Condamné à 2 ans de prison ferme en première instance pour offense au chef de l’Etat, le procès en Appel de l’opposant Aliou Bah, président du parti MoDeL (Mouvement démocratique libéral), a eu lieu mercredi 26 mars à la Cour d’Appel de Conakry. Le leader du Model continue de nier les faits, ses avocats dénoncent un procès politique, alors que le procureur maintient ses accusations.
Dans le motif d’Appel, Maître Pépé Antoine Lama a indiqué que la condamnation d’Aliou Bah en première instance est totalement disproportionnée, aussi bien en droit interne qu’en droit international. En ce sens que le prévenu n’a pas tenu de propos diffamatoires à l’encontre du chef de l’Etat. « Aliou Bah a tenu un discours politique, puisque c’est sa vocation. Nous avons apporté des preuves avec des arguments juridiques que les propos imputés à Monsieur Mamadou Aliou Bah ne peuvent être constitutifs d’une quelconque infraction. C’est un leader politique qui a tenu un discours politique au siège de son parti dans le cadre d’un débat publique. Alors, si on doit denier à Mamadou Aliou Bah, président du MODEL, sa liberté d’expression, son droit de se prononcer sur l’actualité politique et sociale, je pense qu’il vaut mieux carrément supprimer les activités politiques dans ce pays. » L’avocat estime que, même en supposant que les propos étaient diffamatoires, la loi applicable aurait dû être celle sur la liberté de la presse, qui ne prévoit pas la privation de liberté. Il a dénoncé la violation des engagements internationaux en matière des droits de l’homme, notamment celle relative à la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Face à ces graves irrégularités, Me Pépé a demandé la relaxe purement et simplement de son client.
Fallou Doumbouya, le procureur général près de la Cour d’Appel de Conakry, a déclaré que lorsque plusieurs lois s’appliquent à une même affaire, c’est la loi spéciale qui s’applique. C’est pourquoi, il affirme que la peine appliquée en première instance est dérisoire, et il compte démontrer cela au cours des débats.
« Je ne regrette rien de ce que j’ai fait pour mon pays »
La juge, Hadja Fatou Bangoura, a demandé à Aliou Bah s’il reconnaissait les faits qui lui sont reprochés. Sans ambages, le président du Model a déclaré qu’il ne reconnaissait pas les faits. Selon lui, les arguments avancés pour justifier son arrestation sont infondés. « Je suis un acteur politique, un père de famille, un travailleur. Jamais je n’ai mis les pieds dans un commissariat, même en tant que témoin. Je ne prétends pas être parfait, mais mes idées sont toujours fondées sur la loi. C’est d’ailleurs pour cela que ma formation politique est l’une des plus crédibles du pays, et que je me sens prêt à assumer des responsabilités nationales ».
Le leader du MoDeL est longuement revenu sur son arrestation qu’il juge illégale, puisqu’aucune notification ne lui a été faite. « Nous avons été retenu pendant quatre heures à la frontière, avant d’être transféré à Conakry par des hommes cagoulés et lourdement armés. Une fois sur place, j’ai été enfermé dans une cellule insalubre, aux côtés d’inconnus. Je sais que je ne suis pas le premier dans cette situation, mais j’espère être le dernier. Cependant, je ne mérite pas un tel traitement. J’ai accepté ces conditions et j’ai été déféré à la Maison centrale ». Il estime que les propos n’avaient rien d’offensant. Même que ce qu’on lui reproche, ce n’est pas un crime, mais une opinion qui dérange certains intérêts. « J’ai simplement rappelé aux autorités les engagements qu’elles avaient pris et qu’elles se doivent de respecter. J’ai tenu un discours au Chef de l’État en affirmant : nous allons vous confronter à vos actes. »
Aliou Bah a révélé qu’il a été régulièrement appelé à rejoindre la junte, mais qu’il a refusé et a répondu à qui de droit : « Vous vous êtes engagés à organiser des élections, alors faites-le. Je me présenterai et je me battrai sur le terrain des idées.’ Ce discours, qui était apprécié à l’époque, est devenu gênant au fil du temps ». Et d’ajouter : « Aujourd’hui, après plus de 60 ans d’indépendance, je me pose une question fondamentale : Quel type de société voulons nous bâtir ? Une société qui emprisonne Aliou Bah, un intellectuel reconnu, une fierté nationale et internationale ? Ou une société qui valorise les opportunistes, ceux qui trahissent nos valeurs sociales et pillent nos ressources en toute impunité ? Quel message voulons-nous envoyer à nos enfants ? Leur dire que la seule voie pour réussir est celle des raccourcis et des compromissions ? Je ne regrette rien de ce que j’ai fait pour mon pays. Et j’ai la conviction que la justice saura me rétablir dans mes droits ». Le procès a été renvoyé au 9 avril prochain, pour la poursuite des débats.
Ibn Adama