce parcours, comme la rencontre avec le Monsieur Afrique du gaullisme, Jacques Foccart, l’homme qui connaissait personnellement tout le personnel politique africain. Robert Bourgi va rapidement s’imposer dans ce petit monde ouaté. Son entregent, sa gouaille, sa connaissance des acteurs vont le rapprocher naturellement de Jacques Foccart. Ces deux-là, associés à Jacques Chirac vont assurer le financement du RPR en allant ramasser des millions de dollars chez les chefs d’États africains.
Le roi Bongo
Parmi ces présidents africains, le plus généreux est sans conteste Omar Bongo, le président gabonais avec lequel Robert Bourgi entretiendra une relation presque filiale. “Sa générosité était universelle”, explique-t-il. “Il distribuait toujours ce cash dans des enveloppes Krafts. […] Il savait évidemment qui il allait recevoir et composait donc la somme en conséquence. Bongo ne touchait jamais à l’argent. Il prévoyait et faisait préparer la somme. […] Quel que soit le statut (de l’hôte de passage), ça ne descendait jamais en dessous de 50 millions de francs CFA, à peu près 80 000 euros”.
Lors des campagnes législatives ou présidentielles françaises, Bourgi faisait le tour des capitales africaines : Libreville, Brazzaville, Dakar, Cotonou, Ouagadougou… remplissaient la cagnotte du RPR. À chaque fois plusieurs millions d’euros débarquaient clandestinement en France, de la mairie de Paris à l’Élysée en passant par Matignon.
Les anecdotes sont parfois truculentes, comme ces liasses planquées dans des djembés ou celle du marabout envoyé par Omar Bongo à Jacques Chirac qui y “croyait dur comme fer”, relate Bourgi qui poursuit “ce devait être début avril 1995” à quelques jours du premier tour de la présidentielle victorieuse. Le lobbyiste explique sa balade parisienne jusqu’à la mairie de Paris en pleine nuit, flanqué du chauffeur personnel de Jacques Chirac et du fameux marabout qui va annoncer la bonne nouvelle au maire de Paris. “Il a regardé Jacques Chirac et lui a fait savoir que si on lui avait prédit une défaite en 1988, cette fois-ci, il lui garantissait la victoire”.
On découvre aussi la diplomatie parallèle qui a cours dans la Françafrique. Le pouvoir que Bongo, qui connaissait les arcanes de la vie politique et diplomatique française sur le bout des doigts, pouvait tirer de ses largesses, comme celui de susurrer le nom des futurs ambassadeurs français en Afrique. Mieux, comme cette liste de candidats ministrables envoyés à Jacques Chirac (deux feuillets à en-tête reproduits dans les annexes du livre). Un casting qui ne diffère guère de l’équipe couchée sur le papier par le président de la République française.
Sauver Mobutu
L’ouvrage, sous forme d’une longue interview, fourmille d’informations inédites, de véritables scoops. Comme cet épisode de 1997 où après un entretien entre Jacques Foccart et Mobutu, ce premier propose au président Chirac l’envoi “d’un millier d’hommes du Service Action de la DGSE au profit de l’armée régulière zaïroise” pour contrer l’avancée de Laurent-Désiré Kabila soutenu par les anglophones rwandais et ougandais. Chirac ne tranche pas et fait intervenir son Premier ministre Alain Juppé. Celui-ci “n’aimait pas Mobutu, comme il n’aimait pas davantage Robert Bourgi”, explique l’avocat qui démontera dans plusieurs passages les raisons de ce désamour.
Enterrer Fillon
Par contre, Bourgi entretient de très bonnes relations avec François Fillon. Un ami de trente ans et plus qui va décider de lui tourner le dos sèchement après avoir remporté la primaire de la droite et du centre le 27 novembre 2016. “Il ne répondait même plus à mes messages. Je devenais subitement un pestiféré”. Fillon, l’ex-Premier ministre de Sarkozy, est déjà dans les cordes avec l’affaire du “Pénélopegate”, l’emploi fictif de son épouse comme attachée parlementaire. Bourgi décide de le “niquer” définitivement, selon ses termes, en révélant lui avoir offert deux costumes pour 15000 euros d’une maison parisienne de luxe. Une sortie qui disqualifie définitivement le candidat mais qui ébranle aussi toute la droite française, la famille politique de Robert Bourgi. “Je n’ai aucun regret. François Fillon m’a manqué d’homme à homme et même gravement. Le reste m’importait peu”, explique-t-il.
Robert Bourgi avec Frédéric Lejeal
Ma vie en Françafrique,
Max Milo, pp 512, 24,90 €