Le 23 février sur TV5 Monde, Ousmane Gaoual Diallo, le ministre des Transports et porte-parole du gouvernement, a soutenu que la justice guinéenne est en branle pour élucider les enlèvements répétés d’activistes critiques envers le pouvoir. La réalité sur le terrain est tout autre.

Depuis juillet 2024, avec le cas Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, les kidnappings des partisans du retour rapide à l’ordre constitutionnel sont devenus monnaie courante. En sept mois, on dénombre au moins cinq cas d’enlèvement ou de disparition de civils connus. Difficile de savoir ce qu’il en au sein de l’armée, la grande muette.

Le dernier cas est survenu le 19 février à Kirotty, commune de Lambanyi. Abdoul Sacko, le coordinateur du Forum des forces sociales de Guinée (FFSG), critique envers la junte, a été nuitamment enlevé chez lui par des hommes armés, encagoulés et portant des pantalons en treillis militaire. Torturé, laissé pour mort, il a été retrouvé plus tard dans la soirée à Forécariah par des paysans. A la surprise générale.

Sur TV5 Monde, Ousmane Gaoual Diallo, invite à distinguer les faits du narratif « construit par des gens qui cherchent à jeter le discrédit sur les institutions. Je suis très heureux de savoir qu’Abdoul Sacko est retrouvé vivant. Dès que nous avions eu l’information, le ministère de la Justice a ouvert une enquête. L’appareil judiciaire devrait se mettre en branle pour éclairer l’opinion. Comme il est vivant, Abdoul Sacko pourra expliquer ce qui s’est passé. Cela permettra à la justice d’agir en toute objectivité. » Un fait ou un narratif ?

Toujours est-il que, jusque-là, la justice est silencieuse sur le dossier. Les avocats de Sacko restent sans suite de leur invite au procureur près le tribunal de première instance de Dixinn d’élucider le kidnapping. « À date, aucune enquête judiciaire ne nous a été notifiée. Les autorités n’ont pas cherché à savoir où se trouve Abdoul Sacko », regrette Me Almamy Samory Traoré, joint le 24 février.

L’ambassade des États-Unis en Guinée, dans un communiqué du 21 février, dit attendre « les résultats d’une enquête du gouvernement sur [l’enlèvement d’Abdoul Sacko]. » La représentation diplomatique du Pays de l’Oncle Sam lance un appel aux autorités de transition « pour obtenir des informations sur d’autres personnes toujours portées disparues, notamment Oumar Sylla alias Foniké Menguè, Mamadou Billo Bah et Habib Marouane Camara. Tout le monde mérite justice selon le droit guinéen. »

« Phénomènes bizarres »

Ousmane Gaoual Diallo argue que les disparitions ne datent pas de l’avènement au pouvoir du Comité national du rassemblement pour le développement. « En 2014, le journaliste Chérif Diallo [du Groupe Hadafo médias] a disparu. Il n’a toujours pas été retrouvé. À l’époque, on ne parlait ni du CNRD ni des Forces spéciales. Il y a des bizarres phénomènes, mais la justice a l’obligation de faire des enquêtes », se défend le porte-parole du gouvernement.

Il ne dit toutefois pas que c’est sous la junte que les disparitions ont pris une telle proportion. Au nez et à la barbe des autorités. Complices ? Selon Ousmane Gaoual Diallo, la justice est déclenchée pour des affaires dites pendantes, entre autres, la disparition de Foniké Menguè et de Billo Bah. « Je pense que les avocats des familles ont accès aux dossiers et peuvent éclairer les parents et les proches. L’essentiel est que l’État a mis l’appareil judiciaire en branle, les enquêteurs suivent les affaires ».

Sauf que le collectif d’avocats de Foniké Menguè ne note, non plus, aucune avancée judiciaire depuis sept mois. Me Halimatou Camara préfère ne pas commenter : « Franchement, je n’ai rien à dire là-dessus. Je n’ai pas envie de réagir aux propos du porte-parole du gouvernement.»

Dans une déclaration du 23 février, l’Ordre des avocats de Guinée a condamné « avec la plus grande fermeté » le silence des autorités judiciaires sur le cas d’Abdoul Sacko. « Le Barreau considère cette situation comme la traduction d’un manquement manifeste par l’Etat à son devoir de protection des citoyens et de garantie de la sécurité publique », dénonce-t-il.    

Secret de polichinelle

La candidature du général Mamadi Doumbouya à l’élection présidentielle se précise, même si l’intéressé ne pipe mot. Le porte-parole de la Présidence, Amara Camara et celui du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, le réitèrent à chaque occasion. Si le premier appelle les Guinéens à élire le président de la transition dès le premier tour, le second, lui, s’est cette fois-ci voulu plus subtile, sur TV5 Monde : « C’est à lui [Mamadi Doumbouya, Ndlr] de se décider oui ou non de sa candidature. Ce qui est clair, c’est qu’au regard des immenses progrès qu’on est en train d’enregistrer, une bonne partie des citoyens espère qu’il devrait poursuivre ses chantiers. Le chef de l’État peut vouloir ne pas être candidat, mais le peuple, dans sa volonté, peut le pousser à accepter, car nous voulons un pays apaisé, tourné vers le développement.»

Ousmane Gaoual Diallo rappelle que le général Mamadi Doumbouya a fixé le cap et donné des « instructions claires » pour le retour à l’ordre constitutionnel. « L’instruction majeure est l’adoption de la Constitution avant la fin du premier semestre de cette année. Suivra le reste du processus, comme l’adoption de la loi électorale », ajoute-t-il.

Alors que nous sommes à la fin du mois de février, le Conseil national de la transition est encore au stade d’avant-projet de nouvelle Constitution. Or, toutes les élections se tiendront en 2025, selon le général Mamadi Doumbouya.

Yaya Doumbouya