Considéré comme l’un des instruments folkloriques les plus célèbres de la musique pastorale, la flûte est victime de la modernité. Aujourd’hui, elle est presque reléguée au dernier rang par la nouvelle générale d’artistes au profit de l’électronique.
La musique guinéenne à l’épreuve de la modernité (1/4) – « La flûte est un terme générique désignant un instrument de musique à vent dont le son est créé par l’oscillation d’un jet d’air autour d’un biseau droit, en accroche ou en anneau » (Wikipédia). Au Fouta-Djalon, la flûte ou tambin en pular était, jusqu’au début des années 2000, un des instruments folkloriques les plus utilisés dans la musique peule de Guinée. Elle était même une des identités culturelles de la communauté.
La flûte pastorale aurait été découverte par les premiers Peuls qui se sont installés dans la région du centre-nord entre le 13e et le 18e siècle. Depuis, elle se transmet de génération en génération. Cet instrument de percussion provient d’un arbre (tambinhi) qui pousse le long des cours d’eau. D’où l’appellation tambin de l’instrument de musique. De sa fabrication, l’on procède de deux méthodes : brûler les branches et récupérer les tubes, ou les sécher au soleil. Ce second processus requiert plus de temps.
Au début, la flûte servait à accueillir les chefs ; plus tard, à animer les cérémonies de réjouissance (mariages, baptêmes…) Elle est devenue plus populaire quand on a commencé à s’en servir pendant les travaux champêtres : « Les chants des flûtistes motivaient beaucoup les paysans dans les champs. La flûte aidait également dans la surveillance des champs », explique le flûtiste Boubacar Barry, alias Baba Gallè.
« La flûte est comme le sucre pour le café »
La flûte a par la suite pris une place importante dans la musique pastorale, sollicitée pour accompagner un solo (jouant le rôle du beat), donner une belle mélodie et de l’harmonie : « La flûte existe encore, même si elle est éclipsée par des équipements venus d’ailleurs. Mais elle est là, elle procure de la joie. C’est un instrument indissociable de la culture peule », se veut optimiste Ousmane Tounkara, du Musée du Fouta-Djalon (à Labé).
Cet instrument traditionnel fait encore son chemin, notamment dans la musique traditionnelle. Mais la flûte souffre aujourd’hui de l’utilisation à outrance des instruments d’ailleurs à l’image du piano, avec notamment la nouvelle tendance musicale appelée poodha. Les flûtistes voient leur influence se réduire peu-à-peu au profit des beatmakers (compositeurs). Boubacar Barry alias Baba Gallè se désole : « La nouvelle génération se fiche de la flûte, de nos traditions. Chaque artiste qui commence tombe sur le piano, les claviers, les micros… Ils n’ont ni l’intelligence, la discipline encore moins la patience d’apprendre la flûte qui est très importante dans la musique. Elle est pour la musique ce qu’est le sucre pour le café : elle lui donne de la douceur, parce qu’elle a toutes mélodies. »
Pesanteurs religieuses, acculturation…
Baba Gallé se bat pour que son instrument favori ne disparaisse pas comme d’autres avant. Mais il est convaincu que le désintérêt de la nouvelle génération, combiné aux pesanteurs religieuses pourraient, à terme, avoir raison de la flûte pastorale : «La vérité est que la communauté peule s’éloigne de ses traditions. Aujourd’hui, tu n’oses pas prendre un jeune peul comme apprenti, ses parents vont en faire une montagne de problèmes. Tu ne peux pas jouer la flûte dans la concession d’un Peul, il va te chasser. On apprend l’utilisation de la flûte à des jeunes guinéens, mais les jeunes peuls y sont totalement absents.»
Aujourd’hui, ce sont les maîtres flûtistes qui démarchent des apprentis au sein de la communauté peule. Malgré tout, sans succès ! Finalement, ils se rabattent sur d’autres communautés, voire les expatriés. Histoire de perpétuer leur connaissance. Pour Ousmane Tounkara, abandonner la flûte pastorale constituerait une erreur monumentale : « Des artistes viennent des Etats-Unis, d’Europe ou d’Australie pour apprendre la flûte. Ce serait dommage que ce soit ces gens-là qui apprennent, dans les années à venir, à nos enfants à utiliser cet instrument. »
L’artiste Mamadou Djombi, flûtiste et chanteur traditionnel, craint que la chaîne de transmission se brise. « Si notre génération finit, la flûte disparaîtra. Actuellement, nous n’avons pas d’apprentis », alerte-t-il.
Pour entretenir la flamme, lui et ses pairs ambitionnent de mettre en place, à moyen terme, une école. Ils sollicitent l’aide du gouvernement : « Que les autorités de la transition nous dotent d’un centre d’apprentissage, nous inscrivons au moins nos enfants. Si les autres constatent que c’est bénéfique, ils vont venir. Avant, on apprenait la flûte pour le plaisir, la joie, il n’y avait pas de salaire. Maintenant, elle génère de l’argent, les gens paient. » En plus, ça ne demande que du souffle et non des millions de francs guinéens de financement.
Yacine Diallo