Alors que Donald Trump reprend les rênes des États-Unis, une histoire poignante refait surface : celle du prince Abdourahamane, héritier du trône du Fouta-Djalon, devenu esclave au Mississippi.

Descendants et mémoire collective, ce récit, entre tragédie et résilience, relie des Afro-Américains d’aujourd’hui à leurs racines royales.

Ils s’appellent Kubi Prempeh, Cleopatra Muhammad, Princess Karen Chatman, Kelly Little, Jushia Randles, etc. Ils habitent la Virginie, le Massachusetts, la Caroline du Nord, l’Illinois ou le Mississippi. Et ce sont des descendants d’esclaves pas comme les autres. Ils viennent d’apprendre par les bribes de leur mémoire familiale éclatée ou par le test ADN sur Ancestry.com (très en vogue en ce moment chez les Afro-Américains) qu’ils sont tous cousins et que leur lointain ancêtre a failli porter une couronne avant de porter des chaînes.

Celui-ci s’appelait le prince Abdourahamane, car il était destiné à succéder à son père, l’almami Ibrahima Sory Mawdo, sur le trône du puissant royaume théocratique du Fouta-Djalon. Le destin, particulièrement cruel à cette époque, en décida autrement. En 1788, alors qu’il revenait d’une mission dans le Gabou, Abdourahamane fut kidnappé par des négriers et jeté dans les cales d’un bateau.

Cet homme exceptionnel au triple plan de son sang royal, de son profil d’érudit et de sa tragique mésaventure américaine mérite que l’on se souvienne de lui. Né en 1762 à Timbo, la capitale de ses illustres aïeux, il intègre l’armée de son père après de brillantes études à Tombouctou. À 26 ans, il est l’émir du régiment qui s’illustrera dans la conquête du Kaarta. Remarqué par ce haut fait de guerre, il est nommé à la tête d’une armée de 2 000 soldats dont le rôle était de protéger les côtes et de renforcer les intérêts économiques du Fouta-Djalon dans cette région. C’est au retour d’une mission d’inspection de ses soldats qu’Abdourahamane fut capturé et vendu comme esclave. C’est ainsi qu’il se retrouvera à Natchez dans le Mississippi, où il trimera durant 40 ans dans la plantation de coton d’un certain John Foster. Ce nouvel esclave attire tout de suite l’attention de son maître par ses manières policées et par sa parfaite maîtrise de l’anglais.

Oui, ce nègre venu des profondeurs de l’Afrique, cet esclave vendu à l’encan parlait parfaitement la langue de Shakespeare ! Le prince Abdourahamane était sans doute l’un des rares polyglottes de son époque. Outre le peul, sa langue maternelle, il parlait le soussou, le malinké, le songhaye, l’arabe et même… l’anglais. Normal, me direz-vous, au Fouta-Djalon, on parlait le peul, le soussou et le malinké ; à Tombouctou, où il a fait ses études, on parlait aussi le peul mais, en plus, le songhaye et l’arabe. Mais l’anglais ? L’anglais, eh bien, c’est à Timbo, dans la cour de son vénérable père, qu’Abdourahamane l’a appris sous la férule du docteur John Cox, le chirurgien irlandais d’un navire anglais et qui, abandonné par son équipage, se mettra sous la protection de l’almami du Fouta-Djalon et sera ainsi le tout premier Blanc à fouler le sol de Timbo.

Ironie (on est tenté de dire quintuplée) du sort, les deux hommes se retrouvent un beau jour nez à nez dans un marché de Washington où notre prince-esclave s’était rendu pour écouler les ballots de coton de son maître. Se souvenant des bienfaits que lui avait prodigués l’almami Ibrahima Sory Mawdo, le bon docteur irlandais se jure de libérer cet esclave peu ordinaire. Il alerte la presse, bouscule les sociétés philanthropiques et frappe à la porte des bureaux les plus représentatifs de Washington. En vain ! C’est alors qu’il a la géniale idée de lui suggérer d’écrire au sultan du Maroc. Docteur John Cox savait que le Maroc, qui avait été le premier pays du monde à reconnaître l’indépendance américaine, jouissait alors d’un prestige et d’une influence considérables à Washington. La délégation américaine de Tanger fut d’ailleurs la première mission diplomatique de l’histoire des États-Unis. Le sultan Abderrahmane ben Icham réagit sitôt qu’il reçut la lettre, bouleversé par la qualité exceptionnelle de l’arabe qu’écrivait cet Africain issu de l’autre côté du Sahara, poussé aussi par son devoir de solidarité musulmane, commandeur des croyants qu’il était. Il demanda et obtint du président John Quincy Adams la libération d’Abdourahamane et de sa femme Isabella, rencontrée dans les champs de coton de John Foster, mais ne réussit pas à faire libérer leurs neuf enfants. Un événement qui fera beaucoup de bruit, cette libération, presque une affaire politique au point qu’elle sera utilisée contre John Quincy Adams par son adversaire, Andrew Jackson, aux présidentielles suivantes.

