Dix-sept jours après la tragédie au stade régional 3-Avril de Nzérékoré, le Gouvernorat de Conakry organise un tournoi de football pour ‘’préserver les acquis’’ de la junte et pour ‘’la cohésion sociale’’. Des responsables politiques et de la société civile s’en offusquent et appellent au respect de la mémoire des victimes à Nzérékoré.

Tandis que des familles pleurent et que l’on ne connait encore pas le nombre exact de morts dans la tragédie du 1ᵉʳ décembre au stade 3-Avril, les autorités de Conakry passent à l’échelle supérieure de la propagande. « Dans la dynamique de la refondation de l’État, le Gouvernorat de Conakry organise du 17 décembre 2024 au 4 janvier 2025 un tournoi intercommunal de football masculin et féminin, sous le thème Préservation des acquis et la cohésion sociale.»

L’évènement est placé sous « le haut patronage des plus hautes autorités nationales », le Premier ministre, Amadou Oury Bah, en assure la présidence d’honneur. Le même qui avait été dépêché à Nzérékoré et à Labé pour présenter les condoléances des autorités de la transition aux familles éplorées.

Contrairement au tournoi doté du trophée le général Mamadi Doumbouya et parrainé par Felix Lamah, ministre de l’Agriculture et de l’élevage, celui intercommunal de Conakry, est parrainé par Mourana Soumah, le ministre de l’Economie et des finances, marrainé par générale Aminata Diallo, la directrice générale de la Caisse nationale de prévoyance sociale. Invités de marque : les membres du CNRD, du gouvernement, des membres des institutions républicaines, de la société civile.  

Le tournoi devait démarrer le 5 décembre, mais à cause du deuil de trois jours décrété à la suite de la tragédie à Nzérékoré, la gouverneure de Conakry M’Mahawa Sylla, l’a reporté au 17. Au départ, doté du trophée du couple présidentiel, il est désormais placé sous le patronage des hautes autorités nationales. Quelle différence ?

« Les âmes en l’air, les familles en pleurs »

Pour Marc Yombouno, membre du bureau politique du Rpg arc-en-ciel, « c’est vraiment regrettable. On ne s’attendait pas à cela au moment où les âmes des victimes de la tragédie à Nzérékoré sont encore en l’air, leurs familles en pleurs. Les victimes étaient des personnes chères à leurs familles, mais rien n’est élucidé sur ce qui s’est passé, encore moins sur le nombre de morts. A moins d’un mois de la tragédie, on oublie tout pour organiser un autre tournoi de football. La Guinée ne doit pas s’habituer à cela.»

Le Rpgiste reproche aux autorités de focaliser leurs efforts et leurs moyens sur un tournoi de propagande en faveur de la junte en lieu et place des enquêtes indépendantes sur le drame de Nzérékoré. Il les exhorte à respecter la mémoire des disparus. « Nous devons continuer à prier pour elles, le gouvernement devait avoir cette attitude et suspendre toute activité de soutien, ne serait-ce que pour ce mois de décembre.»

Le football, la diversion ?

«Au lieu de faire la lumière sur la tragédie à Nzérékoré, les autorités organisent des événements à caractère propagandiste en violation flagrante de la Charte de la transition. Ces activités qui visent à soutenir la candidature du général Mamadi Doumbouya sont illégales », dénonce Souleymane Souza Konaté, le conseiller chargé de la communication de l’Union des forces démocratiques de Guinée. Selon lui, le tournoi vise à détourner l’attention de l’opinion publique afin de « consolider un pouvoir acquis par la force. C’est une insulte à la mémoire des victimes de Nzérékoré et une « atteinte grave » à la démocratie.

M. Konaté invite la communauté internationale à condamner « fermement ces agissements et à exercer des pressions sur les autorités guinéennes pour qu’elles respectent leurs engagements et mènent une enquête impartiale.» Il est temps, dit-il, pour les Guinéens de se mobiliser et de se battre pour le retour à l’ordre constitutionnel afin de se libérer de « la gouvernance erratique et chaotique, cause de tous nos malheurs.»

« Propagande politicienne »

Abdoul Sacko, le coordinateur national du Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), charge la junte d’avoir appauvri davantage le peuple et serait en train d’en tirer profit en instrumentalisant les jeunes et les femmes autour des activités de propagande. « Il y a un appétit démesuré de ceux qui gèrent la transition à s’enrichir comme s’ils faisaient face à leur dernière opportunité. Certainement, une sortie d’argent avait été planifiée avant la tragédie de Nzérékoré. Naturellement, il faut justifier cela afin de se partager les dividendes. Le peuple doit comprendre l’entêtement des autorités à organiser des activités de soutien à la junte », dénonce le coordinateur du FFSG. Et de souligner que les autorités n’ont aucun intérêt pour la vie humaine, sinon « c’est inimaginable de tenir un autre tournoi de football en Guinée. Nous sommes très surpris de les revoir dans la propagande politicienne après le drame de Nzérékoré dont les responsabilités n’ont pas encore été situées.»

Abdoul Sacko invite le Premier ministre, président d’honneur du tournoi intercommunal, à sauver le « peu de crédit » qui lui reste. Il l’invite à ne pas s’associer à « l’irrespect de la vie humaine et à l’irrespect des droits humains.»

  Yaya Doumbouya