Lors d’une réunion fin octobre dans la capitale ivoirienne Abidjan, le réseau des avocats défenseurs de la liberté de la presse, lancé depuis février dernier par Reporters sans frontières (RSF), a accueilli de nouveaux membres originaires du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée. RSF poursuit le développement de ce réseau dont l’enjeu est de défendre le droit à l’information dans une sous-région marquée par des exils, assassinats ou disparitions forcées de journalistes, en particulier dans les pays du Sahel. 

« Le journalisme d’enquête que nous pratiquons est très exigeant et il nous expose, au quotidien, à toutes sortes de risques, comme des poursuites judiciaires », expliquait Noël Konan, journaliste d’investigation ivoirien, et directeur de publication du site d’information l’Etau.net, lors d’une réunion organisée par RSF à Abidjan fin octobre. Il s’adressait à des avocats venus d’Afrique de l’Ouest, dans le cadre d’une réunion de deux jours organisée pour élargir le réseau d’avocats mis en place par RSF en février dernier à Lomé, la capitale du Togo, qui a été  élargi avec des avocats originaires de la Guinée, du Mali du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire.

Dans ces pays d’Afrique de l’Ouest, où la liberté de la presse est de plus en plus attaquée par ceux et celles qui sont censés la défendre, les journalistes se retrouvent toujours entre le marteau des autorités politiques et l’enclume des autorités militaires sahéliennes réfractaires aux libertés. C’est ce que vit Noël Konan : chacune de ses enquêtes est lue par un avocat avant publication. En dépit de ces précautions, il arrive qu’il soit poursuivi devant une juridiction correctionnelle et placé arbitrairement en garde à vue, comme ce fut le cas en juillet 2022. “Cela n’aurait pas été possible si j’avais été assisté dès les premières heures par un avocat lors de mon audition devant les officiers de police judiciaire”, déclare-t-il. Un de ses confrères du Sahel explique, pour sa part, qu’informer ou critiquer est devenu un risque pour un journaliste dans son pays. 

« Les journalistes sont de plus en plus nombreux à quitter les pays du Sahel après la publication d’articles ou d’enquêtes jugés critiques. D’autres, en Afrique de l’Ouest, continuent d’être arrêtés arbitrairement ou voient leurs médias étouffés économiquement. RSF souhaite s’appuyer sur ce réseau dynamique d’avocats de tous les pays de la sous-région pour défendre le droit à l’information et les journalistes, en attaquant les décisions judiciaires arbitraires et en saisissant les institutions régionales. C’est tout le sens que nous donnons à l’élargissement de ce réseau dont les membres ont le potentiel d’agir pour la protection du journalisme au Sahel », Sadibou Marong, Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.

L’élargissement du réseau intervient dans un contexte difficile pour le droit à l’information au Sahel où, depuis 2020, cinq journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction entre le Mali, le Burkina Faso et le Tchad. Cinq autres journalistes sont actuellement portés disparus. Plusieurs médias internationaux et locaux ont par ailleurs été suspendus dans la zone.En outre, plusieurs journalistes ont préféré quitter leur pays par peur de représailles après avoir publié des enquêtes ou critiqué les autorités militaires.

Face à une telle situation, « il est important de renforcer les capacités des avocats pour la prise en charge des cas d’arrestations arbitraires et pour soutenir le développement d’une presse libre, fiable et indépendante en Afrique subsaharienne », déclare Me Saïd Ould Salem, avocat nigérien membre du réseau, qui a notamment défendu, Samira Sabou, une journaliste connue pour ses articles sur la gouvernance du pays.

D’autres avocats des pays du Sahel, des journalistes d’investigation et des défenseurs de la liberté de la presse ont rejoint l’initiative en se retrouvant à Abidjan. Certains avaient pris part au lancement du réseau en février dernier à Lomé. Ils estiment que depuis lors, les acquis ont été consolidés et que le partenariat entre les avocats engagés dans la défense de la liberté de la presse et les journalistes s’est renforcé. « L’engagement des avocats aux côtés de RSF permet d’asseoir une ligne de défense efficace sur les stratégies pour une meilleure prise en charge des cas de journalistes arrêtés et poursuivis », a indiqué Me Elom K. Kpadé, avocat au Barreau du Togo, et défenseur des journalistes d’investigation du média désormais en ligne L’Alternative Ferdinand Ayité et Isidore Kouwonou.

Reporters Sans Frontières