Abdourahamane fit le tour des rédactions pour sensibiliser l’opinion sur le sort des esclaves et tenta de lever des fonds pour libérer ses enfants. Cela souleva la colère des milieux esclavagistes. Se sentant menacé, il quitta précipitamment les États-Unis avec sa femme pour rejoindre le Libéria. Mais il était écrit qu’il ne reverrait jamais Timbo, la capitale du royaume de ses aïeux. Il mourut à Monrovia le 6 juillet 1829, quatre mois après y être arrivé.

À ce jour, une cinquantaine de ses descendants ont été identifiés à travers les États-Unis. Quatorze d’entre eux ont séjourné en Guinée du 12 au 23 décembre dernier. On notera que malgré leur agenda hyper chargé, ils ont tenu à rendre une visite de courtoisie et de remerciements à l’ambassadeur du Maroc en Guinée.

Willie Savanah est l’un d’entre eux. Ce retraité de l’armée américaine qui habite la Virginie a bien voulu répondre à nos questions :

Le Point Afrique : Comment avez-vous découvert que vous êtes un descendant du prince Abdourahamane ?

Willie Savanah : Tout a commencé lorsqu’une aînée de notre famille a encouragé mes filles à explorer nos origines. Elles ont commencé à fouiller dans les archives de Washington, D.C., et de Columbia, en Caroline du Sud, pour retracer notre généalogie. Pour aller encore plus loin, nous avons souscrit à Ancestry.com et utilisé des tests ADN dans le processus. Afin de garantir l’exactitude de nos recherches, nous avons engagé un généalogiste certifié pour vérifier toutes les informations. Une fois les recherches terminées, nous avons pu confirmer avec certitude que nous sommes des descendants du prince Abdourahamane Ibrahima Sory et que nous faisons partie de sa lignée royale.

Que signifie pour un Afro-Américain de se reconnecter à ses racines ?

C’est redécouvrir qui vous êtes vraiment, renouer avec votre patrimoine ancestral et embrasser un héritage qui a toujours fait partie de vous. C’est un processus d’autonomisation qui vous donne une identité authentique et ouvre de nouvelles possibilités pour envisager votre avenir.

Avant de subir les chaînes des bateaux négriers, votre ancêtre était un prince destiné à régner sur l’un des plus grands royaumes d’Afrique. Cela vous rend-il plus en colère d’être un descendant d’esclave ?

Cela n’alimente pas ma colère. J’ai passé une grande partie de ma vie à accepter l’héritage de l’esclavage. Cela approfondit plutôt ma compréhension des sacrifices qu’il a faits et des pertes inimaginables qu’il a subies. C’est un mélange de chagrin et de gratitude que son histoire ait survécu, même à travers des générations de douleur.

Combien de descendants d’Abdourahamane​​​​​​​ ont été identifiés à ce jour ?

Il y a des dizaines de milliers de descendants aux États-Unis, selon nos estimations. Personnellement, je suis en contact avec environ 50 descendants directs qui font partie de mon réseau familial immédiat.

Avez-vous réussi à cultiver un sentiment d’identité et de famille entre vous ?

Oui, à mesure que nous apprenons à mieux nous connaître et que nous explorons notre histoire commune, nous avons créé un lien fort. Cela nous a rapprochés et donné un sens collectif à notre identité.

Est-ce votre premier voyage en Guinée ?

Oui, c’est la première fois.

Vous sentez-vous connecté à la Guinée d’une certaine manière ?

Absolument. Je le ressens profondément, c’est une partie de moi.

Connaissez-vous l’histoire riche de votre famille, les Barry de Timbo ?

J’en connais une partie, mais j’en apprends davantage chaque jour. Chaque étape de ce voyage révèle de nouvelles facettes de notre histoire.

Cette histoire vous semble-t-elle être la vôtre, malgré tout ce qui s’est passé ?

Oui, absolument. C’est mon histoire.

Propos recueillis par

Tierno Monénembo