Le ministre de la Grande muette ne s’exprime pas souvent. Mais ses rares sorties passent rarement inaperçues. Des sorties aux allures de cours académiques, des leçons de morales dispensées à tout va. Elles sont parfois incriminées, il faut l’admettre, à tort. Sorties de leur contexte. Ce fut le cas lors de son exposé sur le thème « Armée-Nation », le 26 avril 2023, en marge d’une des éditions des 27h du livres de Conakry.

A l’occasion de ce rendez-vous annuel littéraire organisé par Harmattan Guinée, Aboubacar Sidiki Camara dit Idi Amin déclarait sur le peuplement de la Guinée : « J’entends souvent que la nation guinéenne est multicolore. Non, il n’y a que deux composantes en République de Guinée. L’histoire est faite d’immigrations. Quand j’entends les Forestiers, oui ils sont forestiers parce qu’ils habitent la forêt. Ils sont soussous parce qu’ils viennent d’un empire dont la capitale s’appelait Sosso. Il y a des Mandingues parce que leur capitale s’appelait Manden.  Les Peuls venus, une partie à partir de la rupture de l’empire du Macina dont la capitale était Dar-Es-Salam ; ensuite de Fouta-Toro, reçus dans le Fouta actuel, Fouta des Dialonkés. Ça ne veut rien dire de tergiverser sur des détails de l’histoire. Quand on remarque tous les noms des grandes villes de l’actuel Fouta ont des noms dialonkés ou malinkés : Dalaba, Grande marre, Labé qui veut dire « labéra », Télimélé…La Guinée est une nation. »

En déplacement le 22 janvier au Centre d’instruction de l’armée de mer, à Forécariah, Aboubacar Sidiki Camara a de nouveau mis le pied dans le plat. « Aujourd’hui, ce qui fait la beauté du Guinéen, c’est d’aller s’exiler en France, aux États-Unis, cramer derrière son petit téléphone, cracher sur sa patrie, si c’est encore la sienne. Où est le sentiment national ? Où est l’amour de la patrie ? Où est la fierté de continuer à brandir le Rouge-Jaune-Vert, au nom du sacrifice du sang versé de nos aïeux ? »

Egalité de tous devant la loi

« Qu’est-ce que c’est que la nationalité ? C’est le lien juridique qui lie un citoyen à son pays. Qu’est-ce que c’est qu’un citoyen ? Ce sont les habitants de la cité, dérivés de la Grèce antique. On pouvait être grec, sans être citoyen. C’est ceux qui étaient affranchis, qui assumaient leurs responsabilités, qui étaient des citoyens, des habitants de la ville. Être citoyen est une noblesse au sein d’une nation », a rappelé Idi Amin, cité par nos con(.) de Africa Guinée.

Des propos qui, comme on pouvait s’y attendre, ont provoqué une levée de boucliers. Notamment sur la toile. Les internautes rappellent que ceux qui, comme Foniké Menguè, Billo Bah, Marouane Camara, Aliou Bah…, ont pris le risque de critiquer la transition depuis Cona-cris sont disparus ou coffrés. Dans un tel contexte, l’exil devient une question de survie et non une option. « Si l’honneur et la grandeur du patriote se résument à traquer, à tuer et à kidnapper des citoyens à cause de leurs opinions en utilisant la force publique de façon illégale et en dehors de toute légitimité, alors ce que vous appelez « patriotisme » n’est en réalité que le masque qui sert de déguisement à la tyrannie… Et ça, on va le dénoncer où que l’on soit. Et si cela vous déplaît, nous en sommes honorés », réagit l’un d’eux.

Il faut dire qu’avec l’interdiction des manifs de rue, la réduction au silence des médias privés critiques, les procès politiques… le CNRD contribue à déplacer les débats démocratiques sur les réseaux sociaux et à l’étranger. Deux terrains sur lesquels il lui est difficile d’exercer un quelconque contrôle. Autant qu’il faut flétrir l’injure – qui est différente de la critique, autant il faut appeler les autorités à leur obligation de promouvoir l’État de droit, la liberté d’opinion et d’expression (par la parole et les gestes). La loi doit s’appliquer erga omnes (de la même manière à l’égard de tous)p. Sauf si c’est la loi du plus fort contre les plus faibles. Dans ce cas, si le ministre ordonne, tout le monde répond : Idi Amen !

Diawo Labboyah