L’ancien Premier ministre guinéen se prononce sur la conduite de la transition en cours dans son pays. Il plaide aussi pour une transition plus inclusive et pour la tenue d’un dialogue national.
En Guinée, trois ans après le coup d’Etat militaire qui a renversé l’ancien président Alpha Condé, le 5 septembre 2021, et l’arrivée au pouvoir du général Mamady Doumbouya, les Guinéens devraient se rendre bientôt aux urnes. Selon le Premier ministre de transition, Bah Oury, le référendum, qui devra permettre aux Guinéens de se prononcer sur le projet de nouvelle Constitution, aura lieu au plus tard à la fin de cette année. Ce projet de Constitution autorise le chef de la junte, s’il le souhaite, à se présenter à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2025. C’est pourquoi, ces derniers temps, certaines voix en Guinée appellent à la candidature du général Mamady Doumbouya à ce scrutin. Voici l’interview avec la DW (Deutsche elle) de l’ancien Premier ministre guinéen en exil, Sidya Touré, qui préside l’Union des forces républicaines (UFR) :
DW, : Sidya Touré, à quand votre retour à Conakry ?
Sidya Touré : Je n’en sais rien, puisque je n’ai plus de maison en Guinée. Donc je ne sais pas. Pour le moment, nous attendons de savoir quelles sont les dispositions qui sont prises pour que nous puissions être en sécurité chez nous.
DW : Donc, vous vous sentez en insécurité si vous rentrez à Conakry ?
Sidya Touré: Non, je ne risque rien, si je rentre. Parce que moi, je n’ai aucun dossier à la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF). De quelque manière que ce soit, je me suis senti menacé pourtant.
DW : Contrairement à Cellou Dalein Diallo, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée, l’UFDG, aucune plainte n’a été déposée contre vous.
Sidya Touré: Il n’y en a pas. Et puis en plus, c’est assez malheureux, parce que nous avons applaudi l’arrivée de ces jeunes gens qui remplaçaient le régime de kleptocrates et d’incompétents que Alpha Condé avait mis à la tête du pays. Donc on avait applaudi en ce temps et je n’ai pratiquement pas compris comment ça se fait que les choses aient tourné aussi brutalement, dans un sens totalement contraire.
DW : Donc, vous craignez d’être arrêtés à votre arrivée à l’aéroport international Ahmed Sékou Touré de Conakry ?
Sidya Touré: ça, ce sont des détails. Et je ne vais pas rentrer dedans. Pourquoi m’arrêter ? Je n’ai rien fait en Guinée. Je ne dois pas d’argent à quelqu’un. Je n’ai pas de problème avec l’Etat. Mais il est certain qu’on ne se sent pas en sécurité pour y aller.
DW : Selon le Premier ministre de transition, Bah Oury, le référendum pour valider ou non la Constitution qui a été élaboré aura lieu à la fin de cette année. Est-ce que vous y croyez ?
Sidya Touré : À ce que je sache, il n’y a pas de liste électorale établie. J’avais cru comprendre qu’il y avait des procédures pour faire le recensement et toutes ces choses-là. S’il pense pouvoir faire ça en deux ou trois mois, je lui présente mes félicitations.
DW : Et que pensez-vous du contenu du projet de constitution qui a été élaboré ?
Sidya Touré : Je l’ai lu en diagonale. Vous savez, les constitutions des pays francophones sont toutes inspirées de la Constitution gaullienne de 1958. Donc franchement, il n’y a rien de nouveau. Sauf qu’il y a des mesures qui visent les individus mais qu’on essaie de noyer dans le cadre de la loi. Donc je n’en pense rien du tout.
DW : Notamment les Guinéens qui détiennent une autre nationalité ne pourront pas faire acte de candidature.
Sidya Touré : Tout ça, je dis je n’en pense rien du tout. Ceux qui détiennent d’autres nationalités, ils sont nombreux là-bas.
DW : Et le général Doumbouya peut être candidat puisque les candidatures indépendantes sont autorisées dans le projet de nouvelle Constitution.
Sidya Touré : Je ne veux pas un débat sur cette question, parce que je trouve que ça a très peu d’intérêt dans la mesure où je ne vois rien venir. Pour que nous puissions participer à des discussions sur la Constitution, nous avions proposé des solutions à cela, à savoir mettre en place une structure qui permettrait de recevoir tout un chacun. Ce qui s’est fait à Conakry en dehors de nous tous, nous ne pouvons pas nous prononcer là-dessus. Moi je n’en vois pas l’intérêt.
DW: Oui mais, Sidya Touré, beaucoup de voix appellent de plus en plus à la candidature du général Doumbouya à la prochaine élection présidentielle de 2025.
Sidya Touré : Chacun peut dire ce qu’il veut. Moi, je n’ai pas de problème. Si la candidature de Doumbouya est une nécessité mais que les autres candidatures le sont et que nous avons la liberté et la garantie pour être en Guinée de faire campagne. Moi, je ne verrais pas d’inconvénients.
DW: Il y a un peu plus d’une semaine, l’organisation internationale de la francophonie (OIF) a levé la mesure de suspension de la Guinée de ses instances. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Sidya Touré : Non, J’ai trouvé cela assez regrettable dans la mesure où les arguments avancés m’ont paru assez légers. Mais en plus de cela, quand on parle de liberté et de droits, il y a beaucoup à dire. Actuellement, toute la presse en Guinée est pratiquement fermée. Nous avons également le problème en ce qui concerne les droits de l’homme concernant nos jeunes gens Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah qui ont disparu dans des circonstances qu’on n’arrive toujours pas à éclaircir. Donc il y a beaucoup de choses à dire par rapport à ça. La meilleure manière de sortir de toute l’affaire, c’était de faire un dialogue et qu’on puisse discuter entre Guinéens des possibilités d’aller de l’avant, quelles que soient les décisions que les gens ont en tête par ailleurs. Mais s’il n’y a pas un débat qui permet à chacun d’entre nous de s’exprimer, ça ne sert à rien.
DW : Est-ce que vous avez le sentiment qu’on ferme les yeux? Que la communauté internationale ferme les yeux en ce qui concerne la transition en Guinée ?
Sidya Touré : C’est ce que nous leur disons en tout cas, C’est l’impression que cela donne.