Ces derniers temps, des scandales financiers éclaboussent la gouvernance de la junte au pourboire. Les régies financières et les établissements publics administratifs sont particulièrement touchés par des histoires de détournement et de corruption. L’affaire de la Banque centrale est le dernier cas, même si elle semble être réglée à l’amiable.

A entendre les milliards disparus, d’aucuns se moquent des slogans clamés par les autorités de la transition, tant les scandales se multiplient et se ressemblent. La lutte contre la corruption et les malversations financières est-elle une réalité ou du tape-à-l’œil ? Les Guinéens s’interrogent.

Tout a commencé par le présumé détournement de sous publics ayant éclaté à la Société Nationale des Pétroles, SONAP. L’affaire impliquait le dirlo Amadou Doum-bouillant, accusé notamment d’enrichissement illicite, portant sur une misère de plus d’un million de dollars ricains. Le mis en cause, démis de ses fonctions le 16 mars 2024, a été poursuivi en justice. Son dossier a été classé sans suite par la Crief (Cour de répression des infractions économiques et financières) en juillet, par on ne sait comment.

Des cadres (en bois) détenus ou fugitifs

Comme si cela ne suffisait pas, à la Direction générale des Douanes, un détournement de 700 milliards de francs guinéens est décelé par des enquêteurs de l’Etat en décembre dernier. Le dirlo Moussa Camara, son adjoint et 9 autres gabelous ont été arrêtés, conduits à l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. Ils attendent leur procès.

Mais les Cas-marrant se multiplient. Mory Camara, dirlo général des Impôts et son adjoint sont épinglés, pour une affaire de détournement présumé de 1 400 milliards de francs glissants. Et les enquêteurs ne sont pas au bout de leurs surprises. A l’Office guinéen de publicité, OGP, le Mandian Sidibé, dirlo de la boîte, est soupçonné d’avoir détourné la misère de 78 milliards de francs glissants. La veille du Réveillon 2025, il a été placé sous mandat de dépôt. Il a grossi les rangs des hôtes (de marque déposée) de l’Hôtel cinq étoiles de Coronthie. Il aurait pu être rejoint par le dirlo du Patrimoine Bâti Public, Mohamed Doux-Sous Traoré et son adjoint, la semaine passée. Les deux gestionnaires ont été démis de leurs ponctions par décret, pour « détournement de deniers publics », estimés à 267 milliards de francs glissants, dit-on. Mais Mohamed Doux-Sous Traoré a pris la poudre d’escampette et serait activement recherché par Dame Thémis. Il a fait dans l’anticipation.

Tout ce qui brille n’est pas de l’or

A la Banque centrale de la République de Guinée, la boîte à sous du bled, le Gouv Karamo Kaba, son premier vice-gouverneur, Mohamed Lamine Conté, l’auditeur général Diafarou Bah, Tidiane Koïta, prési de l’Union nationale des orpailleurs de Guinée (UNOG), ont passé trois jours en garde à vue à la Direction centrale des investigations judiciaires de la gendarmerie nationale. Ils y ont été cuisinés dans le cadre d’une enquête portant sur la « disparition » de 4 tonnes d’or entre Dubaï (Emirats Arabes Unis) et Cona-cris.  Ils ont été libérés dans la nuit du jeudi 23 au vendredi 24 janvier, sous caution, dit-on. D’aucuns estiment que l’affaire est réglée à l’amiable. Il se dit que plus de 4 tonnes d’or de la BCRG auraient été bloquées à Dubaï, mais que 80 % de la quantité a été retournée.

Notons toutefois que le partenaire mauritanien, Yacoub Sidiya, représentant en Guinée de la société EMR, chargée du raffinage et du stockage de l’or guinéen dans le compte de la BCRG à Dubaï, serait maintenu en garde à vue. Le temps que le reste des lingots d’or soit ramené dans les caveaux de la Banque centrale. Soit un peu moins de 1 000 kg. Au moment où nous mettions sous presse, Yacoub Sidiya aurait été libéré à son tour. Il se serait envolé sur Dubaï.

Ce n’est pas pour autant que les soupçons de détournement se sont arrêtés. Des rues-meurent de Cona-cris parlent d’un éventuel détournement de plusieurs milliards de francs glissants à l’ARPT (Autorité de Régulation des Postes et Télécommunications). Les prochains jours nous édifieront.

Soigner le mal à la racine

Tous ces scandales montrent-ils que l’argent public est un jeu pour les cadres (en bois) du bled ? Le CNRD a promis la bonne gouvernance, à tout va. Va-t-elle sévir pour l’exemple ? L’argent détourné sera-t-il récupéré et utilisé pour le bien des Guinéens ? L’opération d’assainissement des écuries d’Augias va-t-elle aller jusqu’à son terme ? Qui vieillira verra. En tout cas, si certains apprécient l’opération d’incarcération des cadres de l’administration, d’autres pensent que c’est une opération feu de paille.

Oumar Totiya Barry, analyste politique, affirme que c’est une bonne chose que les cadres de l’administration publique soient inquiétés, quand ils touchent à l’argent public. Seulement voilà, il pense qu’il ne s’agit pas de faire des actions d’éclat. L’exemple vient du sommet. Pour lui, les autorités ne devraient pas s’arrêter à sanctionner des cadres. La lutte contre la corruption doit être inscrite dans un programme et doit renforcer les corps de contrôle de l’Etat, pour anticiper aux éventuels détournements. « Il faut faire des actions régulières et élargir la lutte à tous les secteurs de l’administration publique », conclut-il.

Sous et dessous de la propagande

Pour un certain Abdourhamane Keita, actif sur les réseaux sociaux, la lutte contre la corruption et le détournement des fonds publics sont des démarches souhaitables, qu’il faut encourager. Mais, il plaide qu’elles soient respectueuses des règles et procédures juridiques conformément aux lois et dans le respect de la présomption d’innocence des prévenus. « La propagande judiciaire ne nous intéresse pas, surtout lorsqu’il s’agit d’une pratique endémique dans une société comme la nôtre. Dans une telle configuration, il faut s’y prendre à la racine et donner l’exemple par le sommet. Vous voulez lutter contre la corruption ? Faites savoir la provenance des fonds distribués à vos propagandistes et aux mouvements de soutiens qui vous accompagnent dans votre projet de confiscation du pouvoir », a-t-il lancé. A savoir si les autorités l’entendront de cette oreille, d’autant qu’elles n’ont pas déclaré leurs biens à leur arrivée au pouvoir en 2021.

Ibn Adama