S’appuyant sur le Parquet gênant près la Cour d’appel de Cona-cris, la Délégation spéciale de Lambanyi a déguerpi des occupants du marché de Nongo-Kiroty, démoli boutiques et magasins construits sur un domaine litigieux. Trimballée en justice, elle dit se battre contre le commerce du sexe et des stupéfiants.

Fafa Mbira Manè, Prési de la délégation spéciale de Lambanyi, risque de se retrouver devant dame Thémis, pour avoir fait détruire « illégalement » de biens privés au marché de Nongo-Kiroty. Plus de 700 boutiques et magasins ont été réduits en gravats, au nom de l’opération démantèlement des zones criminogènes dans le Grand-Cona-cris.

Le prési de la Délégation spéciale de Lambanyi et les autorités judiciaires prennent une partie du marché pour un refuge de consommateurs de stupéfiants et de travailleuses de sexe. Sauf que l’opération a dérapé, s’étendant à d’autres endroits du marché sans lien avec l’objectif premier. Un opérateur comique, qui convoitait le coin depuis des lustres, a reçu le feu vert de la commune d’implanter un centre commercial sur les ruines fumantes. Un déguerpissement sans préavis, entraînant une démolition de boutiques et magasins avec leurs contenus. Les proprios sont désemparés. 

Le marché de Nongo-Kiroty relevait de la commune de Ratoma. Après le morcellement administratif de la capitale, il retombe dans l’escarcelle de la nouvelle commune de Lambanyi. La commune de Ratoma avait baillé en partie le marché à des privés, lesquels ont construit boutiques et magasins, mis ensuite en location. C’est ce bail que les responsables de la commune de Lambanyi et leur nouveau partenaire, El Hadj Sadou Diallo, remettent en cause.

Double jeu

La casse a laissé trois groupes sur le carreau : délinquants présumés (drogués et prostitués) ; propriétaires de boutiques-magasins et locataires commerçants. Profitant de l’opération déguerpissement lancée depuis le 9 décembre 2024 par le Pro-crieur gênant près la Cour d’appel de Cona-cris, Fafa Mbira Manè demande à purger le marché de Nongo-Kiroty de ses « occupants illégaux ». Fallou Doum-bouillant s’exécute daredare. Flics, pandores et bidasses aux yeux rouges débarquent le 27 décembre 2024. Officiellement, pour détruire deux bâtiments abritant les consommateurs de stupéfiants et les travailleuses de sexe.

Mais les autorités communales en profitent pour casser plus de 700 boutiques et magasins, occupés par des commerçants depuis des années. Les victimes jurent s’être installées dans le coin légalement, avec la bénédiction de l’ancienne mairie de Ratoma. Elles ne comprennent pas que des pelleteuses tombent un matin sur leurs biens sans décision de justice : « Une équipe mixte police, gendarmes, militaires et des agents de la Direction de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (DATU), est venue déguerpir les occupants d’une partie du marché. Ils ont arraché même les portes pour ne pas que les déguerpis reviennent s’installer », détaille Mamadou Mouctar Chérif, un des porte-voix des victimes.

Les agents de la DATU auraient pourtant rassuré les commerçants de ne pas s’inquiéter, les commerces n’étant pas concernés. Les commerçants le prennent aux maux, ignorant ce qui se tramait derrière. Mamadou Mouctar Chérif dénonce le double jeu du prési de la Délégation spéciale : « Ils nous indiquent clairement qu’ils n’ont pas reçu mandat de démolir les boutiques et magasins. Les agents de la DATU et le maire nous ont dit de continuer nos activités. Même le jour de la casse, ils nous disaient de rester tranquilles […] Contre toute attente, nous entendons qu’une partie du marché vient d’être baillée à un opérateur économique. Ils ont finalement tout cassé, sans discernement. »

Plainte contre les casseurs

Abdourahmane Diallo, autre victime, met en cause El Hadj Sadou Diallo : « Il est venu nous dire de continuer nos activités jusqu’au mois de février. Mais les casses ont commencé le lendemain. J’ai perdu plus de 120 millions de francs guinéens de marchandises. Je ne sais quoi dire. » Des « secouristes » en ont profité pour voler.

Au marché de Nongo-Kiroty, parmi les édifices épargnés, une mosquée, un centre de santé et deux autres bâtiments dont les portes et fenêtres ont été néanmoins arrachées. Les jeunes et femmes qui faisaient de ces lieux des dortoirs étaient toujours sur place. Certains fumaient, d’autres assis devant les bâtiments épargnés.

Les commerçants, eux, ont décidé de saisir la justice pour demander réparation. Une plainte est annoncée contre Fafa Mbira Manè, pour « destruction de biens privés ». « On a formé un collectif, constitué avocat et décidé de porter plainte contre Monsieur Manè », explique Mamadou Mouctar Chérif. El Hadj Ismaël Diallo de renchérir : « Il faut qu’il réponde de ses actes, les choses ne se sont pas passées dans les règles. Personne n’a refusé de quitter, c’est la méthode utilisée qui est illégale et sauvage. »

Des commerçantes du sexe ?

Accusé d’avoir ordonné la casse, de rouler pour l’opérateur comique El Hadj Sadou Diallo, le prési de la Délégation spéciale de Lambanyi sort du silence. Fafa Mbira Manè dit avoir exécuté un contrat de la mairie de Ratoma. Selon lui, El Hadj Sadou a contracté le bail en 2021 avec l’ancien maire, feu Issa Soumah. Le nouveau bailleur, qui avait pour mission de « moderniser le marché », peinait à « dégager » ses occupants. L’opération démantèlement des zones criminogènes devient ainsi une opportunité en or.

« L’État, c’est la continuité, je n’ai fait que jouer mon rôle d’administrateur », se défend le maire de Lambanyi. « Sur 740 boutiques, 500 étaient louées à des filles, des adolescentes pour la plupart qui étaient recherchées par leurs familles, poursuit-il. Tout le monde connaît ce qui se passait dans ce marché. » Il rejette l’accusation selon laquelle l’opération a été effectuée sans préavis, se décharge sur l’administrateur du marché : « Mes équipes ont fait quatre jours de sensibilisation, ils se sont entêtés. J’ai fait appliquer un contrat que j’ai trouvé sur la table. »  L’administrateur du marché est dans les mains des sévices de sécu, accusé d’avoir loué les boutiques à des commerçantes…du sexe.

Sauf que la casse en partie du marché de Nongo-Kiroty a surpris même des gens de la DATU. Un responsable de cette direction, étonné de l’étendue des dégâts, aurait intimé les casseurs d’arrêter. Le propriétaire de la pelleteuse et des agents de la garde communale sont interpellés. Le maire est convoqué à la Brigade de recherche de Kipé : « Je suis allé, parce que je respecte la justice. Je leur ai expliqué la situation, montré les documents qui prouvent que nous sommes dans la légalité », nous explique Fafa Mbira Manè.  Et de se réjouir que le nouveau bailleur avait déjà fait construire un hangar de 340 places, pour les nounous. 

La partie litigieuse a été clôturée par El Hadj Sadou. Des camions-bennes se succèdent pour dégager les gravats. Les travaux vont bientôt commencer, assure un proche d’El Hadj Sadou Diallo. Pendant ce temps, le motif pour lequel la casse du marché a été ordonnée est loin de faire l’unanimité. Les déguerpis tardent à évacuer les lieux.

Yacine Diallo