Le projet minier de Simandou, considéré comme l’un des plus grands gisements de fer au monde, est perçu comme une opportunité majeure pour l’essor économique de la Guinée. Toutefois, une dépendance exclusive à cette ressource présente des risques considérables. Une stratégie de diversification économique est nécessaire pour assurer un développement durable et réduire les vulnérabilités associées aux fluctuations des prix des matières premières.
Risques de dépendance
Si le projet Simandou promet des retombées économiques substantielles, la Guinée doit anticiper les dangers d’une économie trop axée sur l’extraction minière. Avec le secteur minier représentant déjà 18% du PIB du pays, 79% de ses exportations et près d’un tiers des recettes publiques, la Guinée pourrait être gravement affectée en cas de chute des prix du fer sur le marché international. Par ailleurs, la dépendance vis-à-vis d’un nombre restreint de partenaires commerciaux, en particulier la Chine, expose la Guinée à des risques géopolitiques et économiques accrus.
De plus, cette focalisation sur les ressources naturelles limite la création d’emplois et l’industrialisation locale, entraînant une vulnérabilité accrue face aux crises économiques mondiales.
Par ailleurs, une forte dépendance au secteur extractif n’est pas sans risques environnementaux et sociaux, notamment la déforestation, la pollution de l’eau et les conflits communautaires autour des sites miniers. Cette situation rappelle les difficultés rencontrées par d’autres pays riches en ressources naturelles mais confrontés à la « malédiction des ressources », où la rente minière ne profite qu’à une minorité.
Stratégie de diversification
Afin d’atténuer ces risques, la Guinée doit mettre en place un plan de diversification structuré autour de plusieurs secteurs clés et pour mieux attirer les investissements directs étrangers (IDE) :
- Électrification : Un accès stable et élargi à l’électricité est essentiel pour favoriser la croissance industrielle et améliorer le quotidien des populations. Investir dans les énergies renouvelables et moderniser le réseau électrique permettront de soutenir les autres secteurs de l’économie et d’attirer de nouvelles industries. L’électrification rurale, en particulier, favoriserait le développement de l’agriculture, de la pêche et de l’apiculture.
- Industrie et infrastructures : L’industrialisation, notamment dans la transformation des matières premières locales (bauxite, fer, produits agricoles, pêche), pourrait créer de la valeur ajoutée et offrir des opportunités d’emploi stables aux Guinéens. Par ailleurs, le développement des infrastructures, telles que les routes, les ports et les chemins de fer, est indispensable pour améliorer la compétitivité du pays et attirer les investissements étrangers. Ce secteur pourrait également être le fer de lance dans la lutte contre le chômage endémique chez les jeunes en Guinée dont les enfants de 0 à 17 ans représentaient déjà 51.2% de la population en 2019, selon l’UNICEF. Faut-il rappeler la place significative des demandeurs d’asile d’origine guinéenne dans les flux migratoires tant au niveau sous-régional qu’international (particulièrement en Europe)?
Agriculture : La Guinée possède des terres fertiles et un climat propice à une production agricole diversifiée. Il y pleut en moyenne 6 mois sur 12. En modernisant le secteur et en encourageant la transformation locale des produits, le pays pourrait réduire sa dépendance aux importations alimentaires et renforcer la sécurité alimentaire. Paradoxalement, ce secteur qui emploie plus de la moitié de la population ne contribue qu’à hauteur de 27.8% du PIB selon un rapport de la Banque Mondiale publié en septembre 2024.
- Apiculture : L’élevage des abeilles et la production de miel offrent une opportunité de diversification économique durable. L’apiculture peut non seulement contribuer à la création d’emplois et de revenus pour les populations rurales, mais aussi jouer un rôle clé dans la préservation de la biodiversité et l’amélioration des rendements agricoles grâce à la pollinisation. Vous savez sans doute que le miel de la Guinée est réputé être le meilleur au monde, et qu’un litre de miel pur made in Guinea vaut mieux qu’une tonne de bauxite sur les marchés internationaux. Encore faut-il savoir mettre en place une filière de la production à l’exportation…
- Pêche : La Guinée possède un vaste littoral atlantique et des ressources halieutiques abondantes. Le développement de la pêche artisanale et industrielle, ainsi que des infrastructures de transformation et de conservation, pourrait générer des revenus substantiels et améliorer la sécurité alimentaire.
L’exemple du Québec, la dépendance du Canada des USA
Le cas du Canada illustre bien les risques d’une trop grande dépendance à un unique marché d’exportation.
En effet, dans le Centre-du-Québec, de nombreuses entreprises avaient misé sur l’exploitation et la transformation du lithium pour la production de batteries électriques pour l’industrie d’automobile américaine, essentiellement. Toutefois, la chute des prix du lithium, la concurrence internationale et les retards dans le développement des infrastructures ont entraîné des pertes financières importantes et des fermetures d’usines. Cette situation montre qu’un modèle économique trop concentré sur une ressource peut se révéler dangereux, surtout sur un horizon si lointain (2040 pour le Programme Simandou).
Aussi, les secteurs de l’énergie, du pétrole, de l’automobile et des minéraux critiques dans les différentes provinces du Canada souffrent des fluctuations des prix et des décisions commerciales de l’administration Trump aux USA, principal partenaire économique du Canada. Une diversification vers d’autres marchés et une valorisation accrue des ressources sur place auraient permis de mieux absorber ces chocs économiques.
Conclusion
Plutôt que de s’appuyer uniquement sur le Projet Simandou, la Guinée doit adopter une vision socio-économique à long terme intégrant plusieurs secteurs stratégiques. L’exemple du Canada souligne l’importance de ne pas dépendre d’un seul marché, et la Guinée doit tirer parti de cet enseignement pour assurer un développement équilibré et durable.
Enfin, retenir qu’on ne saurait développer un pays par des slogans, des pancartes et des pantins !
Aliou Souaré
Citoyen guinéen, ancien Directeur général du Fonds
de développement industriel et des PMEs (FODIP)