Mardi 7 janvier, le tribunal de première instance de Kaloum a condamné le président du MoDeL (Mouvement démocratique libéral) à deux ans de prison ferme, pour « offense au chef de l’État et diffamation. » La défense dénonce un procès politique et compte relever appel du jugement.
Le juge, Ousmane Sylla, a ainsi suivi à la lettre les réquisitions du procureur de la République, Mohamed Bangoura. Comme ce dernier l’a demandé, il a fait application de la Loi sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel, ainsi que celle relative à la protection des hautes personnalités. Le péché mignon du leader politique est d’avoir tenu responsables les autorités de transition des disparitions d’activistes de la société civile et de journaliste enregistrées ces derniers temps. Il aurait également qualifié leur gestion de dictatoriale.
La décision de condamnation a pris de court le public, massivement mobilisé depuis l’ouverture du procès d’Aliou Bah, le 31 décembre. Aussitôt qu’elle est tombée, tel un couperet, les partisans du leader du Mouvement démocratique libéral ont laissé éclater leur déception, en scandant : « A bas la dictature ! A bas l’injustice ! A bas la dictature ! » « Où on va dans un pays où on ne peut pas exprimer ses opinions », a lancé une militante en larmes.
« Procès de la honte »
Avant d’embarquer dans la fourgonnette pour la Maison centrale, le poing levé, Aliou Bah, l’air déçu mais serein, a rassuré : « La victoire est à nous, c’est un procès politique. Je suis un prisonnier de Mamadi Doumbouya, la victoire, la victoire ! »
Les avocats du leader politique ne sont pas moins abasourdis. Me Pépé Antoine Lama, très remonté, parle de « procès de la honte ». « C’est une journée triste pour la liberté d’expression, s’indigne l’avocat. C’est un coup dur pour la démocratie guinéenne, une véritable régression du processus d’édification de l’État de droit. »
Pour Me Lama, l’impressionnant dispositif sécuritaire autour du tribunal le long du procès n’était pas rassurant. Même que la fourgonnette qui devait reconduire le président du Model l’attendait ; tout le monde au tribunal était informé de l’issue, sauf la défense, croit-il. « Je peux vous dire, malgré la légèreté, la gravité de cette décision, Mamadou Aliou Bah tient le cap et il n’est pas prêt à céder », rassure l’avocat.
Sa consœur, Me Houleymatou Bah, d’enfoncer le clou : « Nous avons dénoncé depuis le début de cette affaire qu’il n’y a pas de partie civile. Il n’y a aucun élément sur lequel le tribunal s’est fondé pour rendre une décision aussi honteuse. La Guinée est un État de droit et nous exercerons les voies de recours dans ce sens ». L’avocate de prévenir : « Nous n’allons pas nous taire. Encore une fois, [la décision] nous galvanise dans notre position, nous revigore et nous donne plus d’énergie pour attaquer et dénoncer ce qui ne va pas ». Quant à Me Halimatou Camara, elle flétrit une décision inique et illégale, laquelle « traduit une misère morale qui s’est emparée de nos magistrats. »
« Une farce judiciaire », selon Cellou Dalein
Sur sa page Facebook, Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratique de Guinée (UFDG) dénonce une farce judiciaire « sur la base d’accusations aussi grotesques qu’inquiétantes ». Le seul crime d’Aliou Bah, c’est d’avoir voulu « exercer ce qui reste d’un droit fondamental dans un pays où les libertés se meurent à petit feu : dénoncer les dérives autoritaires et les atteintes systématiques aux droits humains perpétrées par une junte ivre de pouvoir ».
L’opposant, contraint à l’exil, ne mâche pas ses mots. Il interprète la condamnation du leader du MoDeL comme une déclaration de guerre ouverte contre la liberté d’expression et une volonté politique de réduire toute opposition au silence : « Ce verdict révoltant marque une journée funeste pour la démocratie, les libertés et les droits humains en Guinée. Il vient s’ajouter à la longue liste des actes autoritaires et liberticides d’un pouvoir prêt à tout pour faire taire toutes les voix dissonantes. »
Les FVG réclament la libération d’Aliou
Dans une déclaration publiée dans la foulée, les Forces vives de Guinée s’indignent et protestent vigoureusement contre le jugement. Cette coalition de partis politiques et d’organisations de la société civile dénonce une condamnation arbitraire. « La junte prouve encore une fois qu’elle n’a pour boussole que sa volonté de confisquer le pouvoir et comme moyen la négation du droit et l’usage abusif de la force et de la violence. En condamnant un citoyen innocent à deux ans de prison ferme pour avoir exercé son droit légitime de critiquer les dérives d’un pouvoir illégitime et liberticide, le CNRD révèle son vrai visage : celui d’un régime autoritaire, allergique à la vérité et incapable de tolérer la moindre critique. Cette décision scandaleuse marque une tentative désespérée d’étouffer la liberté d’expression et d’intimider tous ceux qui osent dénoncer les abus et l’hypocrisie d’un pouvoir qui se nourrit de mensonges et de persécutions ». Les Forces vives de Guinée condamnent, à leur tour, la décision de justice et réclament « la libération immédiate et sans conditions d’Aliou Bah. »
Mamadou Adama Diallo