Peut-on raisonnablement s’inspirer du passé pour construire le futur ? Dans un pays normal, la question ne se pose pas. Il n’y a de choix que celui-là. En Guinée, il ne faut point se fier aux évidences. On y passe maître dans l’art de tordre le cou aux formules ampoulées qui se sont cassé le nez pendant les 66 ans de notre souveraineté nationale. Il n’est pas exagéré de soutenir que cette souveraineté-là a su évoluer dans des termes si doux que le commun des mortels ne pouvait y voir que des succès indubitables. Pouvait-on imaginer que notre préférence originelle de « la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » allait faire le tour du monde sans trouver preneur ? Peut-être que notre enthousiasme débordant nous empêchait-il de déceler toutes les antinomies de la formule. Personne n’a dû constater que la pauvreté exclut la liberté.
Aussi, la remarque du président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, n’était-elle guère audible à des oreilles nouvellement indépendantes. Houphouët estimait plus réaliste, plus juste, plus sensé « de partager la richesse, non la pauvreté. » Nous n’avions entendu que le néo colonisé habituel, pas le sage de Yamoussokro. Et chacun d’assumer son passé.
En 2024, nous nous en mordons les doigts, obligés que nous sommes de pratiquer le sport-roi en Côte d’Ivoire, l’indécrottable néo colonie française. Nous rentrons de la CAN bouche bée. Nous y revenons peu après jouer au Stade Alassane Ouattara, un match de football qui aurait dû se dérouler chez nous, devant nos concitoyens, mordus du ballon rond. Rien à faire, nos stades ne s’y prêtent pas, selon les normes impérialistes de la CAF. Mercenaires de la pauvreté, nous voilà contraints de vendre du muscle chez les autres pour réinventer la roue !
Patatras, c’est le moment que choisit la formule magique pour tomber devant le CNRD qui célébrait au four et au moulin les 66 ans de notre indépendance ! Ça suffit, « il faut s’inspirer du passé pour construire le futur ! » Honte aux Anti-guinéens qui trouveront à redire ! Malheur aux super nationalistes qui s’y précipiteront tête baissée, langue fourchue, démagogie à fleur de peau ! Pour une fois, le CNRD doit exiger de ses administrés le maximum de « vérités historiques, » agréables, non pas aux oreilles du commanditaire, mais à l’avenir du pays. Des choses simples qui méritent d’être exhumées, explicitées, expliquées, valorisées de tous.
Le pays a toujours souffert des silences coupables, complices. Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de nous réconcilier, mais personne n’est prêt à piocher dans la pourriture sociétale pour identifier les vraies causes de nos divergences. « La Guinée est une famille » où les héros des uns sont les bourreaux des autres. A partir de là, tout se complique aisément, durablement.
La plupart de nos voisins ont connu la guerre civile, mais ils ont réussi à tourner la page, nationalisme oblige, pour regarder dans la même direction, celle de l’avenir de leur pays. Nous aussi, nous piaffons d’impatience chaque soir pour regarder vers la même direction, celle de la télévision, juste pour voir si « nous avons bénéficié d’un décret. » Dans l’affirmative, adieu vaches, veaux, nation et que sais-je encore ! C’est cela l’essence de notre passé, le présent de nos régimes successifs. Peut-on s’en inspirer pour bâtir un avenir heureux pour tous ? Heureusement qu’impossible n’est pas guinéen !
Diallo Souleymane