En Basse-Côte, la personne du successeur à feu El Hadj Sèkhouna Soumah divise ; au Fouta-Djalon, c’est la résurgence de l’éternel problème Manding-Djalon attisé à l’approche des échéances électorales. Dans l’une comme dans l’autre des deux régions, les divergences politiques, les intérêts pécuniaires et les guerres d’égos semblent prendre le dessus sur le devoir de servir les communautés.
Ici, un Kountigui de trop ; là, une coordination de plus : des doublons qui font jaser aussi bien en Basse qu’en Moyenne-Guinée. Dans la première région, le problème est plus récent. Il est lié à la bataille de succession née du décès, il y a moins d’un mois (le 31 octobre), d’El Hadj Sèkhouna Soumah. Deux prétendants se disputent le fauteuil de coordinateur régional, ce qui n’honore pas une telle fonction gérontocratique censée revenir aux sages de la contrée.
L’imam de Kindia, El Hadj Mamoudou Camara, était le secrétaire général du défunt Kountigui. Il s’est aussitôt autoproclamé intérimaire. Le 23 novembre, cet inspecteur régional des Affaires religieuses de Kindia a été présenté officiellement à sa population comme étant le nouveau patriarche de la Basse-Guinée. Le nouvel élu a dit s’inscrire dans la continuité et promis de faire en sorte que les filles et fils de la région parlent d’une même voix.
Mais c’est déjà la discorde au sein de la Coordination de la Basse-Côte. El Hadj Sunna Yansané se voit en plus légitime patriarche. Le natif de Boulbinet (commune de Kaloum) s’est pour sa part fait introniser Kountigui le 22 novembre à la Maison des jeunes de Coléah (Matam). Premier vice-coordinateur de la Basse-Guinée, il prétend avoir été désigné successeur naturel cinq ans auparavant par « le chef que chacun respectait » : El Hadj Sèkhouna Soumah.
El Hadj Sounna Yansané lui-même confesse : « On veut bien qu’il soit remplacé mais dans l’honneur et la dignité. Mais ce que nous venons de vivre est impardonnable ! C’est une honte pour la Basse-Guinée ! Quelques heures après sa mort, au lieu de pleurer, de consoler les veuves, les orphelins, on cherche plutôt à le remplacer. Ça veut dire que les uns et les autres attendaient absolument la mort de El Hadj Sèkhouna Soumah. »
Lutte entre Kania et Moriah
Au-delà des personnes des prétendants, nous assistons à une bataille de leadership entre le Kania (Kindia) et le Moriah (Forécariah). Si Kindia est le chef-lieu de région, Forécariah tend à prendre l’ascendance notamment en termes de privilèges politiques. Sous Alpha Condé, la Primature est restée la chasse-gardée des Morianais : le poste est passé successivement de Mohamed Saïd Fofana, Mamady Youla à Ibrahima Kassory Fofana.
El Hadj Sunna Yansané, originaire de Forécariah, a revendiqué le poste de Kountigui du vivant d’El Hadj Sèkhouna Soumah, natif de Tanènè (Dubréka). Ce fut le cas en 2019, alors que la bataille contre le 3e mandat d’Alpha Condé faisait déjà rage. Soutenu par une partie de la jeunesse de la Basse-Côte, notamment le mouvement dénommé Labésanyi que pilotait le belliqueux Cheick Affan, il passait pour un proche de la mouvance présidentielle d’alors.
A contrario, El Hadj Sèkhouna Soumah roulait pour l’opposition. Son domicile avait été pulvérisé de gaz lacrymogènes et assiégé des heures durant, le 1er septembre 2020, par les forces de l’ordre, alors que les patriarches des quatre régions de la Guinée s’y étaient réunis pour réaffirmer leur opposition au maintien d’Alpha Condé au pouvoir, après ses deux mandats constitutionnels.
Faut-il redouter des divisions en Moyenne-Guinée ?
El Hadj Ousmane Baldé dit Sans Loi, tout comme son prédécesseur à la tête de la Coordination des Foulbhès et haali pular (Moyenne-Guinée), El Hadj Saïkou Yaya Barry, étaient perçus comme des proches de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), dirigé par Cellou Dalein Diallo. Un positionnement politique qui n’a pas été sans conséquences pour le premier. Sans Loi a vu ses biens, notamment ses magasins, saisis par l’État sous Alpha Condé. Avant son décès le 26 mars 2023, cet opérateur économique parti de rien pour devenir l’un des plus prospères du pays avait pu les récupérer, grâce aux tombeurs de son ennemi. La junte du CNRD avait fait même de l’une de ses femmes (Safiatou Diallo) ministre.
Sous Alpha Condé, le phénomène sociétal Manding-Djalon (désignant les habitants non Peuls de la Moyenne-Guinée) avait pris de l’ampleur. L’ancien président avait parrainé la Coordination nationale de la Moyenne-Guinée, laquelle regroupe ceux qui n’ont pas de place ou ne se sentent pas en phase avec la Coordination des Foulbhès et haali pular de Guinée. Les deux structures qui se disputent la même zone géographique sont généralement plus opposées politiquement que sociologiquement. Et cela d’autant que les différences ethniques en Guinée surgissent en période électorale. Comme par hasard.
Le 4 novembre dernier, à l’occasion du symposium à la mémoire d’El Hadj Sèkhouna Soumah au Palais du peuple, la division des coordinations du Fouta est réapparue au grand jour. Le porte-parole de celle dite de la Moyenne-Guinée a témoigné au nom de la région, laissant bouche bée El Hadj Alsény Barry de la Coordination Haali pular. Celle-ci ne tardera pas à se fendre d’un communiqué pour rappeler qu’il ne saurait y avoir deux capitaines dans le même navire.
Au moment où il est question de candidature de Mamadi Doumbouya, reste à savoir si le CNRD usera de la stratégie de diviser pour régner de son prédécesseur, comme commencent à le redouter déjà certaines langues fourchues de la région.
Diawo Labboyah Barry