En Guinée, le Ramadan est une période magique, Wallahi ! Les riches deviennent généreux ; les pauvres, philosophes ; les prix des denrées prennent l’ascenseur pour ne plus jamais redescendre. C’est aussi le moment de l’année où l’on découvre que l’estomac vide a des vertus spirituelles… du moins, pour ceux qui n’ont pas le choix.
Le soir, les rues de Cona-cris vibrent au rythme des Allahou Akbar et des casseroles en ébullition. On jeûne par foi, parfois par tradition ou obligation, faute de quoi manger. Mais, on ne se plaint pas ! On souffre avec dignité, la tête haute et l’estomac dans les talons, persuadés que l’épreuve de la faim nous rapproche du Très-Haut. Et puis, quelle meilleure période pour nos élites pour faire preuve d’un semblant de charité ? Un sac de riz par-ci, quelques billets froissés par-là… Onze mois de razzias, un de partage du butin. La portion congrue. Un équilibre divin, en somme.
La Guinée, ce pays où même les miracles comptables semblent avoir élu domicile, est un paradis fiscal… pour ceux qui savent comment se servir. Ici, les milliards disparaissent plus vite qu’une pastèque en plein marché de Madina. La pluie, qui s’abat chaque année avec une rigueur mathématique, devrait nettoyer les rues et les âmes, mais rien n’y fait : les égouts débordent, les routes s’effondrent, et les consciences aussi sales que l’argent de nos politiciens. On Chen fout !
Et pourtant, mes amis, c’est le mois béni ! Ramadan ! Le moment où les pécheurs redeviennent généreux, les dirigeants se souviennent soudainement des pauvres et distribuent des sacs de riz comme s’ils les avaient acquis avec leur propre pognon. La Guinée, où donner devient un sport de façade, pratiqué face camera, sous les ovations. Entre deux prières, on voit les grandes figures politiques se draper des rabbanas, distribuer des billets comme on jette des grains aux poules. Ah, mes amis, ces mêmes billets qui, le reste de l’année, font des tours de passe-passe plus impressionnants qu’un numéro de prestidigitation.
Manger sainement ? Un luxe. Pendant que certains s’accrochent à leur dernier morceau de pain, d’autres organisent des festins pantagruéliques. Les plus pauvres, eux, donnent leur meilleur plat aux plus riches, espérant un bout de considération, une illusion d’inclusion. On nourrit ceux qui n’ont pas faim et on affame ceux qui n’ont rien à se mettre sous la dent. Mais convenons avec Coluche que Dieu a tout partagé : Il a donné la nourriture aux riches, l’appétit aux pauvres.
Un jour, un taxi-moto s’arrête à Kaloum, juste au feu rouge. Le passager, un homme en costume fatigué, lance :
— Vous savez, ici, on ne respecte que deux choses : l’argent et l’uniforme.
Le conducteur, esquissant un sourire narquois, répond :
— Moi je respecte surtout l’essence, tant qu’il y en a, on avance.
Puis, baissant la voix :
— Ce pays, mon frère, on l’a mis sur béquilles.
Le feu passe au vert. Ils repartent, chacun fort de sa vérité.
Mais à Cona-cris, on ne cause pas politique à voix haute. Même pour se plaindre d’une route, il faut murmurer. Parce que, voyez-vous, ici, même les nids-de-poule ont des oreilles. Et pourtant, nos dirigeants nous vendent des rêves : routes goudronnées, hôpitaux flambant neufs, démocratie renouvelée… tout chat emballé avec un papier brillant qui se désagrège dès qu’on le touche.
Vous connaissez le plat national du pays ? Le « Bandey Surprise » ! Un plat qui contient tout et surtout n’importe quoi. Un jour, un ami y a trouvé un bouton de chemise. Intrigué, il demande à la vendeuse :
— Tantie, c’est quoi chat ?
Elle, avec le plus grand sérieux du monde : — C’est pour la décoration.
Depuis ce jour, il mange avec la précaution qu’un jour il tomberait sur une montre ou un billet de banque.
Mais rassurez-vous, mes amis, tout va bien. Pendant que le peuple rame, les dirigeants voguent sur une réalité parallèle, des yachts invisibles. Et nous ? Nous sommes à bord d’un navire troué, écopant avec des cuillères, pour éviter de sombrer avant le prochain discours mielleux. Après tout, on a l’habitude, et puis… on a le rire facile, nous autres. À Fakoudou !
Par Sambégou Diallo
Billet
Mon chat révolutionnaire
Hier soir, mon chat m’a regardé l’air grave. Un regard de vieux sage fatigué par la médiocrité des humains. Puis, il a miaulé : — « Toi aussi, tu vas manger ce riz sans viande ? »
J’ai soupiré. — « Les temps sont durs, mon cher. La viande est un luxe. »
Il a levé une patte, théâtral. — « C’est décidé ! Je vais organiser une manifestation. »
— « Ah bon? Une manifestation de chats ? »
— « Oui! Tous les chats du quartier vont se rassembler devant la cuisine et miauler sans interruption jusqu’à obtenir notre viande ! On va bloquer l’accès au frigo ! On va… »
— « Et si je mets un peu de poisson dans ta gamelle? »
Silence. Puis, dignement :
— « Bon, d’accord. Mais ce n’est que partie remise ! La Révolution attendra… »