La Guinée traverse une période sombre marquée par un recul inquiétant des libertés fondamentales. En témoigne la parodie de justice qui a débouché sur la condamnation de Aliou Bah, Président du MoDeL, à 2 ans de prison, suivant jugement n°02 du 7 janvier 2025 rendu par le Tribunal de première instance de Kaloum, présidé par le tristement célèbre juge Ousmane Sylla. Si cette condamnation injustifiée et injustifiable a fait l’objet de commentaires tant juridiques que politiques, personne n’a, en revanche, entendu les autorités morales et religieuses.

Etonnant ? Non ! Surprenant ? Non ! Inquiétant ? Oui ! C’est une antienne !

Il faut rappeler que l’essentiel des propos reprochés à Aliou Bah visait en réalité les autorités religieuses, si silencieuses face aux tares coupables des autorités de notre pays. Ce silence complice perdure depuis pratiquement le premier régime. Pourtant, quoi de plus normal que d’appeler l’intervention des autorités religieuses dans le paysage politique de notre pays ? Quoi de plus censé que d’interpeller des dirigeants qui ont prêté serment sur Bible et Coran ? A quel saint se vouer, si on ne peut adresser son désarroi à nos prélats de concitoyens. Être religieux et parler de la chose politique n’ont jamais été antinomiques. Au contraire, la religion et le pouvoir politique ont toujours entretenu une relation complexe de domination et de manipulation. Certaines écoles religieuses sont de véritables fabriques de soumission non pas à Dieu, mais aux autorités politiques. Est-ce nouveau ? Non ! la fabrique de la soumission est l’histoire de la vie et des sociétés.

Chefs religieux, vous êtes des citoyens avant tout

Appeler les dirigeants au respect de leurs engagements est une obligation religieuse. La liberté d’expression est bâillonnée, le droit de réunion bafoué. Sauf aux soutiens du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) La presse indépendante est réduite au silence. Face à cette dérive autoritaire, un silence assourdissant règne du côté des « saints », qui s’enferment dans une neutralité qui confine à l’indifférence. Or, l’indifférence, comme le souligne Antonio Gramsci, est la pire des attitudes car elle « […] est l’immobilité, le parasitisme, la lâcheté, non la vie ». En se taisant, les religieux se rendent complices de l’oppression qui s’abat sur le peuple. De la Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire, nous met en garde contre la facilité avec laquelle les hommes acceptent la domination, s’enfermant dans une servitude qu’ils ont eux-mêmes créée.

L’Histoire nous édifie sur le rôle central de l’islam, religion majoritaire en Guinée, dans la vie politique et sociale. C’est l’histoire d’un héritage de résistance et d’engagement.  À travers les siècles, les khalifes ont été des guides spirituels et politiques mais aussi des voix critiques face à l’injustice et à l’oppression. Il en est ainsi de de la résistance à la pénétration coloniale en Guinée (Samory Touré, Dinah Salifou Camara, Boubacar Biro Barry, Nzébéla Togba Pivi, etc.).  Indépendamment des motifs d’ordre religieux ou traditionnel, ces figures avaient en commun, la résistance contre l’oppression et l’injustice. N’oublions pas le rôle crucial joué par des leaders religieux dans la lutte pour l’indépendance de la Guinée. Leurs sermons enflammés ont galvanisé les foules et contribué à la prise de conscience. On peine à se souvenir de la dernière fois que nos religieux ont osé prendre position contre les agissements nocifs des pouvoirs politiques. On se souvient de la décision n°2022/0514 du 15 septembre 2022, par laquelle l’imam El Hadj Yaya Camara a été radié de ses fonctions pour « faute lourde ». Son péché : opposition farouche au funeste projet de troisième mandat d’Alpha Condé. Le silence de nos prédicateurs trahit les complaisance et complicité, d’où leurs discrédit et disqualification morale et éthique aux yeux du peuple.

Religion et pouvoir : une histoire complexe

On peut lire dans le jugement du 7 janvier 2025 que « […] le silence des hommes de Dieu, le silence de nos religieux devient de plus en plus intriguant, inquiétant, suspect et les Guinéens s’interrogent, pourquoi ils se taisent ? […] J’ai tenu à envoyer ce message à nos chefs religieux, n’attendez pas que ce pays bascule pour que vous reveniez jouer au sapeur-pompier […] ». Condamner ces propos revient à porter atteinte à la liberté d’expression et à la liberté de conscience, d’un homme politique qui aspire à diriger la Guinée.

Dans la tradition islamique par exemple le pouvoir politique est indissociable de la justice et de la responsabilité. Le Coran et la Sunna rappellent constamment aux dirigeants leurs obligations envers Dieu et envers leur peuple. Nos dirigeants affluent chaque vendredi dans les mosquées, mais n’entendent pratiquement jamais de serments rappelant ces principes. Ces serments n’ont aucune portée concrète sur les comportements des semeurs d’injustice et de corruption.

 Avec l’Islam, les libertés individuelles et collectives ont connu leur âge d’or. Le règne d’Omar ibn Abd al-Aziz, de 717 à 720, arrière-petit-fils du deuxième calife Omar Ibn Al-Khattab, est un modèle de gouvernance juste et éclairée. Il était notamment reconnu pour sa justice et ses réformes visant à améliorer le sort des musulmans et des non-musulmans vivant sous son autorité. Il mit l’accent sur la simplicité, la lutte contre la corruption…René Guénon, dans ses écrits sur l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel, parus en 1929, rappelle la nécessité d’un équilibre entre ces deux dimensions, soulignant l’importance d’une autorité spirituelle authentique qui puisse guider et éclairer le pouvoir politique. Il y avise que le pouvoir temporel doit être subordonné à l’autorité spirituelle pour éviter de tomber dans l’arbitraire et la tyrannie.

Un appel à la prise de conscience

Face aux dérives du pouvoir népotique du CNRD, les autorités religieuses ont le devoir moral de s’élever contre l’injustice et de rappeler les principes fondamentaux de la République : la justice, la compassion et le respect de la dignité humaine. Leur silence ne peut être interprété que comme une complicité avec l’oppresseur. Il est temps que les guides religieux retrouvent leur rôle de gardiens de la conscience collective, d’amortisseurs sociaux, qu’ils se fassent les porte-voix du peuple. Desmond Tutu disait : « Si vous êtes neutres dans des situations d’injustice, vous avez choisi le côté de l’oppresseur ».

Il est plus que temps de rappeler que le silence face à l’oppression est une forme de consentement.

Sylla Oumarou