Les disparitions forcées d’acteurs sociopolitiques en Guinée ont atteint des proportions inquiétantes ces derniers temps, au poing qu’Amnesty International Guinée a récemment lancé une pétition « en solidarité aux personnes injustement emprisonnées, torturées ou opprimées ». Une situation qui laisse de marbre les autorités de transition.
Le 9 juillet dernier, Oumar Sylla alias Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, respectivement coordinateur et chargé des antennes du Front national pour la défense de la Constitution ont été kidnappés par des hommes en treillis assimilés aux éléments des Forces spéciales, unité d’origine du Prési de la transition, le Général Mamadi Doum-bouillant. Le FNDC projetait une manif contre le silence imposé à des médias privés et la vie chère. Familles, proches et avocats (sans vinaigrette) sont depuis sans nouvelle des disparus. Les multiples appels pour leur libération n’ont pas trouvé écho. L’enquête judiciaire ouverte pour les retrouver peine à se refermer.
Silence assourdissant
Pire, le 17 octobre et le 3 décembre suivants, deux autres Guinéens ont été enlevés pour une destination inconnue : Saadou Nimaga, ex-secrétaire gênant du mystère des Grises Mines et Habib Marouane Camara, journaleux. Cerise sur le gâteau, le 19 février, Abdoul Sacko, coordinateur du Forum des Forces sociales, a été enlevé à 4h à son domicile de Kiroty, commune de Lambanyi, torturé puis abandonné peu après. Des situations troublantes et irritantes qui se sont ajoutées à la fermeture de médias privés critiques à l’égard du pouvoir, à la répression sanglante des manifs, interdites depuis mai 2022.
Amnesty International Guinée dénonce des disparitions arbitraires, une violation de la liberté d’expression. L’ONG réclame justice pour toutes les victimes d’injustice en Guinée, la faim du silence assourdissant des autorités guinée-haines. Le dirlo de la section guinéenne d’Amnesty International, Souleymane, a fait un Sow en Europe. Objectif, alerter au plus haut niveau. Il est monté au créneau sur Rfi, le 27 février, jour anniversaire de l’an 1 d’Amadeus Oury Bah à la Primature. Pour un cadeau d’anniversaire, ç’en était bien un. L’activiste y a annoncé attendre les voix des Etats-Unis, des missions diplomagiques présentes en Guinée, de la Cédéao, de l’Organisation internationale de la Francopholie, « très en contact avec les autorités guinéennes ». Excusez du peu !
Christophe le Boisbouvier de Rfi interroge son invité (de marque déposée) sur les chances de survie, 7 mois après leur enlèvement, des activistes Foniké et Billo.« En tout cas, nous l’espérons, répond Souleymane Show. Nous interpellons, nous demandons aux autorités guinéennes, surtout à monsieur le Procureur, de dire où en est cette enquête. S’ils ont des éléments ou pas. Dans cette Charte de la transition que les autorités ont proposée au peuple de Guinée, 28 articles sur 80 portent sur les droits et les libertés fondamentales. Donc plus du tiers de ses articles. Nous demandons aux autorités guinéennes de respecter leurs engagements et donc libérer Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ainsi que les autres disparus, ou au moins dire au peuple de Guinée ce qui s’est passé sur le sol guinéen. »
Monnaie courante
La même omerta sur l’enlèvement du journaleux Habib Marouane Camara. L’activiste Abdoul Sacko a été plus chanceux. Souleymane Sow ne cache toutefois pas son inquiétude, face à la recrudescence des disparitions en Guinée. « Nous, nous sommes très jeunes. Mais pour ceux qui connaissent encore l’histoire de la Guinée, on ne pensait vraiment plus revoir des cas de disparitions forcées dans notre pays et que maintenant, en plus de cela, on parle de cas de tortures. Il y a déjà eu des cas suspects, des cas de mort dans les prisons qui n’ont pas non plus été élucidés. Je reviens sur la Charte de la transition, l’article 11 stipule que « nul ne peut faire l’objet de torture, de peines ou traitements cruels, dégradants ou inhumains ».
A propos de l’audience avortée entre Amnesty International Guinée et le Premier ministre Bah Oury en novembre dernier, Souleymane Show précise : « Nous n’avons pas encore été reçus, mais nous espérons bien qu’il va nous recevoir, sachant que notre actuel Premier ministre est quand même membre fondateur, je le rappelle, d’une des premières organisations de défense des droits humains en Guinée. Et donc en tant que défenseur, nous espérons qu’il va nous recevoir pour que l’on puisse parler des sujets touchant à notre pays. »
Le PM Amadeus Oury Bah est en effet membre fondateur de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen, OGDH. En 2008, il est devenu ministre de la Réconciliation nationale, de la Solidarité et des Relations avec les Institutions. Il aura « joué un rôle crucial dans la promotion de la paix et de la cohésion sociale à un moment critique de l’histoire » de la Guinée, rappelle sa biographie relayée sur le site du goubernement. Allusion à la restitution de corps de 8 compatriotes de la Guinée-forestière « injustement » tués à Coza en 2000, lors d’une répression menée par des éléments de la garde présidentielle de feu Fory Coco. L’actuel PM s’était même « employé à retrouver et restituer les corps…cachés par l’Etat guinéen ». Il aura « demandé et obtenu de l’Etat, la réparation symbolique du préjudice par la construction d’un monument à la mémoire des victimes dans leur ville natale et la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat guinéen dans ce crime ». Il aura reconnu « publiquement et officiellement dans la cour du tristement célèbre Camp Boiro, la responsabilité de l’Etat guinéen dans tous les crimes politiques commis en Guinée depuis l’indépendance. » Ce n’est pas mince, ça.
Aujourd’hui Premier ministre d’une junte, passera-t-il de défenseur à prédateur des droits humains ?
Mamadou Siré Diallo