Décidément ! Les jours se succèdent et se ressemblent sous les tropiques. Le 5 septembre 2021 et les jours, semaines et mois qui ont suivi, dans les villes poussiéreuses du bled, on a jubilé, chanté et valsé comme si on avait recouvré une seconde indépendance. On aurait cru que dans les Rivières du Sud ne coulaient plus que du lait de la génisse éternelle et du miel de Kawsara.
Face à tant de libations, le bon sens revendiqua son droit à la chasteté. Sa requête fut intime mais ferme. Il déclina sa part de jouissance nauséabonde que le déshonneur disputait à la veulerie. L’intolérable rabat-joie renonça volontiers à sa part de Nirvana. Il fallait mordicus se garder de toute bombance prématurée, par peur de goumin fatal.
On savait qu’il est des carapaces inamovibles. La lune de miel était trop torride pour durer. Idylle morose, noces fétides, on s’en doutait…le réveil est brutal et d’amour à la Guinè, il n’en est plus question. Nous y voilà. Censure, disparitions forcées, condamnations arbitraires… c’est la part des vertueux dans le ciment-doux des mille carences. Pour les collabos ? Liasses de billets et rutilantes grosses cylindrées. Pour le peuple ? Pôpa, pipeau et poussière. La transition devient Refondation ; sa boussole reste à quai. La nébuleuse déroule son agenda hégémonique.
Hélas ! La baïonnette ne confère ni légitimité ni puissance. Elle violente, oppresse et détruit. Les prétentions messianiques sont chose de putschiste inculte. Le treillis ne suffit à faire un Rawlings, encore moins un Sankara. Le poids des brodequins fait ramer le cerveau du chef quand les liesses populaires le pétrifient. Acclamé, il se sent pousser des ailes. Les courtisans ont beau le peindre en César, le troufion se trahit toujours par ses bavures. Même couronné de diamants, un clown fera ses clowneries.
Au pays d’asile du Grimpeur, on dit que « Quand un bouffon déménage dans un palais, il ne devient pas un roi. Le palais devient un cirque ». Mais pourquoi jouer les surpris quand l’escadron du 3ème mandat intronise son chef au palais qu’il défendait ? N’est-ce pas une révolution de palais sous sa couture la plus élémentaire ? Restructuration normale de la pègre.
Maintenant on se surprend à regretter le parrain déchu. Entre sauveurs et bourreaux, kifkif. La sape de plomb est telle qu’on entend plus que les courtisans et leurs bolides. Qui luttent encore et crèvent ? Encore et toujours, les mêmes Moudjahidines de l’Axe. Ces damnés de l’Artère. Récalcitrants à l’égo increvable. Les mêmes qui portent, accroché à l’âme, ce qu’il reste de dignité au peuple. Ces maquisards ont la conviction inaltérable d’être le dernier rempart de la tyrannie. Pendant que le peuple martyr, amnésique, crève sous le poids de l’indigence et se lèche les babines pour quelques pierres et leur lot de poussière.
S’il faut concéder à Raymond Aron que « les révolutions coûtent très cher », il faut lui objecter, illico dare-dare, qu’elles sont nécessaires. Si la révolte coûte cher, essayons l’asservissement. Un peuple résigné se condamne à la servitude. Résister ou périr, il faut choisir.
Mais résister comment ? Derrière quel leader ? Qui assurera à la lutte l’ordre essentiel à son triomphe ? Désordonnée, elle sera condamnée à l’errance, tel un troupeau égaré vers un illusoire oasis à l’horizon. S’engager sans idéologie est une entreprise à perte. Le désordre ajoutera à la confusion essentielle au couronnement du tyran. La résistance ne saurait donc se soustraire du noviciat du partisan. Qui l’éduquera alors aux préceptes de son credo ? Si comme le veut Fanon, « Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir », la nôtre est toute trouvée. À nous d’en être dignes ou non.
Tariq Wora