Le 17 mars, Ibrahima Diallo, chargé des opérations du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), était l’invité de France 24. Il y abordé l’évaluation des partis politiques, l’agenda électoral et l’éventuelle candidature du général Mamadi Doumbouya, mais également et surtout la question des droits humains marquée par l’interdiction systématique des manifestations hostiles, sous peine de répressions.
France24 : La junte, je reprends ses termes, avait promis une reprise totale et effective des activités politiques cette année. Mais elle a suspendu pour trois mois une trentaine de partis politiques, dont le parti d’Alpha Condé. Vous dites quoi ? C’est une manière d’assainir, comme dit la junte, le monde politique ?
Ibrahima Diallo : Non, pas du tout. Je crois que c’est le renforcement du pouvoir autoritaire de la junte, parce que, comme vous le savez, la transition qui était perçue au départ comme étant un processus normal et régulier pour le retour à l’ordre constitutionnel, s’est progressivement transformée en une confiscation du pouvoir. Nous constatons aujourd’hui en Guinée que la majorité de la population, en opposition avec la junte, vit dans la terreur.
Aujourd’hui, nous avons des médias qui sont fermés, nous avons des citoyens qui ne peuvent pas s’exprimer librement au risque d’aller en prison ou d’être victime de disparitions forcées. Nous avons également des partis politiques qu’on dissout et qu’on interdit les activités politiques sur le terrain.
Trois mois, dit la junte, vous y croyez ou pas ?
Non, je ne crois pas, parce que le président de la transition actuelle, lors de son adresse à la nation, avait déclaré que les activités politiques sont libres maintenant sur l’ensemble du territoire national. Mais malheureusement, les manifestations sont toujours interdites quand il s’agit du FNDC et de l’opposition ou encore des citoyens opposés à la junte au pouvoir. Parallèlement, il y a tous les jours des partisans de la junte qui sont dans les rues à Conakry et à l’intérieur du pays, qui sont encadrés par les policiers et les gendarmes, pour faire la propagande à l’effet d’accompagner la candidature de Mamadi Doumbouya.

C’est-à-dire que l’opposition ne peut pas faire campagne et la junte, elle, mobilise ses partisans ?
Exactement. L’opposition et le FNDC ne peuvent pas du tout faire campagne en Guinée. On ne peut pas. Les manifestations sont interdites depuis le mois de mai 2022. Personne ne peut manifester en Guinée si vous êtes opposé à la junte au pouvoir. Toutes les manifestations qu’on organise se soldent par des morts, des blessés et parfois des citoyens sont envoyés en prison. Très malheureusement d’ailleurs, nous avons aujourd’hui deux de nos camarades.
On va en parler de ces arrestations (…) Un mot encore de l’opposition. Pourquoi est-ce que le parti de Cellou Dalein, l’un des opposants historiques en Guinée, est épargné par cette suspension ? Lui, peut continuer à gérer son parti politique, visiblement.
Je crois que c’est tous les partis qui sont concernés. Ils ont accordé 45 jours à l’UFDG pour pouvoir se mettre en règle, soi-disant, et d’organiser son congrès. Ce qui est recherché, c’est d’abord diviser pour régner. Diviser les principaux partis politiques, suspendre certains, dissoudre d’autres, et accorder une marge de manœuvre à certains partis politiques de pouvoir exister en attendant de les dissoudre à la fin, parce que c’est l’objectif final qui est recherché.
Et in fine, pour vous, c’est l’émergence de la candidature du général Doumbouya ? Il avait dit en prenant le pouvoir : je ne serai jamais candidat. Ça ne fait aucun doute pour vous, il sera candidat à la présidentielle, même s’il n’a pas de calendrier ?
A la lumière de tout ce qui se passe aujourd’hui en Guinée, à Conakry et à l’intérieur du pays, ça ne fait aucun doute aujourd’hui que Mamadi Doumbouya veut être candidat. Lorsqu’il a prêté serment, il a juré de respecter sa parole donnée. Il l’a dit à la face du monde entier qu’il ne sera pas candidat et qu’aucun membre de la junte ne sera candidat. Mais aujourd’hui, très malheureusement, c’est le contraire que nous sommes en train d’observer. Chaque jour, il y a des propagandes financées par l’agence pour faire la promotion de sa candidature, la candidature de Mamadi Doumbouya.

