Du 15 au 17 octobre, l’Alliance des médias pour les droits humains en Guinée, (AMDH), a organisé « les journées nationales de concertation pour une meilleure collaboration entre les journalistes et les Forces de défense et de sécurité, (FDS) ». Au menu, les voies et moyens de renforcer la sécurité des journalistes lors des manifestations sociopolitiques.
Ce sont 13 journalistes des médias publics et privés et 13 officiers de la police et de la protection civile dont 10 femmes qui ont participé à l’atelier, organisé par l’AMDH en collaboration avec Reporters Sans Frontières sur financement de l’institut de Zivik d’Allemagne. Durant les trois jours d’échange, les journalistes et les officiers de la police et de la protection civile ont planché sur pas moins de quatre thèmes : état des lieux des violences subies par les journalistes, évaluation de l’application du code de bonne conduite des journalistes et des FDS en période de manifestations sociopolitiques élaboré en mars 2023, loi L009 du 4 juin 2015 sur le maintien de l’ordre en République de Guinée, mandats des FDS dans le cadre du maintien de l’ordre.
Nécessité de collaborer
Le commissaire divisionnaire de police, Naby Laye Fofana, conseiller principal du ministre de la Sécurité et de la Protection civile, a souligné l’importance pour les deux entités de coopérer : « Les journalistes et les FDS partagent une mission commune, celle de service public. Les premiers, en rapportant des informations objectives et en assurant le droit à l’information; les seconds en assurant la sécurité des citoyens et en maintenant l’ordre public dans le respect des lois et des droits fondamentaux ». Pour Boubacar Bah alias Azoka, directeur national de la communication et des relations avec les médias privés, il est important que les médias et les FDS collaborent et établissent des points d’accord, que chacun puisse faire son travail sans entraver celui de l’autre.
RSF, satisfait
Sadibou Marong, le Directeur du bureau Afrique subsaharienne de Reporters sans frontières (RSF), déplore la situation particulière des médias privés guinéens, laquelle s’est détériorée encore plus de la fermeture de six médias privés avec le chômage des centaines d’hommes de médias. Il a surtout déploré que cette mesure prive de millions de Guinéens de leur droit à l’information. Sadibou Marong s’est dit satisfait de l’atelier : « Des journalistes guinéens et à des Forces de défense et de sécurité ont eu l’humilité de parler dans leurs relations mutuelles, de ce qui ne marche pas, de ce qui n’a pas marché. Et de comment aussi, c’est le plus important, améliorer ces relations-là, pour que chacun puisse travailler en toute quiétude sans qu’il y ait des critiques et des représailles. C’est l’importance de cet atelier. Dans la salle, voir face à face les Forces de défense et de sécurité dans la paix, partager un café, se parler, s’écouter, c’est du jamais vu dans nos pays. Des gens se regardaient en chiens de faïence ; maintenant, ils ont eu le mérite de pouvoir discuter de choses utiles à la profession. » Et d’encourager l’initiative qu’il espère faire tache d’huile dans d’autres pays.
Visiblement satisfait, le président de l’AMDH, Chaikou Baldé, espère que les échanges et les recommandations issues de la rencontre vont désormais dissiper les incompréhensions qui ont généré « des tensions entre les journalistes et les agents de la police et de la gendarmerie », souvent requis par les autorités administratives, pour le maintien de l’ordre. Il espère qu’il y aura désormais moins d’accrochages entre eux lors des manifestations sociopolitiques.
Pour le colonel Mory Kaba, directeur chargé de la communication et des relations avec la presse, il est « toujours bon de réunir les journalistes et les agents de maintien d’ordre dans la mesure où les uns viennent pour sécuriser les lieux, les autres pour recueillir des informations. Je souhaite que les problèmes qui font que les journalistes disent souvent que les forces de l’ordre les empêchent de travailler puissent ne plus exister, que désormais les journalistes, au-delà du périmètre de sécurité mis en place par les forces de l’ordre, puissent collecter les infos sur le terrain et sachent aborder les agents sans altercation entre eux. »
Le colonel Mory Kaba estime que trois jours sont insuffisants pour dissiper les malentendus entre journalistes et agents de maintien d’ordre dans « la mesure où il y a trop peu de participants. Il faut multiplier ces genres de rencontres afin qu’on ait plus d’agents comme participants, pour mieux véhiculer le message auprès des deux parties. » Le colonel Kaba souhaite, comme les participants, l’implication des autorités. « Qui dit démocratie dit forcément mouvements de foule, quand vous n’êtes pas d’accord sur une mesure, la loi vous confère le droit de le revendiquer sur un lieu public. Pour le faire, vous êtes dans un secteur, dans un quartier, dans une commune, dans une ville. Pour que nous agents venions sur le terrain, il va falloir qu’on soit requis par les autorités locales et administratives. A leur niveau, il y a des préalables. Avant qu’on arrive, il va falloir qu’elles épuisent tous les moyens. Et quand nous arrivons, ces autorités sont nos interlocuteurs, c’est elles qui doivent négocier avec les manifestants, si ces derniers n’acceptent pas, elles font la sommation, lancer par exemple des alertes pour dire : si on ne s’entend pas, les forces de sécurité vont intervenir… Donc, il faut que ces autorités soient impliquées, pour qu’elles acceptent de venir sur le terrain, jouer leur rôle. » Et d’exhorter les participants à appliquer ce qu’ils ont appris et à le vulgariser au-delà des participants.
Situation préoccupante
Sékou Jamal Pendessa, le Secrétaire général du Syndicat de la presse professionnel de Guinée, a fait l’état des lieux des violences contre les journalistes : les cas d’atteinte à l’intégrité physique et les tentatives d’enlèvement des journalistes ; la violation de leur liberté de manifester et les multiples cas de violations de la liberté de presse.
En 72h de débats et d’échanges, les participants ont fait un plaidoyer pour une meilleure collaboration entre les journalistes et les Forces de défense et de sécurité :
A-Auprès des autorités : la mise en place d’un cadre permanent d’échange entre les Associations professionnelles, les organisations des médias et les représentants des FDS (bimestrielle ou trimestrielle) ; l’organisation d’un forum national annuel sur la collaboration médias/FDS ; l’initiation de réunions de concertation entre les services de communication des FDS et les représentants des médias selon les nécessités ; la couverture des activités des FDS relative à la lutte contre la criminalité, la drogue, le banditisme ; la mise à profit des rassemblements des FDS pour des séances de sensibilisations sur la liberté de la presse et le droit à l’information des populations ; la présence des autorités administratives et locales sur les terrains de maintien d’ordre pour jouer leur rôle conformément à la loi L009 du 4 juin 2015 ; permettre aux journalistes d’exercer librement leur métier en cas de crises sociopolitiques ou de calamités naturelles.
B-Aux patrons des médias : doter les journalistes de gilets, de badges, de casques de protection pour se protéger lors des manifestations sociopolitiques ; assurer la formation continue des journalistes en couverture de manifestations sociopolitiques et autres évènements ; assurer la prise en charge effective (prime, nourriture, transport) des journalistes déployés sur le terrain.
C- Aux partenaires techniques et financiers : soutenir techniquement, matériellement et financièrement les initiatives des associations professionnelles et des organisations des médias pour le renforcement des capacités professionnelles des journalistes ; appuyer toutes les initiatives allant dans le sens de la promotion de la liberté et du respect du droit à l’information des populations guinéennes. »
Mamadou Siré Diallo