La condamnation de l’ancien Premier ministre d’Alpha Condé à 5 ans de prison ferme suscite des réactions mitigées. La défense ne cache pas sa déception, alors que le ministère public à l’origine des poursuites salue une bonne administration de la justice.

Après un premier report pour des « difficultés de calendrier », il y a deux semaines, la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a rendu ce jeudi 27 février son jugement dans le procès Ibrahima Kassory Fofana. L’ancien Premier ministre arrêté depuis avril 2022 a été reconnu coupable de détournement de deniers publics portant sur 15 milliards de francs guinéens, d’enrichissement illicite et de blanchiment des capitaux. Il écope de cinq ans de prison ferme et d’une amende de 2 milliards de francs guinéens. Le juge a également ordonné la saisie de ses comptes bancaires. Au nombre de trois, les deux premiers totaliseraient respectivement chacun près d’un million d’euros et près d’un million de dollars. Le troisième, quant à lui, un peu plus d’un milliard de francs guinéens.

Une décision qui ne surprend pas ses avocats, mais qui irrite Me Sidiki Bérété, le seul du collectif à s’être tardivement présenté à l’audience. Sans enfiler sa robe, donc en tant que spectateur. « Ce n’est pas une condamnation, observe l’avocat. Le juge a fait preuve d’un magicien. Dans les 15 milliards [de francs guinéens objet de détournement], on n’a démontré à date, qu’il y a 12 milliards à la Banque centrale. Trois milliards ont été sortis par l’actuel ministre de l’Energie [Aboubacar Camara] pour faire l’assainissement des hôpitaux. Si le juge a la force occulte de le condamner pour le même montant pour lequel la coordinatrice de la MAMRI [Mission d’appui à la mobilisation des ressources internes] est poursuivie, c’est que le ridicule ne tue pas. Kassory croit en son innocence, ce sont des décisions taillées sur mesure, pour la petite période de la transition et au service des hommes de coup d’État. C’est regrettable, on va exercer tous les recours. »

Le parquet satisfait

Me Sidiki Bérété se dit convaincu qu’à la fin, force restera à la loi en laquelle il croit, sans toutefois faire confiance aux magistrats chargés de l’appliquer. Ces derniers « doivent faire amende honorable, pour sauver le peuple de Guinée, respecter la loi et la dignité des Guinéens. On ne peut pas servir une transition en rendant des décisions laides, difficiles à admettre. Ce n’est pas avec les armes qu’on peut diriger, il faut manier la carotte et le bâton. On s’en remet à Dieu, parce qu’il n’y a plus d’espoir avec la justice », martèle Me Bérété.

Une réaction qui contraste avec celle du parquet spécial près la Crief. « C’est un motif de satisfaction, parce qu’il a été reconnu coupable de toutes les infractions pour lesquelles nous l’avons poursuivi, notamment le détournement des deniers publics, l’enrichissement illicite et blanchiment des capitaux. Ce n’est que justice. Si vous voyez les documents dans lesquels M. Ibrahima Kassory Fofana a fait des signatures ; les différents virements bancaires…vous comprendrez aisément que la décision de la Chambre de jugement est bien fondée », estime, pour sa part, le procureur spécial Aly Touré.

Le prévenu ne s’est jamais présenté à l’audience, arguant des bobos de santé. Toutefois, à l’ouverture de son procès il y a deux ans, l’ancien Premier ministre d’Alpha Condé avait publié une longue lettre ouverte dans laquelle il avait prévenu qu’il ne se présenterait pas à la barre. Aussi longtemps que ne seront pas exécutées les décisions de mise en liberté rendues en amont et auxquelles s’est systématiquement opposé le parquet spécial près la Crief. Alité dans une clinique privée de Conakry, Ibrahima Kassory Fofana a manqué de justesse d’être récemment ramené en cellule à la Maison centrale de Coronthie. Maintenant qu’un jugement réputé contradictoire, malgré son absence, a débouché sur la condamnation du prévenu, le procureur spécial, Aly Touré, entend requérir de nouveau l’avis du médecin traitant pour décider où le patient purgera sa peine.

Polémiques autour de son évacuation

Kassory Fofana avait obtenu le feu vert de la justice pour aller se soigner dans une structure sanitaire spécialisée. Pour ses conseils, cela était synonyme d’une autorisation d’évacuation sanitaire à l’étranger. Le ministère public déplore une décision ambiguë. A sa demande, le juge qui avait rendu la décision a été récusé et la suite de la procédure confiée à un autre magistrat, lequel a condamné le prévenu. « Il était jusque-là à la clinique pour des besoins de traitement. Si son état ne nécessite plus des soins, nous allons le faire réintégrer à la Maison centrale. C’est clair », martèle Aly Touré.

« Kassory n’a jamais bénéficié d’une décision d’évacuation sanitaire, renchérit le procureur spécial. Il faut que cela soit clair pour tout le monde. La décision c’était qu’il fallait le placer dans un milieu hospitalier spécialisé. En soi, c’est une décision qui n’était pas facile à exécuter. En tant qu’exécutant, je vais chercher un centre spécialisé chez moi. Je n’ai des informations que sur les cliniques se trouvant en Guinée. Je suis en train de chercher, si je trouve une clinique appropriée en Guinée, je le ferais. Rien ne me dit que c’est à l’extérieur. Je ne me suis pas opposé. »

Sur l’objet de la récusation du juge qui a rendu la décision qualifiée d’ambiguë, Aly Touré, poursuit : « La manière dont le premier juge conduisait les débats n’était pas très, très agréable, procéduralement. C’est aussi mon droit, en tant que procureur, de demander qu’un juge qui ne conduit pas un procès dans les règles de l’art soit remplacé. C’est ce que j’ai demandé et obtenu. Mais ce n’était pas lié aux décisions qu’il a rendues. Je suis professionnel : si on rend une décision en ma défaveur, je connais les voies de recours. »

Répondant à Aly Touré, Me Sidiki Bérété tance un « Monsieur le procureur très spécial qui fait le sale boulot. Il est là au service d’une transition, il est loin de la loi. C’est le show d’Aly Touré, mais Dieu fera son show. »

Diawo Labboyah