En tout cas, pour asseoir son autorité et pour qu’il soit candidat, il faut des élections. Le Premier ministre l’a dit, 2025 sera une année d’élections : référendum constitutionnel, présidentielle, législatives. Avant cela, il faut mener un recensement électoral, il faut établir aussi un code électoral. Est-ce que ce processus est en cours en Guinée aujourd’hui ?
En réalité, il n’y a aucune date indicative mettant en lumière la tenue des élections en Guinée. Il y a quand-même un processus qui consiste à établir un fichier électoral. Le recensement qui a débuté, il y a un mois, est bloqué, ils ont arrêté ce recensement-là. Ils l’ont suspendu, parce que, tout simplement, les agents recenseurs ne sont pas payés. Les agents recenseurs qui sont sur le terrain, en contact avec la population, se sont plaints de ne pas recevoir leurs primes.
Donc, ils ont suspendu actuellement le recensement. Ce qui veut dire que nous n’aurons pas d’élections cette année, le retour à l’ordre constitutionnel. Parce que le président de la transition avait promis l’organisation du référendum au premier trimestre de cette année. Nous sommes aujourd’hui au mois de mars, il n’y a pas de fichier électoral. Comment on peut parler d’élection ? Il n’y a pas de constitution encore. En Guinée, il n’y en a pas encore, parce qu’il faut avoir une constitution. Il faut aller au référendum pour parler des élections pour le retour à l’ordre constitutionnel.
Donc, ce calendrier en 2025, vous n’y croyez pas ?
Je n’y crois absolument pas. Je crois que c’est une fuite en avant. C’est juste pour servir l’opinion internationale afin de consolider davantage leur pouvoir.
Vous parliez de ces enlèvements. Il y a eu une série d’arrestations de militants, journaliste, opposants. Foniké Menguè, Billo Bah sont deux leaders de la société civile qui sont enlevés il y a 8 mois aujourd’hui. Toujours aucune nouvelle ?
Toujours aucune nouvelle. Ce sont mes camarades. Nous avons passé les 7 dernières années ensemble. Tous les jours, on est ensemble. On mène le combat pour le retour à l’ordre constitutionnel.
Mais fort malheureusement, ils ont été enlevés par la junte, parce que tout simplement, ils se sont opposés à la confiscation du pouvoir et ils ont appelé à l’organisation d’une manifestation contre la fermeture des médias et pour le retour à l’ordre constitutionnel. Le soir, on est venu les cueillir. Depuis ce jour jusqu’à maintenant, nos amis sont séquestrés par la junte au pouvoir.

A part eux, il y a Habib Marouane Camara, un journaliste, lanceur d’alerte, qui a été enlevé également par les gendarmes. Il est victime de disparition forcée. Aujourd’hui en Guinée, si vous êtes opposé à la junte, vous risquez premièrement, la prison. Nous avons des gens comme Aliou Bah et d’autres cadres politiques qui sont actuellement en prison. Vous risquez également la disparition forcée. La preuve, c’est nos amis et le journaliste. Troisièmement, vous risquez l’exil. Et pour ceux qui ne sont pas chanceux, quatrièmement, le risque, c’est la mort. Aujourd’hui, nous avons des citoyens, s’ils veulent exprimer leur opposition à la junte, ils sortent dans la rue pour manifester, ce sont des militaires qu’on déploie sur le terrain avec des armes létales pour tirer sur les citoyens guinéens. Alors que ces citoyens-là sont là, mains nues, ils manifestent, ils ne demandent qu’une seule chose, le respect de leurs droits et le retour à l’ordre constitutionnel.
Vous prenez des représailles aussi pour vous-même ? Bien entendu, tout le monde est menacé aujourd’hui en Guinée.
En tout cas, tous ceux qui sont opposés à la junte sont menacés aujourd’hui en Guinée. Vous ne pouvez pas parler, vous ne pouvez pas critiquer. Les gens, nos cadres, nos membres, nos militants sont recherchés actuellement en Guinée. On vous arrête, on vous fait disparaître. Ceux qui ont la chance, on les envoie en prison. Sinon, nous vivons vraiment une situation catastrophique. On n’en a pas vécu dans les 30 dernières années.
Vous en appelez la justice internationale. Pour vous, la justice en Guinée ne peut pas faire face à la junte ?
La justice ne peut pas y faire face. Heureusement d’ailleurs que la disparition forcée est reconnue en droit international comme étant un crime contre l’humanité. C’est pourquoi nous avons encouragé les familles des victimes à saisir les juridictions internationales. Parce que quel que soit le temps que prendra cette affaire, la justice sera rendue, puisque ce crime est imprescriptible. Ça fera 10 ans, 20 ans, 30 ans, la justice sera rendue.
Propos transcrits par
Mamadou Siré Diallo