Alors que les acquis démocratiques sont en déclin constant à travers le monde depuis près de deux décennies, c’est en Afrique que viennent de se produire trois des plus belles expériences qui montrent que ce phénomène de « backsiliding » n’est ni irréversible ni une fatalité. Le Botswana, l’Île Maurice, le Sénégal reconnus comme trois modèles de démocratie stables, viennent de confirmer et renforcer ce statut.
Au Botswana, c’est le Président sortant, Mokgweetsi Masisi, qui, lui-même, a reconnu, dès le 1er novembre, au lendemain des élections, la victoire de l’opposant Duma Boko, leader du BDP (Parti démocratique botswanais). Il faut préciser que même si Masisi n’était au pouvoir qu’en 2018, son parti, l’UDC (Umbrella for Democratic Change) dirigeait le pays depuis son indépendance en 1969. Durant près de soixante ans, les responsables de ce parti ont organisé moult élections qu’ils ont remportées dans la transparence reconnue de tous les acteurs. Les responsables civils diplômés de Harvard et militaires sortis de West-point, ont réussi cette performance parce qu’ils se souciaient avant tout du bien-être de leurs populations.
En Île Maurice aussi, responsables et militants des formations politiques traditionnelles, dont deux dirigées par deux dynasties familiales, ont fait montre d’une maturité exemplaire. Le Président sortant, Pravind Kumar Jugnauth, leader du Mouvement socialiste militant, a accepté sa défaite et s’est soumis à une alternance pacifique après de longues années d’exercice du pouvoir par son parti. Navin Ramgoolam, 77 ans, chef du Parti travailliste et l’Alliance de changement ont remporté 61 des 63 sièges du Parlement. Ils ne sont pas des inconnus pour les Mauriciens. Ramgoolam, ancien médecin et avocat, a déjà conduit leurs destins pendant des années, même si après, écarté, il a fait longtemps profil bas. Il a été Premier ministre à deux reprises, de 1995 à 2000 et de 2005 à 2014.
Au Sénégal, si la campagne des élections législatives du 17 novembre a été émaillée de violences, le scrutin, la publication des résultats et la période post-électorale ont été sereins. Tout le monde, majorité présidentielle et opposition, s’est assagi et ramené l’adversité politique à ses dimensions exactes qui favorisent la coexistence pacifique entre les citoyens. La toute jeune formation politique du PASTEF (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) animée par une nouvelle génération de politiciennes et de politiciens, tacle les partis traditionnels et les met à la touche, en remportant 130 des 165 sièges de députés à l’Assemblée nationale. Qui a déjà fait ?
Bassirou Diomaye Faye, Ousmane Sonko et leurs camarades ont précipité la mise à la retraite de ceux qui ont fait les beaux jours du landerneau politique sénégalais, durant les trente dernières années. Si l’ascension d’Ousmane Sonko a été douloureuse par la faute de Macky Sall dont les velléités pour un troisième mandat illicite étaient avérées, la victoire du patron du PASTEF s’est opérée dans le cadre d’une alternance pacifique, lors du double scrutin présidentiel et législatif.
Dans un continent cité surtout pour ses élections truquées et contestées ainsi que pour l’érosion des dispositions constitutionnelles favorisant l’alternance par la limitation du nombre de mandats présidentiels, ces trois cas sont suffisamment exemplaires pour être loués et encouragés. Rares sont les pays où, comme à Maurice, l’opposition peut remporter 61 des 63 sièges en jeu. Rares sont également les pays comme le Botswana où, après 60 ans au pouvoir, un parti politique accepte la victoire de l’opposition et cède pacifiquement le pouvoir. Malheureusement, une seule hirondelle ne fait pas le printemps !
Abraham Kayoko Doré