A l’occasion de la présentation des lettres de créances de la nouvelle ambassadrice des Pays-Bas en Guinée, le 24 février, le ministre guinéen des Affaires étrangères a fait une sortie déroutante. Morissanda Kouyaté a annoncé à son hôte que la nouvelle Constitution est prête et que la candidature de Mamadi Doumbouya émane des Guinéens.  

Le Chef de la junte se claquemure dans un silence de cimetière, mais ses lieutenants ne manquent jamais l’occasion de promouvoir sa candidature à la prochaine présidentielle. Quitte à raconter des contrevérités ? « Nous allons passer aux élections, particulièrement l’élection présidentielle et le reste. » Le ministre des Affaires étrangères de renchérir : « J’ai parlé de la Constitution qui est prête et après nous allons passer aux élections, particulièrement l’élection présidentielle et le reste. »

Morissanda Kouyaté parle certainement du projet de nouvelle Constitution dont la première ébauche était attendue depuis mars 2024. Le Président de la transition, lors de son adresse à la nation la veille du nouvel an 2025, annonçait que l’avant-projet de Constitution allait être soumis à l’appréciation d’une équipe d’experts « rompus à la tâche ». Le ministre considère le texte déjà adopté et pense désormais à la présidentielle, avant même la tenue d’un référendum constitutionnel. Sans compter qu’avant tout scrutin, il faut un fichier électoral.

Morissanda Kouyaté rassure également la diplomate néerlandaise sur le caractère inclusif de la présidentielle à venir : « Ce scrutin sera ouvert à tout le monde, y compris au chef de l’Etat actuel qui est déjà sur le chantier. » La Charte de la transition et les engagements pris par ce dernier ? Un lointain souvenir. En attendant, la campagne avant l’heure n’est ouverte qu’au pouvoir et ses thuriféraires.

Les erreurs du passé

Le ministre se vante d’un pays désormais « calme, apaisé et mobilisé pour le développement.» A quel prix ? Aujourd’hui, toutes les voix divergentes sont mises au pas. Les principales têtes de la société civile sont en prison ou portées disparues, les poids lourds de la classe politique, en exil ou à la Maison centrale de Coronthie. Ou encore, comme c’est le cas du leader du Bloc libéral Faya Millimouno, s’opposent clandestinement. Ce n’est par adhésion au programme du CNRD que personne ne manifeste, mais par crainte de l’arsenal militaire déployé à l’occasion du moindre mouvement.

Les jeunes influents sont traqués dans les quartiers, emprisonnés… La justice, boussole de la transition, semble perdue. Les injonctions de poursuites judiciaires ne ciblent que les opposants à la junte.

Pour justifier le coup de force du 5 septembre 2021, Mamadi Doumbouya avaient pourtant avancé des pratiques du genre sous la gouvernance Alpha Condé. Trois années plus tard, le CNRD répète ce qu’il appelait les erreurs du passé.

Les mouvements de soutien fleurissent, alors qu’un décret interdit le culte de la personnalité. Des effigies de Doumbouya inondent Conakry et les villes de l’intérieur du pays. Des manifestations de soutien, souvent parrainées par les pontes du régime, sont organisées à longueur de journée.

Alpha Condé, pour aller au 3e mandat, avait prétendument fait payer sa caution par les femmes. Lors de la Marche du rassemblement, le 22 février à Kindia, l’histoire s’est répétée. On apprend même que les mendiants se sont prononcés en faveur de la candidature de Mamadi Doumbouya à la présidentielle.  

Morissanda Kouyaté pousse le bouchon plus loin, affirmant que « la population guinéenne elle-même a décidé de présenter la candidature du Président Mamadi Doumbouya. » De quelle population parle-t-il ? Sûrement de la poignée d’opportunistes constitués en soutiens de la transition. Les opportunistes ont la voie royale pour organiser les manifestations à souhait.

Cette chance n’est pas donnée à ceux qui s’opposent à la prolongation de la transition. Le respect des droits et libertés fondamentaux, c’est sur la tête du client. Ce n’est pas en écrasant les voix discordantes qu’on aura l’onction des 13 millions de Guinéens. Tout comme ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fera baisser la fièvre.

Pilule amère pour le CNT

En annonçant que la Constitution devant conduire à la prochaine présidentielle est déjà prête, Morissanda Kouyaté n’a pas frustré que la population. Il a certainement dû heurter la sensibilité des responsables du Conseil national de la transition, chargés de concocter cette loi fondamentale. Le CNT n’a certainement pas apprécié que Morissanda leur brûle la politesse. La pilule serait tellement amère que l’un des proches de Dansa Kourouma est sorti de ses gongs. Jean Paul Kotembedouno, rapporteur de la Commission Lois a subtilement recadré le ministre : « Si la loi organique portant règlement intérieur du CNT confère au président de celui-ci compétence pour représenter et parler au nom de l’Institution, c’est parce qu’il sait tout ce qui s’y passe. Un ministre des Affaires étrangères n’en sait absolument rien, par principe, au départ.»

Le conseiller laisse entendre ; à lire entre les lignes de son message, que le ministre des Affaires étrangères a manqué à sa vocation de diplomate : « Il ne peut avoir une idée ou même avoir autorité pour en parler qu’à supposer qu’il s’informe. Évidemment qu’il ne s’informe que lorsqu’il mesure la portée, au regard du droit international et, dans les relations internationales, la portée des déclarations d’un ministre des affaires étrangères. En principe, la prudence dans les déclarations et la subtilité dans les choix terminologiques sont des éléments de l’identité des diplomates de formation ou, même uniquement, de fonctions.»

Yacine Diallo