Le tribunal judiciaire de Paris a relaxé le responsable du bureau d’investigation de Reporters sans frontières (RSF), Arnaud Froger, après une plainte en diffamation déposée par Karim Keïta, le fils de l’ancien président du Mali. Ce dernier est cité à plusieurs reprises dans les enquêtes de l’organisation concernant la disparition du journaliste malien Birama Touré en 2016.

« Il s’agit d’un nouveau camouflet judiciaire pour Karim Keïta, qui n’a eu de cesse de poursuivre en vain les journalistes ayant travaillé sur cette affaire. Mais la vraie victoire, celle de la vérité et de la justice, se fait toujours attendre. Cet ancien dignitaire du Mali est toujours en fuite. Il n’a jamais répondu aux accusations portées contre lui par de multiples témoins concernant son rôle présumé dans la disparition de Birama Touré en 2016. D’autres protagonistes, officiellement recherchés par la justice malienne, se trouvent toujours dans leur pays sans jamais avoir été réellement inquiétés. Selon notre enquête, ce journaliste n’a pas disparu : il a été détenu au secret et est mort dans des circonstances qui restent à éclaircir. Pour peu qu’ils veuillent la chercher, l’exécutif et la justice malienne ont encore les moyens de connaître la vérité. », a déclaré Arnaud Froger, Responsable du bureau d’investigation de RSF.

Dans son jugement rendu jeudi 20 février 2025, la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris a relaxé Arnaud Froger, responsable du bureau investigation de RSF, des faits de diffamation imputés par Karim Keïta, ancien président de la commission Défense de l’assemblée nationale du Mali, poursuivi dans son pays pour son rôle présumé dans la disparition du journaliste Birama Touré en 2016. Relevant « l’imprécision des imputations » et leurs « contradictions intrinsèques », le tribunal a déclaré la nullité de cette plainte.

Depuis sept ans, RSF enquête minutieusement pour tenter de lever le voile sur la disparition de Birama Touré, journaliste au Sphinx, un hebdomadaire d’investigation très réputé, survenue dans la soirée du 29 janvier 2016 à Bamako. Il aura fallu plusieurs années de travail et de recoupements avant d’être en mesure de publier, pour la première fois, le 7 juillet 2021, le premier volet de notre enquête. Un an après la chute du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, la justice malienne venait alors d’émettre un mandat d’arrêt international à l’encontre de son fils, Karim Keïta, pour son rôle présumé dans la disparition du reporter.

À ce moment de l’histoire, RSF est en mesure d’établir trois faits : l’enquête préliminaire sur la mort de Birama Touré, menée par la gendarmerie avait été complètement bâclée et orientée dans le sens d’une disparition volontaire ne reposant sur aucun élément factuel et ressemblant à un écran de fumée ; le journaliste enquêtait sur Karim Keïta au moment de sa disparition ; et, selon plusieurs témoignages, il a été détenu au secret et est très probablement mort dans les geôles des services de renseignement maliens en lien avec le sujet sur lequel il travaillait.

Des assassins présumés promus et décorés

Quelques mois plus tard, après une nouvelle enquête de terrain à Bamako, de nouveaux témoins confirment à RSF la détention au secret du journaliste. L’un d’entre eux fournit des détails précis sur la mort du journaliste et la sortie de son corps de la prison. D’autres sources, dont l’une très proche de l’enquête, précisent que le journaliste travaillait sur une vaste affaire de détournement de fonds impliquant Karim Keïta. Ces nouvelles révélations sont alors publiées et exposées dans une vidéo le 3 février 2022. C’est cette vidéo qui a fait l’objet de la plainte en diffamation déposée par Karim Keïta et ses conseils. Sollicités, ces derniers n’avaient pas souhaité nous répondre. Deux autres journalistes – Adama Dramé, directeur de publication du Sphinx, à Bamako, et Vincent Hugeux, ex grand reporter de L’Express à Paris – ayant enquêté sur cette affaire avaient déjà été poursuivis par Karim Keïta et innocentés par la justice.

Il y a un an, en janvier 2024,  RSF révélait aussi les graves entraves à la justice et à la manifestation de la vérité exercées par la junte malienne au pouvoir dans cette affaire, celle-ci ayant ignoré à au moins quatre reprises les demandes de mise à disposition par la justice malienne de plusieurs militaires inculpés pour leur rôle présumé dans la disparition et le meurtre du journaliste. Non seulement ces militaires sont encore en liberté, mais, comme nous l’exposions, certains sont toujours en service, ont été nommés ou promus à des postes prestigieux, voire même décorés. Le colonel Cheick Oumar N’Diaye, l’un des principaux responsables des services de renseignement maliens à l’époque des faits, occupait même, au moment de cette publication, un poste de conseiller au ministère de la Défense, celui-là même qui est censé donner son accord pour le mettre à disposition de la justice de son pays. Une situation relevant d’un conflit d’intérêts majeur.

Le Mali occupe la 114ème place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse 2016 établi par RSF.

REPORTERS SANS FRONTIÈRES